À propos de Jean Baptiste Joseph Pescayre, auteur en l'an III du Tableau des prisons de Toulouse sous le règne de Robespierre
Ci-dessus : Guillaume Guillon, dit Guillaume Guillon Lethière, L'Invention de la Croix par Sainte Hélène, ou Allégorie de la Croix, 1788, église Saint Jérôme, Toulouse.
Dans leur Biographie toulousaine, Étienne Léon de Lamothe-Langon, Jean Théodore Laurent-Gousse et Alexandre du Mège consacrent à Pescayre (N.) l'article ci-dessous :PESCAYRE (N.), riche amateur des productions des arts dépendant du dessin, avait rassemblé dans son cabinet une longue suite de tableaux des plus grands maîtres. Il avait particulièrement recherché ceux des écoles flamandes et hollandaises. Il fut arrêté, comme suspect, dans le mois de septembre 1793, et devint en quelque sorte l'historien des crimes qui à cette terrible époque portèrent la terreur dans Toulouse. »
« Nous avons de lui le Tableau des prisons de Toulouse, sous le règne de Robespierre, et sous celui des satellites qui, après sa mort, ont propagé son système, pour faire suite au Tableau des prisons de Paris, contenant jour par jour les événemens remarquables arrivés dans ces prisons, le nom des victimes immolées à la fureur du tyran, celui des assassins qui les ont égorgées, le nombre des prisonniers et leurs différentes anecdotes, 1 vol. in-12, Toulouse an III.
Ce livre est mal écrit, mais il renferme des documens précieux, des faits que l'on chercherait vainement ailleurs. On y voit les malheureux détenus, livrés à toutes les horreurs d'une longue captivité, devenus les jouets de quelques tyrans subalternes, privés de toutes consolations, menacés d'une privation totale d'alimens, n'espérant plus, et invoquant la mort comme l'unique voie de salut. Pescayre a fait connaître les noms obscurs des persécuteurs des malheureux prisonniers renfermés dans les couvens des Carmélites et de la Visitation, et il a révélé les crimes commis sous ses yeux ; mais l'impartialité n'a pas toujours guidé sa plume, et ses assertions ont quelquefois été démenties.
Il mourut en 18.. ; sa collection a été vendue, et il ne reste peut-être à Toulouse, des différens objets qu'il avait réunis, qu'un beau tableau peint à Rome par M. Lethière, et qui représente L'Invention de la Croix par Sainte Hélène. Ce tableau a été offert à l'église de Saint Jérôme par M. Pescayre ; il est placé au-dessus du maître autel de ce temple, qui était devenu la paroisse du donateur. » (1)
J'invoque le nom de Pescayre (N.) et je rapporte quelques extraits de son Tableau des prisons de Toulouse, sous le règne de Robespierre dans l'article intitulé À Caudeval et à Limoux. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. Après 1789, que sont-ils devenus ? J'ai voulu en savoir plus sur ce Pescayre (N.). Les renseignements que j'ai pu glaner, restent maigres. Les voici toutefois.
Vue du nº 1 de la rue Boulbonne aujourd'hui.
Sous l'anonymat prénominal de Pescayre (N.), il s'agit de Jean Baptiste Joseph Pescayre, natif peut-être de Narbonne. Dit en 1754 "négociant, demeurant à Toulouse, au nº 1 de la rue Boulbonne" (2), Jean Baptiste Joseph Pescayre achète en 1767 la charge de contrôleur aux gabelles, et en 1772 celle de procureur du roi à la maîtrise des ports (3).
Ci-dessus : vue du nº 28 de la rue de la Pomme aujourd'hui. En 1775, Jean Baptiste Joseph Pescayre demeure désormais au nº 28 de la rue de la Pomme, et il tient aussi le nº 30, qu'il loue à bail (4), et, en sus des charges notables qu'il exerce, il est dit alors "collectionneur" (5). Emmanuel Bocher, Les gravures françaises du XVIIIe siècle : ou, Catalogue raisonné des estampes, vignettes, eaux-fortes, pièces en couleur au bistre et au lavis, de 1700 à 1800, volume 6 : Jean Michel Moreau, dit Moreau le Jeune, Paris, Éditions Damascène Morgand et Charles Fatout, 1882, p. 703. En 1787, sans doute pour acheter d'autres oeuvres, ou encore pour financer la campagne qu'il mène en vue d'obtenir le poste de syndic de la Bourse des marchands, Jean Baptiste Joseph Pescayre vend divers dessins de Moreau le Jeune qu'il détenait dans son cabinet. En 1787, comme indiqué ci-dessus, Jean Baptiste Joseph Pescayre aspire à devenir syndic de la Bourse des marchands de Toulouse. Il mène campagne à cet effet au sein des milieux francs-maçons. Mais c'est finalement son rival Pierre Roussillou, négociant, qui remporte les suffrages de ses pairs (6). En 1788-1789, Jean Baptiste Joseph Pescayre conteste encore mordicus l'élection de Pierre Roussillou en tant que délégué de la sénéchaussée chargé de porter aux capitouls les voeux du Tiers Etat, puis en tant que représentant du Tiers aux Etats généraux. Le 25 avril 1793, Jean Baptiste Joseph Pescayre, "domicilié à Toulouse, 3ᵉ section, âgé de 55 ans, veuf, ayant deux enfants", est arrêté et enfermé à la prison de la Visitation, par mesure de sûreté émanant de la municipalité ; le 22 août 1793, il est transféré à la prison des Carmélites (7). Il y restera jusqu'au 18 vendémiaire an III (19 octobre 1794). À chaud, avant la fin du même an III, il publie son Tableau des prisons de Toulouse sous le règne de Robespierre, relation très noire de ce séjour historique. C'est à tort, selon moi, qu'Étienne Léon, baron de Lamothe-Langon, Jean Théodore Laurent-Gousse et Alexandre du Mège jugent son récit "mal écrit", sans doute parce que Jean Baptiste Joseph Pescayre a laissé au récit en question son caractère de journal. L'effet de « chose vue » s'en trouve sinistrement renforcé. L'humeur sarcastique et le franc-parler de Jean Baptiste Joseph Pescayre lui vaudront au demeurant quelques difficultés avec l'un de ses co-détenus qui a échappé à l'échafaud, tout comme lui. Le plaignant se nomme Éléonore de Mollis. « Ingénieur du Languedoc, Eléonore de Mollis a pris une part active aux premiers événements de 1789 à Paris. Il compte parmi les vainqueurs de la Bastille et de l'Arsenal ; Il entre dans la première légion de garde nationale formée dans cette ville, prête serment, fait les sacrifices en nature et en argent qu'on lui demande, mais, désillusionné, il se trouve revenu à des idées très modérées quand il part pour le Midi. Arrivé à Toulouse, il se lie, ayant du talent en musique et en peinture, avec des amateurs, gens fort paisibles, dont la vie, aux yeux des Jacobins, passe pour "indifférence et mépris des idées du jour". Déjà suspect par ses liaisons, Mollis le devient bien davantage quand paraît l'arrêté de Dartigoeyte contre les nobles. Il est arrêté, conduit d'abord à la Visitation, puis transféré aux Carmélites pour y rester sept mois malgré ses protestations comme quoi "fils d'un pauvre cadet de vingt-deux enfants, originaire du Rouergue, il n'a jamais eu en mains les titres prouvant cette noblesse dont on lui fait un crime". Il demande au représentant du peuple Mallarmé et en obtient un élargissement provisoire pour aller donner des soins à sa mère octogénaire et à son jeune frère épuisé de maladie. Le 6 pluviôse an III (25 janvier 1795) un arrêté du représentant du peuple libéré Mollis définitivement. » (8) Le rapport d'écrou qui concerne Eléonore de Mollis, dit ceci : Ci-dessus : Baron de Bouglon. Les reclus de Toulouse sous la terreur : Registres officiels concernant les citoyens emprisonnés comme suspects. deuxième fascicule, Toulouse, Edouard Privat Imprimeur-Libraire, 1895, p. 119. Dans son Tableau des prisons de Toulouse sous le règne de Robespierre, Jean Baptiste Joseph Pescayre, quant à lui, dit cela : Ci-dessus : Jean Baptiste Joseph Pescayre. Tableau des prisons de Toulouse sous le règne de Robespierre. Page 377. Furieux de se voir taxer de "bassesse", Éléonore de Mollis, dans L'Anti-Terroriste du mercredi 15 juillet 1795, adresse à Jean Baptiste Joseph Pescayre cette lettre ouverte : Ci-dessus : L'Anti-Terroriste, ou Journal des Principes. Suite au Journal du Département de Haute-Garonne, 27 messidor an III (15 juillet 1795), n° 45. Le décadi 30 nivôse an VIII (20 janvier 1800), le Journal de Toulouse. L'Observateur républicain, ou L'Anti-Royaliste annonce que la maison du Citoyen Pescayre, 3ᵉ section, nº 139, rue de la Pomme, est à vendre. Le Citoyen Pescayre est-il à cette date décédé ? Je n'ai pas trouvé mention d'un tel décès dans les registres toulousains des années précédentes. On déduira donc plus probablement de la vente de la maison de la rue de la Pomme que Jean Baptiste Joseph Pescayre, en l'an VIII, se trouve ruiné. La trace de l'homme et de ses enfants se perd ensuite, au moins à Toulouse. Journal de Toulouse. L'Observateur républicain, ou L'Anti-Royaliste. 30 nivôse an VIII (20 janvier 1800), n° 60. Peu de temps sans doute avant la Révolution, Jean Baptiste Joseph Pescayre offre à la chapelle des Pénitents bleus, aujourd'hui église Saint Jérôme, L'Invention de la Croix par Sainte Hélène, grand tableau (5,35 m sur 9 m) signé Guillaume Guillon Lethière. En 1805-1806, l'ancienne chapelle des Pénitents bleus, qui est devenue en 1801 église paroissiale, fait l'objet d'un réaménagement, sous la conduite de l'architecte P. Virebent. Celui-ci fait placer le tableau de Guillaume Guillon Lethière au-dessus du maître autel, emplacement majestueux où l'on peut voir l'oeuvre aujourd'hui encore. ----- 1. Étienne Léon, baron de Lamothe-Langon, Jean Théodore Laurent-Gousse, Alexandre Du Mège, Biographie toulousaine, ou Dictionnaire historique des Personnages qui par des vertus, des talens, des écrits, de grandes actions, des fondations utiles, des opinions singulières, des erreurs, etc. se sont rendus célèbres dans la ville de Toulouse, ou qui ont contribué à son illustration / par une Société de gens de lettre (Étienne Léon, baron de Lamothe-Langon ; Jean Théodore Laurent-Gousse, Alexandre du Mège), tome II, Paris, chez L.G. Michel, 1823, p. 158. Cf. Christine Belcikowski. À Toulouse. Une halte à l’église Saint Jérôme, ancienne chapelle des Pénitents bleus. 2. Jules Chalande, Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, Toulouse, 1926, p. 172. 3. Jack Thomas, « Toulouse, capitale judiciaire à l’époque moderne : un essai de bilan historiographique et cartographique », in Histoire de la justice, 2011/1, n° 21. 4. Jules Chalande, « Histoire des rues de Toulouse », in Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, Toulouse, 1929, pp. 85 et 87-88. 5. Ibidem. 6. Cf. Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, Toulouse, 1939, pp. 195-196. 7. Baron de Bouglon, Les reclus de Toulouse sous la terreur : Registres officiels concernant les citoyens emprisonnés comme suspects, premier fascicule, Édouard Privat Imprimeur-Libraire, Toulouse, 1895, p. 104. 8. Baron R. de Bouglon. Les reclus de Toulouse sous la terreur : registres officiels concernant les citoyens emprisonnés comme suspects, deuxième fascicule, Toulouse, Édouard Privat Imprimeur-Libraire, 1895, p. 119.