En 1793, Jean Baptiste Louvet de Couvray, juge de Robespierre et de Marat

Rédigé par Christine Belcikowski Aucun commentaire
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Le 29 octobre 1792, Jean Baptiste Louvet, dit Louvet de Couvray, député du Loiret, proche des Girondins, par ailleurs écrivain et polémiste connu, profère à la Convention une violente diatribe contre Robespierre et Marat. Dans cette diatribe, il accuse Robespierre d'abus de pouvoir, puis Robespierre, Marat et Danton d'être politiquement responsables des massacres de Septembre, enfin le même Robespierre d'avoir fait élire « l'odieux » Marat député de la Seine à la Convention, et poussé le bon « docteur Priestley », élu député de l'Orne, à démissionner de son mandat, vingt jours après son élection.p>

I. Joseph Prietsley, un pasteur anglais, élu le 9 septembre 1792 député de l'Orne

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Portrait de Joseph Priestley par Ozias Humphrey (1742–1810), Science History Institute.

Joseph Priestley, né en 1733 à Birstall, (Angleterre), mort en 1804 à Northumberland (États-Unis), est un pasteur dissident, philosophe politique, défenseur de la liberté de penser, partisan de la tolérance religieuse et de l'égalité des droits pour les dissidents religieux, d'où, à ce titre, l'un des fondateurs de l'église chrétienne libérale anglaise, dite « unitariste ». Jugée sandaleuse, son apologie de la tolérance religieuse l'expose très tôt à la haine des fanatiques anglicans, qui le rattraperont en 1791, comme on verra plus bas. Joseph Priestley est connu également pour ses travaux de chimie et de physique, en particulier pour la découverte de l'oxygène. En 1774,il se rend à Paris afin de présenter ses travaux à Antoine Laurent Lavoisier. Il est admis à l'Académie Royale des Sciences. « Il y occupa l'un des huit fauteuils d'associés étrangers, les fauteuils les plus enviés de l'Académie, réservés à un nombre restreint de savants éminents et dont Newton avait été l'un des premiers titulaires. » (1)

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Portrait d'Antoine Laurent Lavoisier (1743-8 mai 1794, guillotiné) par François Séraphin Delpech (1778-1825).

Tenant de l'idéologie des Lumières, Joseph Priestley augure que le progrès des sciences n'ira pas sans « opérer dans l'état du monde actuel de nouveaux changements qui seront d'une plus grande conséquence pour son avancement et son bonheur ». Mais, observant que « les grands et les riches donnent en général moins d'attention aux travaux scientifiques », il ajoute que « cette perte est réparée par les hommes qui, avec du loisir, de l'esprit et de la franchise, sont dans un rayon moyen. Circonstance qui promet plus pour la continuation des progrès dans les connaissances utiles que la protection des grands et des rois. » (1)

En 1789, déjà favorable à la cause des Insurgents américains, Joseph Priestley accueille avec enthousiasme la nouvelle de la prise de la Bastille et il salue « l'action d'un peuple qui a le courage de répudier un esclavage séculaire et d'imiter les Américains. "Le 14 juillet, dit-il, est un jour à être aussi bien sanctifié par l'Histoire, que notre 30 janvier", jour anniversaire de la décapitation de Charles I. »

« Le 14 juillet 1791, à Birmingham, une centaine d'amis de la Révolution française se réunissent en un banquet pour célébrer le deuxième anniversaire de la prise de la Bastille. Une populace excitée par les ennemis de Priestley qui, prévenu, n'assistait pas à la réunion, envahit sa maison et met le feu à son laboratoire. Ses instruments, ses manuscrits, sa bibliothèque, sa maison, tout est converti en un monceau de cendres ; il en est de même de sa chapelle ainsi que des propriétés de ses amis. L'Académie des Sciences chargea Condorcet, son Secrétaire perpétuel, d'exprimer à son associé étranger toute sa sympathie. » (1)

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Non signé, portrait de Jean Antoine Nicolas de Caritat de Condorcet (1743-mort le 29 mars 1794 en prison à Bourg-la-Reine, de façon non élucidée).

Joseph Prietstley adresse à Condorcet la réponse suivante : « Je suis plus que consolé de mes pertes en apprenant que les membres de l'Académie des Sciences m'ont fait l'honneur de s'intéresser à ce qui m'est arrivé et particulièrement en observant que les amis de la philosophie sont, ce qu'ils doivent toujours être, des amis de la liberté universelle. Quant à nous, nous venons d'avoir une preuve que les ennemis de l'un sont aussi les ennemis de l'autre. [...]. Ne croyez pas, Monsieur, que ces amis du clergé et du Roi forment la Nation anglaise. La partie sage de notre Nation pense d'une manière plus sensée et désapprouve également les maximes de ces factieux et les moyens qu'ils ont employés pour leur donner de la force. La Nation anglaise, en général, respecte les Français et quoiqu'il y ait pour le moment présent un trop grand nombre d'erreurs sur son compte, elle rivalisera avec vous dans les choses vraiment grandes, dans tout ce qui peut entretenir la paix et la bienveillance avec ses voisins, particulièrement avec vous qui nous serez toujours très chers, par les généreux efforts que vous avez faits en faveur de la liberté et de la paix universelle. » (1)

Toujours en 1791, réfugié alors à Clapton, près de Hackney, Joseph Priestley publie An Appeal to the Public on the Subject of the Riots in Birmingham, pamphlet dans il fustige la complicité des habitants de Birmingham avec les émeutiers qui ont saccagé sa maison. Il est alors brûlé en effigie, en compagnie de Thomas Paine (2).

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The Death of Pain[e] and P[riestle]y. Both executed [en effigie] for high Treason and Murder, caricature anonyme.

Le 26 août 1792, « considérant que les hommes qui, par leurs écrits et par leur courage, ont servi la cause de la liberté et préparé l’affranchissement des peuples, ne peuvent être regardés comme étrangers par une nation que ses lumières et son courage ont rendue libre ; considérant que si cinq ans de domicile en France suffisent pour obtenir à un étranger le titre de citoyen français, ce titre est bien plus justement dû à ceux qui, quel que soit le sol qu’ils habitent, ont consacré leurs bras et leurs veilles à défendre la cause des peuples contre le despotisme des rois, à bannir les préjugés de la terre, et à reculer les bornes des connaissances humaines ; considérant que, s’il n’est pas permis d’espérer que les hommes ne forment un jour devant la loi, comme devant la nature, qu’une seule famille, une seule association, les amis de la liberté, de la fraternité universelle n’en doivent pas être moins chers à une nation qui a proclamé sa renonciation à toute conquête et son désir de fraterniser avec tous les peuples ; considérant enfin, qu’au moment où une Convention nationale va fixer les destinées de la France, et préparer peut-être celles du genre humain, il appartient à un peuple généreux et libre d’appeler toutes les lumières et de déférer le droit de concourir à ce grand acte de raison, à des hommes qui, par leurs sentiments, leurs écrits et leur courage, s’en sont montrés si éminemment dignes ;

Déclare déférer le titre de citoyen français au docteur Joseph Priestley, à Thomas Payne, à Jérémie Bentham, à William Wilberforce, à Thomas Clarkson, à Jacques Mackintosh, à David Williams, à Giuseppe Gorani, à Anacharsis Cloots, à Corneille Pauw, à Joachim Henry Campe, à Johann Heinrich Pestalozzi, à Georges Washington, à Jean Hamilton, à James Madison, à Friedrich Gottlieb Klopstock et à Thadée Kosciuszko. » (3).

Le 9 septembre 1792, l'Assemblée valide l'élection à la Convention nationale française de Joseph Priestley, qui a été proposé à cette élection par deux départements, l'Orne et le Rhône-et-Loire, et qui a été élu député de l'Orne. Le 10 septembre, la même Assemblée valide l'élection à la Convention nationale française de Thomas Paine, qui a été élu député de l'Aisne.

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9 septembre 1792. Élection de Joseph Priestley. Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série (1787 à 1799), tome XLIX : du 26 août 1792 au 15 septembre 1792 au matin, Paris, Paul Dupont, Éditeur, 1896, p. 497.

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10 septembre 1792. Élection de Thomas Paine. Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série (1787 à 1799), tome XLIX : du 26 août 1792 au 15 septembre 1792 au matin, Paris, Paul Dupont, Éditeur, 1896, p. 534.

En Angleterre, cette double élection vaut à Joseph Priestley et à Thomas Paine d'être une fois encore cibles de caricatures cruelles.

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The Friends of the People, caricature signée le 15 novembre 1792 par Isaac Cruikshank (1764–1811), Science History Institute. Joseph Priestley, à gauche, est assis à une table avec Thomas Paine (à droite), qui est assis, lui, sur un baril de poudre. Un diable leur sourit, accroupi sur le bord de la table. Ils s'apprêtent à déguster un bol de phosphore et un plat d'ossements. Derrière eux s'entassent des livres, tous relatifs à la trahison, au meurtre, à la révolution, etc. À leur pied, des fusils, des couteaux, des haches, etc. Sur les murs, une suite d'images représente le triste destin de la famille royale ou de l'aristocratie française. Sur la dernière image, sous-titrée « Guillotin », on voit s'élever un échafaud.

Le 28 septembre 1792, Joseph Priestley se démet de son mandat de député de l'Orne. Il est remplacé par Louis Toussaint Jullien-Dubois (1736-1806), député suppléant de l'Orne, homme de loi à Bellême.

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28 septembre 1792. Lettre de démission de son mandat de député par Joseph Priestley. Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série (1787 à 1799), tome LII : du 22 septembre 1792 au 26 octobre 1792, Paris, Paul Dupont, Éditeur, 1896, p. 191.

Toujours cible de haines et menacé de poursuites en Angleterre, Joseph Prietsley embarque pour l'Amérique le 7 avril 1794 avec les siens. En mai 1794, le gouvernement de William Pitt commence d'arrêter des dissidents politiques pour « calomnie séditieuse ». Joseph Priestlay et sa famille arrivent à New York le 4 juin 1794. En novembre 1794, William Pitt engage un procès pour trahison à l'encontre desdits dissidents, dont relevait Joseph Priestley, parti à temps.

Joseph Priestley se heurtera en Amérique à nombre de difficultés encore, publiques et privées. Il mourra le 6 février 1804 à Northumberland, en Pennsylvanie.

II. Jean Paul Marat, « homme de lettres », élu le 9 septembre 1792 député de la Seine à la Convention

II.1. Jean Paul Marat avant Marat. 1743-1789. En Suisse, à Bordeaux, à Paris, en Angleterre, et à Paris derechef.

Né en 1743 à Boudry, dans la principauté de Neuchâtel, fils de Jean Baptiste Mara, d'origine sarde, capucin défroqué converti au calvinisme, dessinateur en indiennes, et de Louise Cabrol, née à Genève dans une famille calviniste originaire du Rouergue, Jean Paul Marat, après avoir poursuivi des études au collège, quitte sa famille et Neuchâtel en 1759, soit à l'âge de 16 ans. Il devient à Bordeaux précepteur des enfants de Pierre Paul Nairac, armateur négrier. En 1762, il gagne Paris et y acquiert en autodidacte une pratique de la médecine. Il lit l'Esprit des lois et le Contrat social. En 1765, il migre à Londres, où il donne quelques consultations comme médecin et vétérinaire et poursuit des études de physique. Il loge alors Church Street, dans le quartier de Soho, et d'après les Mémoires de Jean Pierre Brissot qui fut un temps son ami, il a entretenu à Soho, au début des années 1770, une liaison avec Angelina Kaufmann, peintre née en Suisse comme lui.

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Autoportrait d'Angelina Kaufmann entre 1780 et 1785, Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.

En 1768, Jean Paul Marat soutient la cause de John Wilkes, dit Junius, qui s'oppose au gouvernement autoritaire de George III et se déclare en faveur cause des Insurgents américains. Il écrit Les Aventures du jeune comte Potowski, un roman épistolaire qu'il ne publie pas, puis Essay on the Human Soul, publié anonymement en 1772, puis The Chains of Slavery, publié en 1774, dans le contexte de l'élection mouvementée qui permet à Johne Wilkes, défenseur de la liberté de la presse, de l'inviolabilité parlementaire et du droit des classes moyennes à élire leurs représentants, de devenir Lord-maire de Londres. Dans les Chaînes de l'esclavage, Jean Paul Marat développe, quant à lui, « une théorie de l’insurrection populaire, dont la spontanéité et l’immaturité nécessitent l’intervention d’un chef, pour éviter qu’elle ne dégénère ». (4)

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John Wilkes, détail du portrait de John Glynn, John Wilkes and John Horne Tooke, œuvre d'un peintre anonyme d'après Richard Houston (1721–1775), National Portrait Gallery, London.

Le texte des Chaînes de l'esclavage commence par un « Discours aux électeurs de la Grande-Bretagne ». L'agressivité de ce discours et de l'ouvrage tout entier explique pourquoi John Wilkes, une fois devenu Lord-maire, omet de remercier Marat de l'envoi de son livre, et pourquoi les éditeurs, même moyennant finance, refusent d'assurer la diffusion du livre en question. Marat en éprouve alors une noire amertume.

Extrait du « Discours aux électeurs de la Grande-Bretagne. »

« Messieurs, si en rassemblant sous vos yeux, dans un même tableau, les odieux artifices qu'emploient les princes pour se rendre absolus, et les scènes épouvantables du despotisme, je pouvais révolter vos cœurs contre la tyrannie, et les enflammer de l'amour de la liberté, je m'estimerais le plus heureux des hommes.

Le parlement actuel touche à sa fin, et jamais dissolution ne fut plus désirée par un peuple opprimé : vos droits les plus sacrés ont été violés avec audace par vos représentants ; vos remontrances ont été artificieusement repoussées par le trône ; vos réclamations ont été étouffées avec perfidie, en multipliant les griefs qui les excitèrent ; vous mêmes avez été traités comme des sujets remuants, suspects et mal affectionnés. Telle est notre position ; et si bientôt elle ne change, le peu de liberté qui vous est laissé, est prêt à disparaître. Mais l'heure des réparations s'avance, et il dépend de vous d'obtenir la justice que vous réclamez en vain depuis si longtemps.

Tant que la vertu règne dans le grand conseil de la nation, les droits du peuple et les prérogatives de la couronne, se balancent de manière à se servir mutuellement de contre-poids. Mais dès qu'on n'y trouve plus ni vertu ni honneur, l'équilibre est détruit ; le parlement qui était le glorieux boulevard de la liberté Britannique, est métamorphosé en une faction audacieuse qui se joint au cabinet, cherche à partager avec lui les dépouilles de l'État, entre dans tous les complots criminels des fripons au timon des affaires, et appuie leurs funestes mesures ; en une bande de traîtres masqués qui, sous le nom de gardiens fidèles, trafiquent honteusement des droits et des intérêts de la nation : alors le prince devient absolu, et le peuple esclave ; triste vérité dont nous n'avons fait que trop souvent la triste expérience.

De vous seuls, Messieurs, dépend le soin d'assurer l'indépendance du parlement ; et il est encore en votre pouvoir de faire revivre cette auguste assemblée, qui, dans le dernier siècle, humilia l'orgueil d'un tyran, et rompit vos fers : mais pour cela, combien ne devez-vous pas vous montrer délicats, dans le choix de vos mandataires ?

Rejetez hardiment tous ceux qui tenteraient de vous corrompre : ce ne sont que des intrigants qui cherchent à augmenter leurs fortunes aux dépens de leur honneur, et du bien être de leur patrie.

Rejetez tous ceux qui tiennent quelques places de la cour, quelque emploi des officiers de la couronne ; quelque commission que le roi peut améliorer : comment des hommes aussi dépendants, et semblables à ceux qui remplissent aujourd'hui le sénat, vous représenteraient-ils avec intégrité ?

Rejetez ceux qui mendient vos suffrages ; vous n'avez rien de bon à attendre de ce côté là : s'ils n'étaient jaloux que de l'honneur de servir leur patrie, descendraient-ils à un rôle aussi avilissant ? Ces basses menées sont les allures du vice, non de la vertu : sans doute, le mérite aime les distinctions honorables ; mais content de s'en montrer digne, il ne s'abaisse point à les solliciter, il attend qu'elles lui soient offertes.

Rejetez tous ceux qui sont décorés de quelques titres pompeux : rarement ont-ils des lumières, plus rarement encore ont-ils des vertus : que dis-je ? ils n'ont de la noblesse que le nom, le luxe, les travers et les vices.

Rejetez la richesse insolente ; ce n'est pas dans cette classe que se trouve le mérite qui doit illustrer le sénat.

Rejetez la jeunesse inconsidérée, quel fond pourriez-vous faire sur elle ? Entièrement livrée au plaisir dans ce siècle de boue, la dissipation, le jeu, la débauche absorbent tout son temps ; et pour fournir aux amusements dispendieux de la capitale, elle serait toujours prêt à épouser la cause du cabinet. Mais fut-elle exempte de vices ; peu instruite des droits du peuple, sans idée des intérêts nationaux, incapable d'une longue attention, souffrant avec impatience la moindre gêne, et détestant la sécheresse des discussions politiques, elle dédaignerait de s'instruire pour remplir les devoirs d'un bon serviteur.

Choisissez pour vos représentants des hommes distingués par leur habileté, leur intégrité, leur civisme ; des hommes versés dans les affaires publiques, des hommes qu'une honnête médiocrité met à couvert des écueils de la misère, des hommes que leur mépris pour le faste garantit des appâts de l'ambition, des hommes qui n'ont point respiré l'air infect de la cour, des hommes dont une sage maturité embellit une vie sans reproche, des hommes qui se distinguèrent toujours par leur amour pour la justice, qui se montrèrent toujours les protecteurs de l'innocence opprimée, et qui dans les différents emplois qu'ils ont remplis n'eurent jamais en vue que le bonheur de la société, la gloire de leur pays.

Ne bornez pas votre choix aux candidats qui se présenteront, allez au-devant des hommes dignes de votre confiance, des hommes qui voudraient vous servir, mais qui ne peuvent disputer cet honneur à l'opulent sans mérite, qui s'efforce de vous l'arracher ; et prenez-vous-y de manière que le désir de vous consacrer leurs talents ne soit pas acheté par la crainte de déranger leurs affaires ou de ruiner leur fortune : repoussez avec horreur toute voie de corruption, montrez-vous supérieurs aux largesses, dédaignez même de vous asseoir à des tables prostituées.

Le cabinet suivant sa coutume, va déployer les plus grands efforts pour influencer votre choix. Les attraits de la séduction triompheront-ils de votre vertu ? La fierté anglaise est-elle donc si fort avilie qu'il ne se trouve plus personne qui rougisse de se vendre ? Lorsque de si grands intérêts commandent impérieusement, les petites passions oseront-elles élever leurs voix ? méritent-elles donc d'être satisfaites à si haut prix ? À quels désastres mène le mépris des devoirs ! Voyez vos sénateurs passer les journées entières à préparer, corriger et refondre des bills pour consacrer la propriété de leurs lièvres ou de leurs chiens : tandis que la moitié du peuple périssant de misère par la surcharge des impôts ou les malversations des accapareurs, leur demande du pain. Voyez votre patrie couverte des blessures que lui ont faites les agents de la cour, épuisée d'inanition et baignée dans son sang !

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Dean Wolstenholme the elder (1757–1837), Greyhounds coursing a hare, Lévriers coursant un lièvre.

Messieurs ! la nation entière a les yeux sur vous, dont elle attend le terme de ses souffrances, le remède à ses maux. Si votre cœur, fermé à tout sentiment généreux, refusait à vos compatriotes la justice que vous leur devez : du moins, sachez sentir la dignité de vos fonctions, sachez connaître vos propres intérêts. C'est à vous qu'est confié le soin d'assurer la liberté du peuple, de, défendre ses droits. Pendant le cours des élections, vous êtes les arbitres de l'état, et vous pouvez forcer à trembler devant vous, ces mêmes hommes qui voudraient vous faire trembler devant eux. Serez-vous sourds à la voix de l'honneur ? Ah, comment une mission aussi sublime pourrait-elle s'allier avec l'infamie de la vénalité ? Que dis-je ? Ces candidats qui prodiguent l'or et n'épargnent aucune bassesse pour vous mettre dans leurs intérêts, n'ont pas plutôt extorqué vos suffrages, qu'ils laissent percer leur orgueil, et vous accablent de dédains. Punissez-les de leur insolence, repoussez leurs caresses hypocrites, songez au mépris qui les suit, et faites tomber votre choix sur des hommes pénétrés de ce qu'ils doivent à leurs commettants. » (5)

En 1774 toujours, Marat est reçu dans la loge des Maçons-libres de Soho et dans la loge Bien-Aimée d’Amsterdam. En 1775, il reçoit le titre de docteur en médecine et de praticien en physique à l'Université d'Edimbourg, et il rédige un traité des maladies vénériennes. En 1776, il publie en Angleterre un ouvrage sur le traitement de la presbytie accidentelle, et à Amsterdam, chez Michel Rey, éditeur aussi de Jean Jacques Rousseau, un essai médico-philosophique intitulé De l'homme ou des principes et des lois de l'influence de l'âme sur le corps et du corps sur l'âme,, ouvrage partiellement repris de son Essay on the Human Soul et destiné à répondre aux thèses d'Helvétius dans son De l'Homme, daté de 1773. En 1777, dans le Journal de politique et de littérature, Voltaire critique ainsi l'ouvrage de Marat  :

« Il est plaisant qu'un médecin cite deux romans, l'un nommé Héloïse, et l'autre Émile, au lieu de citer Boerhaave et Hippocrate. Mais c'est ainsi qu'on écrit trop souvent de nos jours. On confond tous les genres et tous les styles. On affecte d'être ampoulé dans une dissertation physique, et de parler de médecine en épigrammes. Chacun fait ses efforts pour surprendre ses lecteurs. On voit partout Arlequin qui fait la cabriole pour égayer le parterre. » (6)

Décu de ses années anglaises, qui ne lui ont pas permis d'atteindre à la reconnaissance espérée, Marat rentre à Paris en 1777 et y devient médecin des gardes du comte d’Artois, second frère du roi Louis XVI. « Il le doit sans doute à la guérison remarquée d’une malade "pulmonique", quasiment condamnée, la marquise de L’Aubespine, qui lui ouvre ensuite les portes des salons parisiens en vogue » (7). Nanti d'un traitement annuel de 2 000 livres et d'un appartement de fonction, rue de Bourgogne, où il donne des consultations privées, il se fait appeler M. de Marat, dispose d'un blason (8) et porte l'épée. Il usera de cette épée en 1783 ! en se battant en duel avec le physicien Jacques Alexandre César Charles, qui fera voler cette année-là le premier ballon à gaz gonflé à l'hydrogène et qui formulera en 1787, pour la première fois aussi, la loi de la dilatation des gaz. Il se dit alors d'origine espagnole et de naturalité prussienne, puisque né dans la principauté de Neuchâtel, et il ne semble pas avoir fait l'objet de lettres de naturalisation avant 1789.

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« L'écusson, surmonté d'une couronne comtale, est parti ; au premier (émail inconnu) à un demi-aigle de (émail inconnu) au vol abaissé, mouvante du parti ; au 2e tranché en chef de (émail inconnu) à la bande ou demi-chevron de (émail inconnu) et en pointe de pourpre ; ce dernier émail était seul indiqué. »
« D'après les spécialistes, ces armoiries seraient de fantaisie, car on y remarque deux graves fautes de blason. Quoi qu'il en soit, Marat a cacheté plusieurs lettres avec ce cachet armorié. Nous en connaissons au moins deux : l'une, datée du 26 mars 1788, et signée de Marat, était adressée à M. de la Métherie, nº 10, rue Saint-Nicaise. L'autre est un simple billet, qu'envoyait, le 28 décembre 1789, Marat à Camille (Camille Desmoulins ?). Marat, rapproché des plus grands seigneurs de la Cour par ses fonctions de médecin des gardes du comte d'Artois, avait-il voulu se fabriquer une généalogie ? Avait-il acheté le cachet tout gravé ; ou l'avait-il commandé pour son usage personnel ? » 

Peu satisfait par la médecine et par cette « profession de charlatan indigne de lui », Jean Paul Marat rédige pendant ses nuits un Plan de législation criminelle, qu'il présente au concours organisé par la Société économique de Berne. Il reprend dans ce Plan les idées de Beccaria et celles de Mably, sur « l’abolition de la torture, la proportionnalité des peines par rapport à la nature des délits, la dénonciation de l’arbitraire et des justices d’exception » (9). « Celui qui vole pour vivre lorsqu’il ne peut faire autrement, ne fait qu’user de ses droits », dit Marat dans son Plan. On ne s'étonnera pas de ce qu'un tel Plan n'ait pas remporté en 1777 le prix bernois.

Décu par ce nouvel échec, Marat retourne alors à son ancienne passion de la physique. En 1779, il envoie aux principales Académies européennes ses Découvertes sur le feu, l'Électricité et la Lumière.

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Réception des expériences de Marat sur la lumière par l'Académie des Sciences.

Visité et soutenu par Benjamin Franklin et Jean Baptiste de Lamarck, Jean Paul Marat invite Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, et autres membres de l'Académie des Sciences, à se prononcer sur ses travaux. Le 10 mai 1780, verdict de Condorcet, ainsi résumé dans une lettre adressée à d'Alembert, dit-on :

« Vous me paraissez un peu prévenu contre ces Académies, vous les croyez animées d'un esprit de corps qui les porte à se rendre difficiles. Je leur reprocherais plutôt d'être trop faibles. L'affaire de M. Marat en est une preuve. Le seul tort de l'Académie a été d'avoir eu l'air d'accueillir des expériences données comme nouvelles mais qui étaient connues, et qui n'avaient de neuf que le jargon systématique dont l'auteur les avait revêtues. Les Académies ont deux utilités incontestables : la première, d'être une barrière toujours opposée au charlatanisme dans tous les genres, et c'est pour cela que tant de gens s'en plaignent ; la seconde, de maintenir la bonne méthode dans les sciences. » (10)

La vengeance de Jean Paul Marat viendra en 1791 avec Les Charlatans modernes ou Lettre sur le charlatanisme académique, ouvrage dans lequel Marat pourfend — à charlatan, charlatan et demi ! — la « bonne méthode » de Condorcet et le principe des Académies.

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De gauche à droite : Pierre Simon de Laplace (1749-1827) ; Jean Le Rond d'Alembert (1717-1783) ; Jacques Alexandre César Charles (1748-1823).

Dans les déceptions qu'il essuie en 1780, Jean Paul Marat bénéficie de la solidarité de Jean Pierre Brissot, qui cherche comme lui à se faire reconnaître et qui a échoué comme lui au concours de la Société économique de Berne. Entre 1780 et 1784, tous deux multiplient les attaques contre les tenants de l'ordre académique : Brissot contre le mathématicien, astronome, physicien Pierre Simon de Laplace et contre le mathématicien, physicien, philosophe et encyclopédiste Jean Le Rond d'Alembert ; Marat, de la pointe de son épée, contre le physicien Jacques Alexandre César Charles.

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Ascension de Messieurs Charles et Robert, aux Tuileries, le 1er décembre 1783, toile non signée, Musée Carnavalet.

Dans le même temps, Marat s'essaie chez lui à « l'électricité médicale » pour traiter ses patients et il prolonge cet essai par des expériences sur des animaux. En 1783, de façon anonyme, il propose un Mémoire sur l’électricité médicale au concours de de l’Académie des Sciences, Belles-lettres et Arts de Rouen, et, le 6 août, divine surprise ! il obtient la médaille d'or. Mais pour une raison qu'on ignore, compulsion d'échec ou peur de perdre son emploi de médecin des gardes du comte d'Artois, il ne se fait pas connaître auprès de l'Académie de Rouen et ne réclame pas son prix.

En 1783 toujours, nouvelle déconvenue : après avoir sollicité le poste de directeur de l'Académie des sciences de Madrid, alors en cours de création, Marat apprend à la fin de l'année que sa candidature est rejetée. Il voit dans ce rejet la main de Condorcet, qui a effectivement servi de conseil dans la création de cette Académie, mais qui n'a point eu à se prononcer sur la candidature de Marat.

En 1785, il propose sans succès un Éloge de Charles de Secondat [baron de la Brède et de Montesquieu] à l'Académie de Bordeaux. En 1786, il propose, sans succès là encore, ses Recherches physiques à Frédéric II de Prusse. En juin 1788, il publie, sans succès bis repetita ses Nouvelles découvertes sur la lumière, dans lesquelles, observant que « Newton, qui ne lassa point d'examiner les objets, ne parvint jamais à les voir », il explique, entre autres, comment faire pour « souffler des bulles de savon » (11) :

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Jean Paul Marat, Mémoires académiques ou Nouvelles découvertes sur la Lumière, relatives aux points les plus importans de l'Optique, Paris, chez N. T. Méquignon, 1788, p. 306

Après cette publication, Marat quitte ou perd sa charge de médecin des gardes du comte d'Artois. Il doit quitter son bel appartement de la rue de Bourgogne (VIIe arr.) pour se loger pauvrement au nº 47 de la rue du Vieux-Colombier (VIe arr.). « La seule passion qui dévorait mon âme était l’amour de la gloire », dira-t-il le 14 janvier 1793, dans le n° 98 du Journal de la République Française. Épuisé pour lors par trop de nuits blanches passées à écrire et à boire des litres de café, malade, il se croit fini, et, en juillet 1788, il rédige son testament. On ne sait ce qu'il advient lui alors, jusqu'à ce jour du 8 août 1788 où l'annonce de la réunion des États généraux le ressucite !

II.2. Marat après Jean Paul Marat. 1789-1793. De l'Offrande à la Patrie ou Discours au Tiers-État de France à L'Ami du peuple ou Le publiciste parisien. Du journalisme à la députation

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Portrait de Jean Paul Marat par Jean François Garneray (1755–1837), Versailles, Musée Lambinet.

En janvier 1789, dans le sillage ouvert le même mois par l'abbé Sieyès avecQu'est-ce que le Tiers-État ?, Marat publie son Offrande à la Patrie, ou Discours au Tiers-État de France. Riche de sa connaissance de la Constitution anglaise, il en tire une force de proposition à l'endroit de la Constitution française à venir, et il en fera la preuve en août en présentant à l'attention des États généraux son Tableau des vices de la Constitution anglaise — Constitution envisagée à titre de modèle à amender et à parfaire —, puis sa Constitution ou projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen, suivi d’un plan de constitution juste, sage et libre par l’auteur de l’Offrande à la patrie. S'érigeant dès lors en porte-parole du Tiers-État, il dénonce l'usage abusif de la censure en France et insiste sur la nécessité de rendre la presse libre.

Dans le premier d'une suite de six discours, Marat déclare aux Français qu'il sont « libres » maintenant, et qu'ils doivent avoir désormais « le courage » de l'être :

« Ô François ! vos maux sont finis, si vous êtes las de les endurer : vous êtes libres, si vous avez le courage de l'être. [...]. Grâce aux lumières de la Philosophie, le temps est passé, où l'homme abruti se croyoit esclave. Honteux de leurs funestes maximes, les suppôts de la tyrannie gardent le silence ; de toutes parts les sages élevent la voix, ils répètent aux Monarques, qu'en tout État, la souveraine puissance réside dans le Corps de la Nation, que de lui émane toute autorité légitime, que les Princes ont été établis pour faire observer les Loix, qu'ils y font soumis eux-mêmes, qu'ils ne règnent que par la justice, et qu'ils la doivent au dernier de leurs Sujets. » (12)

Dans son deuxième discours, Marat s'attache à définir en quoi consiste selon lui le Tiers-État. On remarque qu'il inclut dans le Tiers-État possiblement toute la Nation, à l'exception de certains gentilshommes, magistrats, seigneurs, prélats et princes qui auraient oublié de « se contenter d'être de simples Citoyens », et plus particulèrement encore à l'exception des membres des Parlements, qui auraient « abandonné » le Tiers-État :

« Ainsi le Tiers-État de France est composé de la classe des Serviteurs, de celles des Manœuvres, des Artisans, des Marchands, des Gens d'affaires, des Négociants, des Cultivateurs, des Propriétaires fonciers et des Rentiers non titrés ; Instituteurs, des Artistes, des Chirurgiens, des Médecins, des Lettrés, des Sçavants, des Gens de Loi, des Magistrats des Tribunaux subalternes, des Ministres des Autels, de l'armée de terre et de mer : légion innombrable, invincible, qui renferme dans son sein les lumières, les talents, la force et les vertus.

À sa tête se mettent ces Gentilshommes généreux, ces Magistrats respectables, ces Seigneurs vraiment Nobles, ces Prélats vertueux, ces Princes magnanimes qui oublient leurs prérogatives, épousent votre cause, et se contentent d'être de simples Citoyens.

À la tête devroient aussi se mettre ces Sénateurs trop longtemps exaltés, qui prétendent être les pères du Peuple et les dépositaires des Loix ; mais les Parlements ont abandonné le Tiers-État, et le Tiers-État les abandonne à son tour. » (13)

À l'issue de ses six discours, Marat oppose au triste souvenir du passé immédiat la vision d'un avenir radieux. Il compte cependant encore sur la « sagesse » présumée d'un Roi capable de voir qu'il a été trahi par de mauvais serviteurs :

« À l'idée de ce jour si désiré, où la Nation livrée aux transports de la joie, pourra s'écrier, je suis libre, quelle émotion délicieuse coule dans mes veines, et pénètre mon coeur ! Non, ce n'est point un songe, et déjà j'ose porter mes regards sur l'avenir.

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Léonard Defrance (1735–1805), L'abolition de la servitude dans les domaines du roi Louis XVI le 8 août 1787, huile sur bois, collection privée, source : Françoise Dehousse, Maïté Pacco, Maurice Pauchen, Léonard Defrance. L’œuvre peint, éditions du Perron et Eugène Wahle, Liège, 1985.

Ô ma Patrie, que je te vois changée ! Où sont ces malheureux dévorés par la faim, sans foyers, sans asyles, et livrés au désespoir, que tu semblois rejetter de ton sein ? Où sont ces infortunés à demi-nuds, épuisés de fatigue, pâles et décharnés, qui peuploient tes campagnes et tes villes ? Où sont ces essaims nombreux d'exacteurs qui fourrageoient tes champs, bloquoient tes barrières et ravageoient tes Provinces ?

Le Peuple ne gémit plus sous le poids accablant des impôts. Déjà le Cultivateur a du pain, il est couvert et il respire ; déjà l'Ouvrier et le Manœuvre partagent le même sort ; déjà l'Artisan ne souffre plus du besoin, et le Ministre assidu des Autels ne languit plus dans la pauvreté.

Du temple de la liberté jaillissent mille sources fécondes. L'aisance règne dans tous les états ; l'amour du bien-être anime tous les ceurs. Sûr de recueillir le fruit de son travail, chacun s'évertue et cherche à se distinguer : les arts se perfectionnent, les atteliers se montent, les manufactures prosperent, le commerce fleurit ; la terre enrichit ses possesseurs, ils connoissent l'abondance ; et une multitude d'époux qui sacrifioient la postérité à la peur de l'indigence, ne craignent plus de te donner des enfants.

Que de nouveaux bienfaits accordés à tes vœux ! Des Loix odieuses ônt fait place à des Loix justes, mais inflexibles. Déjà le crime ne compte plus sur l'impunité, l'innocence rassurée commence à reposer en paix, les méchants effrayés songent à devenir gens de bien, et les noirs cachots ne retentissent plus des sourds gémissements de cette foule de coupables que le désespoir y précipitoit.

À la voix de ta sagesse, ont disparu ces Administrateurs inhabiles, ces dévastateurs, ces concussionnaires, ces déprédateurs qui dévoroient tes entrailles ; ces Juges corrompus qui te vendoient la justice, ou qui la faisoient servir à leurs passions criminelles ; ces lâches diffamateurs qui afiligeoient la vertu et ces effrontés spéculateurs qui dépouilloient la simplicité crédule ; ces intriguants désœuvrés qui enlevoient les récompenses au génie laborieux. Déjà le mérite se montre, les talents percent, ils se consacrent au bien public, et se disputent à l'envi l'honneur de faire fleurir l'État.

Plus de préférences déplacées : le Monarque appelle à lui de toutes parts le mérite personnel.

Il éloigne des Autels, les Prêtres scandaleux ; il ne veut plus que le pain du pauvre soit la proie des Ouvriers du luxe, des femmes galantes, des prostituées ; il demande des Ministres de l'Évangile, du zèle et des mœurs. Quelle réforme dans l'Église. Déjà ses Dignitaires ne s'enivrent plus de délices et de voluptés : déjà ils se distinguent par leurs lumières et leurs vertus. Une Noblesse nombreuse, qui attendoit dans l'oisiveté et la dissipation les grâces du Prince comme un patrimoine, se réveille de sa léthargie : déjà elle a renoncé à l'indolence. Humiliée du mérite des classes moins élevées, elle cherche à en acquérir ; elle se livre à l'étude, elle cultive les arts, les sciences, et ne veut plus de repos qu'elle n'ait brillé à son tour.

Combien de Sujets distingués remplissent les divers emplois ! A la tête des armées et des flottes se montrent la valeur et les talents. Dans les Tribunaux brillent le sçavoir et l'intégrité : dans les Académies, l'amour de l'étude, l'esprit de recherche, la science, le génie. L'Assemblée Nationale, illustrée par son patriotisme et la noble émulation, devient le berceau d'une multitude d'Hommes d'État ; et le Monarque, qui trouvoit à peine un Sujet digne de sa confiance, n'est plus embarrassé que du choix de ceux que lui nomme la voix publique pour chaque département, tous capables d'occuper le premier poste, tous jaloux de servir leur pays et leur Roi.

Chère Patrie, je verrai donc tes enfants réunis en une douce société de freres, reposant avec sécurité sous l'empire sacré des Loix, vivant dans l'abondance et la concorde, animés de l'amour du bien public, et heureux de ton bonheur ! Je les verrai formant une Nation éclairée, judicieuse, brillante, redoutable, invincible, leur Chef adoré au faîte de la gloire !

À ce tableau touchant, ô mes Concitoyens, qui de vous n'a point tressailli d'allégresse, qui de vous n'a point partagé mes transports ?.... Mais quelle triste réflexion vient en suspendre le cours ! Ne vous abusez point : ce bonheur dont l'image vous enchante, ne doit être le prix que de votre sagesse et de votre courage. Si vous en manquez, il s'évanouira comme un songe, et un affreux réveil vous retrouvera dans la misère et dans les fers. Puisse le feu divin de la liberté, qui toujours brûla dans mon sein, enflammer le vôtre ! puisse-t-il redoubler vos efforts, et ne faire de tous les bons François qu'une âme et qu'un coeur ! » (14)

Le 15 juin 1789, alors qu'il séjourne pour la seconde fois en France, l'agronome britannique Arthur Young, compatriote de Joseph Priestley et de Thomas Paine, se trouve présent à une séance des États généraux à Versailles. Comme rapporté dans le premier volume de ses Voyages en France, il tire de cette séance « l'idée glorieuse du bonheur qui va échoir à une grande nation, de la félicité de millions d'êtres, qui ne sont pas encore nés ». Il rejoint à cette date la vision d'un avenir radieux propre au Marat de l'Offrande à la Patrie, ou Discours au Tiers-État de France :

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Ouverture des Etats Généraux à Versailles, le 5 mai 1789 : présentée et dédiée à l'Assemblée Nationale, le 4 mai 1790, estampe dessinée par Charles Monnet ((1732-180.?), gravée par Isidore Stanislas Helman (1743-1806), eau-forte d'Antoine Jean Duclos (1742-1795).

« Cela fut une belle journée, et telle qu'il a dix ans on n'aurait jamais cru qu'elle pût arriver en France. Un très important débat était attendu sur ce que, dans notre Chambre des Communes, on appellerait l'état de la nation. Mon ami, M. Lazowski et moi-même, nous étions à Versailles dès 8 heures du matin. Nous nous rendîmes immédiatement à la salle des États pour nous assurer de bonnes places dans la galerie. Nous trouvâmes quelques députés, qui y étaient déjà, et un auditoire joliment nombreux était déjà réuni. La salle est trop grande il n'y a que des poumons de stentor ou les voix les plus merveilleusement claires que l'on puisse entendre cependant les grandes dimensions de la salle, qui peut contenir deux mille personnes, donnent de la grandeur à la scène. Elle était vraiment intéressante. Le spectacle des représentants de vingt-cinq millions d'hommes, à peine sortis des misères de deux cents ans de pouvoir arbitraire et se haussant aux bénédictions d'une constitution plus libre, s'assemblant, toutes portes ouvertes, sous les yeux du public, était bien fait pour donner libre cours à l'étincelle latente, à l'émotion d'un cœur libéral, et aussi à bannir toute idée qu'il s'agissait d'un peuple qui a été trop souvent l'ennemi de mon propre pays, à me faire considérer avec plaisir l'idée glorieuse du bonheur qui va échoir à une grande nation, de la félicité de millions d'êtres, qui ne sont pas encore nés. De façon assez proche de Marat dans Il en tire, l'idée glorieuse du bonheur qui va échoir à une grande nation, de la félicité de millions d'êtres, qui ne sont pas encore nés. » (15)

En mars ou avril 1789, Marat devient membre du Comité électoral du district des Carmes déchaussés. Il échoue toutefois à persuader ce Comité de publier un journal dans lequel il se ferait, lui-même, le porte-parole du district. Il se tourne alors vers le district des Cordeliers. Le 11 août 1789, à la suite de la nuit du 4 août, nuit durant laquelle l'Assemblée nationale constituante vote la suppression des privilèges féodaux, Marat publie, de sa propre initiative, le Moniteur patriote, qui n'aura qu'un seul numéro. Puis, le 12 septembre 1789, il publie le premier numéro du Publiciste parisien, qui devient le 16 septembre L'Ami du peuple, assorti de la devise « Vitam impendere vero » — Obliger sa vie à la vérité —, empruntée au poète latin Juvénal et à Jean Jacques Rousseau.

Le 2 octobre 1789, dans le numéro 22 de l'Ami du peuple, intitulé « Versailles et Paris », Marat déclare, qu'obligeant sa vie à la vérité, il se doit de dénoncer les fauteurs de ce dont le peuple est fondé à se plaindre, en l'occurrence la pénurie des grains et des farines, et il invite ses lecteurs à collaborer à sa démarche de dénonciateur :

« Et pour gage de ma parole, je prie tout citoyen honnête, qui aurait contre quelques députés de l’Hôtel de Ville des faits graves de récusation dont il puisse établir la preuve juridique, de vouloir bien me les adresser. Je suis l’avocat de la nation et je ne reculerai jamais. » (16)

Menacé plusieurs fois d'arrestation à partir de septembre 1789 pour dénonciation de Jean Sylvain Bailly, maire de Paris, et de Jacques Necker, directeur général des finances, coupables selon lui d'incurie dans la crise des subsistances qui s'aggrave alors à Paris, mais protégé chaque fois par le district des Cordeliers, Marat se trouve cité à comparaître le 14 janvier 1790 devant le tribunal du Châtelet pour « excitations aux violences ».

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En-tête du n° 97 de L'Ami du peuple, daté du 14 janvier 1790.

Les injures proférées le même 14 janvier dans le n° 97 de L'Ami du peuple à l'endroit d'André Jean Baptiste Boucher d'Argis, conseiller au Châtelet, valent à Marat de faire l'objet d'un décret de prise de corps. « Le 21 janvier, le Châtelet donne l’ordre d’effectuer sa prise de corps, de perquisitionner à son domicile et de saisir "presses, ustensiles d’imprimerie, papiers et effets". Le maire, Bailly, donne à Gouvion, commandant la garde nationale de la capitale, l’ordre « d’aider à l’exécution de la sentence, et il en informe La Fayette, commandant général de la Garde » (17). Mais le 22 janvier, difficilement menée, car retardée par l'attroupement des Cordeliers, la prise de corps échoue : Marat a déserté son domicile depuis huit jours. Il se cache dans Paris, puis s'exile à Londres.

Revenu à Paris entre le 10 et le 17 mai 1790, Marat publie un second journal, le Junius français, dont le premier numéro se trouve daté du 2 juin 1790 : « Ce journal est particulièrement destiné à suivre les sourdes manœuvres des ennemis de la révolution, à dévoiler leur relation avec les cabinets étrangers, à éventer les complots des traîtres à la patrie, à servir de cris d’alarmes et à déconcerter leurs noirs projets ». Et, pour aggraver le caractère dénonciateur de sa visée, Marat rapporte à propos de François Emmanuel Guignard de Saint-Priest, alors ministre de l'Intérieur de Louis XVI, naguère ambassadeur à Constantinople, cette anecdote significative : « On s'amuse à couper des têtes, disoit un jour à la table de l'ambassadeur de Naples le visir Saint-Priest, peu-à-près la prise de la Bastille ; et moi aussi je veux en couper : j'ai rapporté de Constantinople un excellent damas ; je vais me mettre dans la garde nationale et nous verrons si la canaille aura longtemps le dessus. » (18)

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Portrait de François Emmanuel Guignard, comte de Saint-Priest (1735-1821) par Louis Jules Bauderon (1809-1870), d'après une gravure de Mademoiselle Dumesnil. Château de Versailles.

Le 14 septembre 1791, jour de l'acceptation de la Constitution par Louis XVI, Marat se réfugie une fois encore à Londres pour échapper à la vindicte du graveur Maquet dont il a séduit la compagne et emporté les meubles pendant que celui-ci lui donnait asile. L'Ami du peuple continue de paraître durant ce temps-là, daté de de Clermont-de-L'Oise, puis de Breteuil, puis de Paris, jusqu'au 15 décembre 1791. En mars 1792, Marat est hébergé à Gentilly par Jacques Roux (hébertiste). Il s'installe ensuite chez Simone Évrard, qui est devenue sa compagne, et dont le frère exerce de façon opportune le métier d'imprimeur. Interrompue le 15 décembre 1791, la publication de L'Ami du peuple reprend le 12 avril 1792. Elle s'arrête définitivement au numéro 685, daté du 21 septembre 1792. Jean Paul Marat, sur fond de polémique concernant les massacres commis du 2 au 6 ou au 7 septembre 1792 dans les prisons parisiennes, vient d'être élu député de la Seine à la Convention.

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Massacre à l'abbaye-prison de Saint-Germain-des-Prés. Estampe anonyme.

Dans son dernier numéro de L'Ami du peuple, Marat choisit de remettre en perspective l'horreur des massacres en question :

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L'Ami du peuple, ou le Publiciste parisien : journal politique libre et impartial / par une société de patriotes, et rédigé par M. Marat, auteur de l'Offrande à la patrie, du Moniteur & du Plan de constitution, etc., n° 685, 20 septembre 1792, pp. 5-6.

René Levasseur de la Sarthe, montagnard endurci, rapporte dans ses Mémoires, datés de 1829-1831, ce qu'il a vu et pensé de Marat lorsqu'il l'a rencontré pour la première fois, le 25 septembre 1792, lors de la première séance de la Convention :

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Marat, gravure non signée, Bibliothèque inter-universitaire de santé, Histoire de la santé, Base d'images et de portraits.

« Marat, républicain atrabilaire, possédé par quelques idées fixes, compromettait la cause de la liberté par ses exagérations. Il ne craignait pas de proclamer que ses principes ne pouvaient triompher qu'en faisant couler des flots de sang, et dans sa sombre monomanie, il demandait le sacrifice de dix mille têtes. Un tel homme était un funeste drapeau pour le parti au milieu duquel il vint siéger ; aussi les Girondins profitèrent-ils de sa fatale réputation pour diriger contre nous d'odieuses imputations qui avaient d'autant moins de vraisemblance, que les députés des départements virent Marat pour la première fois, dans le sein même de la Convention. Bien plus ! ce fanatique énergumène nous inspirait à nous-mêmes une sorte de répugnance et de stupeur. Lorsqu'on nous le montra pour la première fois, s'agitant avec violence au sommet de la Montagne, je le considérai avec cette curiosité inquiète qu'on éprouve en contemplant certains insectes hideux. Ses vêtements en désordre, sa figure livide, ses yeux hagards, avaient je ne sais quoi de rebutant et d'épouvantable qui contristait l'âme. Tous les collègues avec lesquels je me liai d'amitié le jugèrent comme moi. Un tel homme n'eût jamais exercé la moindre influence, si les Girondins, en poursuivant dans sa personne le principe même de l'énergie, n'eussent accru son importance, et ne lui eussent fourni l'occasion de montrer au moins le calme, la constance, le sang-froid et le mépris des injures qui caractérisaient la véritable conviction et le dévouement. » (19)

Le 25 septembre 1792, jour de la proclamation de la République par la Convention, Marat lance un nouveau Journal de la République française. Il se plaint dans ce premier numéro que « les lâches, les aveugles, les fripons et les traîtres se sont réunis pour le dépeindre comme un fou atrabilaire et lui prêtent des vues ambitieuses, en dénaturant ses opinions sur la nécessité d'un tribun militaire, d'un dictateur ou d'un triumvirat, pour punir les machinateurs protégés par le corps législatif, le gouvernement et les tribunaux, jusqu'ici leurs complices : ou plutôt comme le prête-nom d'une faction ambitieuse, composée des patriotes les plus chauds de l'empire. Imputations absurdes ! Ces opinions me sont personnelles, et c'est un reproche que j'ai souvent fait aux plus chauds patriotes d'avoir repoussé cette mesure salutaire, dont tout homme instruit de l'histoire des révolutions sent l'indispensable nécessité : mesure qui pouvait être prise sans inconvénients, en limitant sa durée à quelques jours, et en bornant la mission des préposés à la punition prévôtale des machinateurs ; car personne au monde n'est plus révolté que moi de l'établissement d'une autorité arbitraire, confiée aux mains mêmes les plus pures. »

De quelle « mesure salutaire, dont tout homme instruit de l'histoire des révolutions sent l'indispensable nécessité : mesure qui pouvait être prise sans inconvénients... », de quelle mesure s'agit-il ici ? La suite de l'article le dit...

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Journal de la République française / par Marat, l'ami du peuple, député à la Convention nationale, 25 septembre 1792, p. 6.

Le 29 septembre 1792, dans son journal La Sentinelle, Jean Baptiste Louvet de Couvray, sans nommer Marat, s'inquiète, au pluriel augmentatif, des écrits de ces « apôtres de forfaits » et invite ses lecteurs à « démasquer les sycophantes, car la religion de la liberté a aussi ses tartufes » :

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Jean Baptiste Louvet de Couvray in La Sentinelle, n° 61, 29 septembre an Ier de la République française (1792).

Le 24 octobre, dans le numéro 65 de La Sentinelle, Jean Baptiste Louvet de Couvray dénonce bis repetita la dangereuse hypocrisie de celui qui se dit « l'Ami du Peuple » :

« À bas les agitateurs : voilà notre cri, notre cri éternel. À bas, surtout à bas les idoles. Depuis que vous êtes libres, Républicains, vous avez banni les rois, mais vous avez créé des dieux, c'est cent fois pas. Combien en avez-vous encensé depuis 89 ! Vous nommerons-nous les Lafayette, les Lameth, les Barnave, etc. ; où sont-ils maintenant ? dans la poussière. Qui les en avait tirés ? vous, votre incorrigible enthousiasme pour le premier homme qui se dit votre ami.

Eh ! qu'avez-vous besoin d'ami, peuple souverain ? quand vous tremblez sous un despote, ou quand votre liberté au berceau pourrait vous être arrachée, que votre inquiétude ou votre faiblesse vous eût fait attacher quelque prix à l'homme qui auroit usurpé ce titre, passe ! mais aujourd'hui, un ami ! à vous ? un peuple Français ! Le titre seul est un manque de respect punissable. Égalité entre tous les hommes, à la bonne heure ; mais entre un homme et le peuple français, il n'y en a pas.

Et si un homme est votre ami, je le suppose ; si vous admettez cette familiarité indécente entre un homme et un peuple ; pourquoi déteste-t-il tous ceux que vous aimez ? Pourquoi cherche-t-il à diminuer votre gloire ? Est-ce là le rôle d'un ami ? c'est celui d'un envieux, et voilà tout.

Peuple, je vais vous faire une comparaison bizarre, mais elle est vraie. Je suppose que le ciel eût accordé la parole à toutes les parties de mon corps, que le dernier brin de ma barbe eût la faculté de s'exprimer, et que ce brin de barbelé dit : coupe ton bras droit, parce qu'il a chassé le chien qui voulait te mordre ; coupe ton bras gauche parce qu'il a porté du pain à ta bouche ; coupe ta tête, parce qu'elle t'a dirigé dans ta conduite ; coupe tes jambes, parce qu'elles font marcher toute ta machine ; et quand tu auras coupé tout cela, tu seras le plus beau corps du monde. Voilà tout coupé, grâce au brin de barbe que j'ai eu la faiblesse de croire. Dites-moi à présent, peuple souverain, si je n'aurais pas mieux fait de garder mes bras, mes jambes, ma tête, et d'arracher un brin de barbe qui me donnait de si bons conseils. Marat est un brin de barbe de la république ; il dit, coupez les généraux qui chassent les ennemis ; coupez la Convention qui prépare des lois ; coupez le ministère qui les fait marcher ; coupez tout, excepté moi. — Debout, Républicains ! Que faite-vous aux pieds d'un homme ? vous avez un roi à juger, des lois à faire, le monde à gouverner par l'exemple. Que sont, au milieu de ces grands intérêts, Marat et quelques Marats ? Demain d'autres Marats les auront remplacés. [...]. Eh quoi ! nos murs sont tapissés des prétentions de Marat et des réponses de ses adversaires ! Et c'est là la lecture qui nous occupe, tandis que nous devrions appeler à grands cris les tables de la loi, qui devroient déjà être suspendues dans les places publiques. » (20)

Le 14 janvier 1793, dans le n° 98 du même Journal de la République française, Marat s'essaiera à un « Portrait de l'Ami du Peuple par lui-même », portrait au décours duquel, dédaignant la réputation de férocité qu'on lui faite à cette date, il en vient à déclarer à propos des élus de l'Assemblée nationale « cette triste vérité qu'il n'y avoit point de liberté, de sûreté et de paix à espérer pour nous, que ces lâches machinateurs ne fussent retranchés du nombre des vivants ; c'est lors que j'ai été bien convaincu que leur mort était le seul moyen d'assurer le salut public. » (21)

III. Jean Baptiste Louvet de Couvray, juge de Robespierre et de Marat

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Portrait de Jean Baptiste Louvet de Couvray, in Les Amours du chevalier de Faublas (1787-1790), suite de romans à succès du même Jean Baptiste Louvet de Couvray, dessin de Paul Avril, gravure de Louis Monziès.

III.1. 29 octobre 1792. Une séance orageuse à l'Assemblée nationale. Première discussion. Source : Archives parlementaires de 1787 à 1860, première série (1787 à 1799), tome LIII, 27 octobre 1792 au 30 novembre 1792, Paris, Paul Dupont, Éditeur, 1898, p. 38 sqq.

III.1.1. Lecture du Tableau de la situation de Paris de Jean Marie Roland de la Platière, ministre de l'Intérieur

Le 29 octobre 1792, soit un peu moins de deux mois après le début des massacres de Septembre, l'ambiance est électrique à la Convention. Jean Marie Roland de la Platière, ministre de l'Intérieur, vient de faire lire par Jean Denis Lanjuinais, secrétaire de l'Assemblée, le Tableau de la situation de Paris, tableau établi par ses soins en vertu du décret du 26 octobre 1792.

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Portrait de Jean Marie Roland de la Platière en 1792 par François Bonneville, Musée des Beaux-Arts de Lyon.

Il ressort du Tableau de la situation de Paris, d'après Jean Marie Roland de la Platière, que « la Commune, précipitée par le mouvement de la Révolution, entraînée par son zèle, égarée dans ses prétentions, s'est emparée de tous les pouvoirs, et ne les a pas toujours justement exercés. [...]. L'exemple des anticipations de la Commune a entretenu, dans Paris, le dédain et l'oubli des autorités constituées. L'idée de la souveraineté du peuple, rappelée avec affectation par les hommes qui ont intérêt à persuader au peuple qu'il peut tout, pour lui faire faire ce qu'ils veulent (Applaudissements) ; cette idée, mal appliquée, détachée de la suite des principes dont elle fait partie, a familiarisé avec l'insurrection, et en a inspiré l'habitude, comme si l'usage devait en être journalier. On a perdu de vue qu'elle est un devoir sacré contre l'oppression, mais une révolte condamnable dans l'état de liberté ; que le parti de l'opposition, si nécessaire contre le despotisme d'un seul ou l'aristocratie de plusieurs, devient funeste au régime de l'égalité ; car, dans le premier cas, il balance ou il surveille un pouvoir dangereux, tandis que dans le second, il contrarie la volonté générale, et paralyse l'action du gouvernement (Applaudissements). Cet esprit, entretenu par les propos des mécontents, par les calomnies et les soins perfides de la malveillance, par les déclamations de ces hommes ardents dont l'imagination fantastique ou les passions violentes n'enfantent que des excès, s'est répandu de toutes parts ; il a pénétré dans les sections, il y a introduit ce genre de tyrannie qui étonne ou contraint le bon sens par l'audace, et la raison par le bruit ; le citoyen faible ou timide s'est tenu à l'écart. Dès lors, pour ceux qui restaient, la force a paru le droit, et l'emportement, l'énergie ; l'indépendance de la nature a été substituée à l'empire de la volonté générale, qui fait la liberté sociale ; et une férocité sauvage a paru, dans quelques instants, prendre la place des mœurs d'un peuple civilisé (Vifs applaudssements). [...].

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Ancien couvent des Carmes déchaussés, 70, rue de Vaugirard, monument à la première victime des massacres de septembre 1792, photographie signée Eugène Atget (1857-1927).

J'avais dénoncé les meurtres prolongés des premiers jours de septembre et l'inutilité de mes réquisitions pour en arrêter le cours. Il n'est pas douteux cependant qu'un grand nombre de bons citoyens aurait contribué avec zèle à la répression de ces excès : pourquoi donc se sont-ils commis sans obstacles ? C'est ce que peuvent seules expliquer la désorganisation de la force publique, le défaut de volonté de ceux qui devaient l'employer, la terreur imprimée par l'audace du petit nombre, et l'inaction des autorités ». Etc.

Un député demande l'impression du mémoire du ministre Roland. Robespierre demande à parler contre l'impression de ce mémoire. Plusieurs membres de l'Assemblée refusent d'entendre Robespierre et insistent pour que l'impression du mémoire de Roland soit ordonnée.

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Portrait de Jean François Delacroix par Jean Taurin Denis François Bonneville (1755-1844).

Jean François de Lacroix, ou Delacroix, dit Lacroix d’Eure-et-Loir, Président. Robespierre, parlez contre l'impression.
Maximilien Robespierre. J'invoque la justice de l'Assemblée ; j'invoque, pour un représentant du peuple, la même attention, la même impartialité qu'on met à entendre un ministre. Je lui observe que si elle m'écoute avec d'autres dispositions, je perdrai la cause que je veux défendre. (Rires ironiques et murmures.)
Maximilien Robespierre. Au moins, écoutez ce que je veux dire !
Plusieurs membres. Nous ne voulons pas le savoir.
D'autres membres. Aux voix l'impression !
Maximilien Robespierre. Comment ! je n'aurai pas le droit de vous dire que les rapports que l'on vous fait de temps à autres sont toujours insidieusement dirigés vers un but unique, et que ce but est d'opprimer les patriotes qui déplaisent.
Plusieurs membres. Dites plutôt de démasquer les imposteurs ! (Applaudissements.)
[...]
Maximilien Robespierre. Est-ce que la réputation et le droit de voter d'une partie des représentants du peuple, ne fait pas partie de l'intérêt national ? Peut-on, sans porter atteinte aux droits du peuple, détruire d'avance leurs suffrages et les soumettre à des vengeances atroces, préparées de longue main ? Quoi, lorsqu'ici il n'est pas un homme qui osât m'accuser en face, en articulant des faits positifs contre moi ; lorsqu'il n'en est pas un qui osât monter à cette tribune et ouvrir avec moi une discussion calme et sérieuse...
Louvet de Couvray, s'avançant devant la tribune et regardant Robespierre. Je m'offre contre toi, Robespierre, et je demande la parole pour t'accuser !
Rebecquy et Barbaroux. Et nous aussi, nous allons l'accuser !
(Un grand silence se fait dans la Convention ; tous les yeux se tournent sur Louvet de Couvray. Maximilien Robespierre, immobile dans la tribune, le regarde et paraît ému.)
Louvet de Couvray. Oui, Robespierre, c'est moi qui t'accuse !
(Le silence dure encore un moment ; Maximilien Robespierre garde son attitude.)
Louvet de Couvray monte à la tribune. (Vifs applaudissements.)
Danton. Continue, Robespierre, les bons citoyens sont là qui t'entendent ! (Applaudissements dans quelques tribunes.)
Tallien. Je demande que Louvet soit entendu ; il faut que les rayons de la vérité confondent les calomniateurs. (Murmures et agitation prolongée.)
Robespierre (le jeune). Je demande que le» accusateurs de mon frère soient entendus avant lui.
[...]
Maximilien Robespierre. Je réclame la liberté de terminer mon opinion. [...]
Plusieurs membres : Au fait, au fait !
Maximilien Robespierre. [...] Je viens au fait. Je dis que de la permission qui a été accordée au ministre de lire ici successivement une foule de rapports dirigés tous dans le même esprit, et inculpant principalement un homme qu'on cherche à désigner sans oser le nommer ; je dis que de ces inculpations dirigées contre moi en particulier, résulte pour moi le droit de demander que la Convention ne s'accoutume pas à envoyer, à chaque instant et sans examen, les rapports et les dénonciations des ministres dans les 83 départements ; mais qu'elle entende une discussion sur ces rapports, qu'elle écoute le pour et le contre, et que les clameurs de nos ennemis ne lui fassent pas fermer l'oreille à la vérité. (Murmures.)

Là-dessus, Robespierre demande que l'Assemblée « veuille bien, après avoir ordonné, si elle le veut, l'impression du mémoire du ministre, mais non pas l'envoi officiel aux 83 départements, fixer un jour où il soit permis de discuter ce mémoire ; car cette discussion franche doit dissiper bien des préventions, bien des erreurs, étouffer des haines funestes ; et puisqu'un membre s'est présenté pour m'accuser, je demande qu'il soit entendu, mais qu'on m'entende à mon tour. »
Un grand nombre de membres : C'est juste.
La Convention décrète l'ajournement de l'envoi du mémoire de Roland aux 83 départements jusqu'après la discussion.

III.1.2. Intervention de Danton

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Portrait de Georges Jacques Danton à la tribune in Galerie historique de la Révolution française d'Albert Maurin, tome 2, Paris, P. Amic l'Aîné, Éditeur, 1849.

Danton. J'ai peine à concevoir comment l'Assemblée hésiterait à fixer décidément à un jour prochain, la discussion que nécessite le rapport du ministre. Il est temps enfin que nous sachions de qui nous sommes les collègues ; il est temps que nos collègues sachent ce qu'ils doivent penser de nous. (Applaudissements.) On ne peut se dissimuler qu'il existe dans l'Assemblée un grand germe de défiance entre ceux qui la composent (Quelques interruptions.) Si j'ai dit une vérité, que vous sentez tous, laissez m'en donc tirer les conséquences. Eh bien, ces défiances, il faut qu'elles cessent, et s'il y a un coupable parmi nous, il faut que vous en fassiez justice. (Vifs applaudissements.) Je déclare à la Convention et à la nation entière, que je n'aime point l'individu Marat (Applaudissements) ; je dis avec franchise que j'ai fait l'expérience de son tempérament ; non seulement il est volcanique et acariâtre, mais insociable. [...].

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Portrait de Jean Paul Marat par Lambert Antoine Claessens (1763-1834), Library of Congress.

« Après un tel aveu [...] », reprend Danton, « je demande à énoncer ma pensée tout entière sur notre situation politique actuelle. (Applaudissements.) Sans doute il est beau que la philanthropie, qu'un sentiment d'humanité fasse gémir le ministre de l'intérieur et tous les bons citoyens sur les malheurs inséparables d'une grande révolution ; sans doute on a droit de réclamer toute la rigueur de la justice nationale contre ceux qui auraient évidemment servi leurs passions particulières au lieu de servir la Révolution et la liberté. Mais comment se fait-il qu'un ministre qui ne peut pas ignorer les circonstances qui ont amené les événements dont il vous a entretenus, oublie les principes de la vérité [...] ? (Murmures.) Je ne ferai point d'autre réponse au ministre de l'intérieur. Si chacun de nous, si tout républicain a le droit d'invoquer la justice contre ceux qui n'auraient excité des mouvements révolutionnaires que pour assouvir des vengeances particulières, je dis qu'on ne peut pas se dissimuler non plus que jamais trône n'a été fracassé sans que ses éclats blessassent quelques bons citoyens ; que jamais révolution complète n'a été opérée sans que cette vaste démolition de l'ordre de choses existant n'ait été funeste à quelqu'un ; qu'il ne faut donc pas imputer ni à la cité de Paris, ni à celles qui auraient pu présenter les mêmes désastres, ce qui est peut-être reflet de quelques vengeances particulières, dont je ne nie pas l'existence ; mais ce qui est bien plus probablement la suite de cette commotion générale, de cette fièvre nationale qui a produit les miracles dont s'étonnera la postérité.

Je dis donc que le ministre [Roland] a cédé à un sentiment que je respecte ; mais que son amour passionné pour l'ordre et les lois lui a fait voir sous la couleur de l'esprit de faction et de grand complot d'Etat (Murmures), ce qui n'est peut-être que la réunion de petites et misérables intrigues dans leur objet comme dans leurs moyens. (Nouveaux murmures.) Pénétrez-vous de cette vérité qu'il ne peut exister de faction dans une République (Murmures) ; il y a des passions qui se cachent, il y a des crimes particuliers, mais il n'y a pas de ces complots vastes et particuliers qui puissent porter atteinte à la liberté. (Murmures prolongés.) Et où sont donc ces hommes qu'on accuse comme des conjurés, comme des prétendants à la dictature ou au triumvirat ? qu'on les nomme ? Marat ? mais je vous l'ai dit...

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« C'est un pygmée ! » Portrait de Jean Paul Marat par Alexandre Lacauchie (1814-1886), Université de Paris, Histoire de la santé, banque d'images et de portraits.

Membres : Bah ! bah ! c'est un pygmée !
Danton. Oui, nous devons réunir nos efforts pour faire cesser l'agitation de quelques ressentiments et de quelques préventions personnelles, plutôt que de nous effrayer par de vains et chimériques complots dont on serait bien embarrassé d'avoir à prouver l'existence. Je provoque donc une explication franche sur les défiances qui nous divisent ; je demande que la discussion sur le mémoire du ministre soit ajournée à jour fixe, parce que je désire que les faits soient approfondis, et que la Convention nationale prenne des mesures contre ceux qui peuvent être coupables.

J'observe que c'est avec raison qu'on a réclamé contre l'envoi aux départements de lettres qui inculpent indirectement des membres de cette Assemblée. Roland aurait dû envoyer cette lettre où il est question de massacres au ministre de la justice ou à l'accusateur public pour la dénoncer aux tribunaux ; et là, sans doute, ou aurait reconnu que tous ces projets sinistres sont de vaines chimères. (Murmures.) Je le déclare hautement, parce qu'il est temps de le dire ; tous ceux qui parlent de la faction Robespierre, sont à mes yeux ou des hommes prévenus ou de mauvais citoyens. (Applaudissements à l'extrême gauche, murmures à gauche et sur tous les autres bancs.) [...].

Buzot. S'il [Robespierre] se trouve calomnié, qu'il s'adresse aux tribunaux, le dénonciateur est connu. [...]. Je demande aussi que les membres de cette Assemblée ne soient pas toujours offensés par des maximes générales, en se les appliquant ; et je déclare, quant à moi, que je ne m'applique aucune de celles qu'on débite tous les soirs dans certaines sociétés. (Vifs applaudissements.)
Un grand nombre de membres. La clôture ! la clôture !

Le Président consulte l'Assemblée. La Convention prononce la clôture de la discussion.

III.2. 29 octobre 1792. Une séance orageuse à l'Assemblée nationale. Seconde discussion. De la Révolution du 10 août 1792 à celle des massacres de Septembre. À propos de l'élection de de Marat à la Convention et de la démission de Joseph Priestley

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Portrait de Jérôme Petion de Villeneuve (1759-1793, ancien président de la Convention, maire de Paris en 1791, par Jean Urbain Guérin (1760-1836).

Le Président cède le fauteuil à Jérôme Pétion, ancien président. Louvet de Couvray se présente à la tribune. Plusieurs membres réclament l'ordre du jour et insistent pour qu'il soit mis aux voix. La Convention décrète que Louvet de Couvray sera entendu.

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Portrait de Jean Baptiste Louvet de Couvray (1760-1797) par H. Rousseau (dessinateur) et E. Thomas (graveur), in Album du centenaire. Grands hommes et grands faits de la Révolution française (1789-1804), Paris, Furne, Jouvet & Cie, 1889.

III.2.1. De la Révolution du 10 août 1792 à celle des massacres de Septembre

Pétion, président.
Louvet de Couvray. [...]. « Il est temps de savoir s'il existe une faction ou dans sept à huit membres de cette assemblée, ou dans les sept cent trente autres qui la combattent. Il faut que de cette lutte insolente vous sortiez vainqueurs ou avilis. Il faut que vous rendiez compte à la France des raisons qui vous font conserver dans votre sein cet homme sur lequel l'opinion publique se développe avec horreur. I1 faut et je ne crains pas de le dire, ou nous délivrer de sa présence ou par un décret solennel, insulter à la raison publique, et le proclamer innocent. [...].

Je comparerai à la Révolution du 10 août [prise du palais royal des Tuileries, renversement de l'Assemblée législative et déposition du Roi], celle du 2 septembre [massacres de Septembre]. Robespierre, c'est de l'ensemble de vos actions et de votre conduite que sortira l'acusation !

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La voilà en corps et en âme ! Assemblée législative, 1 juin 1792, estampe anonyme. De gauche à droite : « Mont Gibel ; Plat pays ; Mont Caucase. Voir ci-dessous la description de chacune de ces régions de l'Assemblée.

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Ce fut dès le mois de janvier, qu'on vit succéder aux discussions profondes ou brillantes qui nous avaient honorés et servis dans l'Europe, ces misérables débats qui auraient pu nous y perdre. [...]. Alors on vit quelques personnes, assurément privilégiées, vouloir parler, parler sans cesse, exclusivement parler, non pour éclairer les membres de l'aggrégation, mais pour jeter entr'eux des semences de division toujours renaissantes, mais surtout pour être entendus de quelques centaines de spectateurs dont il parut qu'on cherchait à conquérir les applaudissements, à quelque prix que ce fut : alors on vit qu'apparemment il était convenu que tour à tour les affidés se relayeraient pour représenter tel ou tel décret, tel ou tel individu du côté gauche de l'Assemblée à l'animadversion de ces spectateurs crédules, et au contraire à leur admiration de mille manières provoquée, tel constituant dont les partisans fougueux faisaient constamment le plus fastueux éloge, à moins qu'il ne le fit lui-même.

Nos yeux ne s'étaient pas tout à fait ouverts ; nous nous bornions à gémir sur l'humaine faiblesse de quelques personnages que nous voulions encore estimer assez pour les croire seulement travaillés de jalousie vive envers autrui, d'estime désordonnée pour eux-mêmes.

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Portrait non signé de Claude Antoine de Valdec de Lessart (1741-1792) en 1790, contrôleur des finances en 1790, ministre de l'Intérieur en 1791, mis en accusation pour pacifisme sous la pression des Girondins le 10 mars 1792, arrêté et emprisonné, tué ou mortellement blessé lors des massacres de Septembre à Versailles, le 9 septembre 1792.

Mais après la fameuse journée du 10 mars [renvoi de Lessart sous la pression des Girondins], Lessart ayant été frappé d'accusation, et des patriotes se trouvant saisis des rênes du gouvernement, quelle fut notre surprise d'entendre ceux qu'alors nous reconnûmes pour des agitateurs, déclamer contre un ministère jacobin [Bon Claude Cahier de Gerville], avec plus de chaleur cent fois qu'ils n'en avaient mise à surveiller un ministère conspirateur [Claude Antoine de Valdec de Lessart] !

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« Tel était en France le seul homme vertueux, le seul à qui l'on pût confier le soin de sauver la patrie... ». Robespierre à la tribune, in L'Histoire licencieuse, Les jouisseurs de la Révolution / Louis Gastine (1858-1935), Paris, Les Éditions des Bibliophiles, 1910, p. 51.

À cette époque ils ne craignirent pas de laisser tomber un premier masque devenu trop incommode : les harangues ne furent permises qu'à celui qui dénigrait les meilleurs décrets emportés par le courage du côté gauche de l'Assemblée ; qu'à celui qui calomniait tel philosophe, tel écrivain, tel orateur patriotes ; qu'à celui qui déclarait avec le plus d'impudeur, qu'un tel était en France le seul homme vertueux, le seul à qui l'on pût confier le soin de sauver la patrie ; qu'à celui qui prodiguait les plus basses flatteries à quelques centaines de citoyens d'abord qualifiés de peuple de Paris, et plus absolument de peuple, et puis de souverain ; qu'à celui qui présentait à des hommes réputés libres, une idole ; et surtout elles ne furent permises qu'à l'idole même, qu'à cet usurpateur superbe, de qui déjà sa faction disait presque qu'il était un dieu : et qui lui-même répétant l'éternelle énumération des mérites, des perfections, des vertus sans nombre dont il se reconnaissait pourvu, ne manquait jamais, après avoir vingt fois attesté la force, la grandeur, la bonté, la souveraineté du peuple, de protester qu'il était peuple aussi...

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Portrait de Jean Paul Marat par Philippoteau, dessinateur, et Trichon, graveur, s. d. Université de Paris, Histoire de la santé, Banque d'images et de portraits. « Celui qui prodiguait les plus basses flatteries à quelques centaines de citoyens d'abord qualifiés de peuple de Paris, et plus absolument de peuple, et puis de souverain ; celui qui présentait à des hommes réputés libres, une idole ; cet usurpateur superbe, de qui déjà sa faction disait presque qu'il était un dieu : et qui lui-même répétant l'éternelle énumération des mérites, des perfections, des vertus sans nombre dont il se reconnaissait pourvu, ne manquait jamais, après avoir vingt fois attesté la force, la grandeur, la bonté, la souveraineté du peuple, de protester qu'il était peuple aussi ».

Alors, représentants du peuple, tous ceux qui ne voulurent pas rester dans l'aveuglement, durent voir. Il devenait incontestable qu'entre ces hommes toujours plus unis, plus intolérants, plus audacieux dans leurs calomnieuses persécutions, plus rampants dans leurs populacières flagorneries, plus impudents dans leurs ridicules apothéoses, à mesure qu'elle s'avançait plus inévitable et plus sainte, cette insurrection que d'autres aussi provoquaient, mais dans des intentions bien différentes : il devenait incontestable, qu'entre ces hommes il existait un pacte secret dont le but devait être, puisqu'ils poursuivaient de toutes parts les talents et les vertus, de faire tourner au profit de leur ambition personnelle la révolution qui se préparait ; d'opprimer le peuple, puisqu'en feignant d'en éclairer une portion ils ne cherchaient qu'à les égarer toutes ; d'anéantir la représentation nationale, puis qu'afin de l'avilir ils décriaient tous ses actes ; enfin puisqu'ils voulaient qu'on adorât leur chef, de se constituer sous lui, avec lui, et bientôt peut-être sans lui ; au moment où le roi traître allait tomber, de se constituer rois eux-mêmes, rois, ou tribuns ou dictateurs, ou triumvirs, qu'importe le nom. (Murmures à l'extrêne gauche et vifs applaudissements sur les autres bancs.) [...].

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Journée du 10 août 1792 à l'Assemblée nationale, par François Gérard, (1770–1837), Musée du Louvre. Le 10 août 1792, la foule des insurgés envahit la salle du Manège où se tient l'Assemblée, présidée par Jean François Merlet, et prend le château royal des Tuileries. Précédée de trois bannières portant les inscriptions « Patrie, liberté, égalité », la Commune insurrectionnelle de Paris vient exiger la déposition du roi et l'institution d'une Convention nationale. L'Assemblée accepte de laisser la place à une nouvelle Constituante qui décidera du sort de la royauté. Elle crée un Conseil exécutif provisoire. Le 13 août, l'Assemblée nationale suspend la royauté, sans l'abolir. La famille royale est enfermée à la Prison du Temple.

Représentants du peuple, une journée à jamais glorieuse, celle du 10 août, venait de sauver la France. Deux jours encore s'étaient écoulés ; membre de ce conseil général provisoire (Murmures), j'étais à mes fonctions ; un homme entre, et tout à coup il se fait un grand mouvement dans l'assemblée. Je regarde, et j'en crois à peine mes yeux : c'était lui, c'était lui-même ! Il venait s'asseoir au milieu de nous... Je me trompe ; il était allé déjà se placer au bureau : depuis il n'y avait plus d'égalité pour lui.
Un membre à l'extrême gauche : C'est mauvais, cela.
Louvet de Couvray. Et moi, dans une stupeur profonde, je m'interroge sur cet événement, imprévu je l'avoue. Quoi ! Robespierre, l'orgueilleux Robespierre, qui dans des jours de péril avait abandonné le poste important où la confiance de ses concitoyens l'avait appelé, qui depuis, avait pris vingt fois l'engagement solennel de n'accepter aucune fonction publique, qui seulement un soir, devant 1500 témoins, avait bien voulu s'engager à se faire le conseiller du peuple, pourvu que le peuple en témoignât le vif désir ; le conseiller du peuple ! pesez l'expression, je vous prie : Robespierre se commettant au point de devenir comme nous un officier municipal ! (22). De ce moment il me fut démontré que ce conseil général devait sans doute exécuter de grandes choses, et que plusieurs de ses membres étaient appelés à de hautes destinées.

Mais reposons-nous un instant sur cette Révolution du 10 août. Vous savez, représentants, qu'ils s'en attribuent l'honneur ; et certes, je m'étonne que ceux-là qui se portent sans cesse les défenseurs du peuple, et paraissent ne se complaire qu'à vanter sa prudence et sa force, veuillent aujourd'hui lui disputer la gloire de cette journée, et ne craignent de soutenir que sans leur appui faible, il allait tomber dans l'abîme. La Révolution du 10 août est l'ouvrage de tous ; elle appartient à nos faubourgs qui se levèrent tout entiers, à ces braves fédérés qu'il ne tint pas aux chefs des agitateurs qu'on ne reçût point dans nos murs.
Un membre : Cela n'est pas vrai !
Louvet de Couvray. Cela est si vrai que pendant deux séances consécutives aux Jacobins, il a déclamé contre le camp de 20 000 hommes : je l'ai entendu. La Révolution du 10, elle appartient à ces deux cents courageux députés qui, là-même, au bruit des décharges de l'artillerie, rendirent le décret de la suspension de Louis XVI et plusieurs autres que la commission des vingt-un (23) tant calomniée tenait tout prêts (Applaudissements) ; elle appartient, et grâces leur soient rendues, à la vaillance des généraux guerriers du Finistère, à l'intrépidité des dignes enfants de la fière Marseille (Applaudissements) ; elle appartient à tous, la Révolution du 10 août. Mais celle du 2 septembre, conjurés barbares, elle est à vous ; elle n'est qu'à vous ! et vous-mêmes, vous vous en êtes glorifiés. Eux-mêmes, avec un mépris féroce, ils ne nous désignaient que les patriotes du 10 août : avec un féroce orgueil ils se qualifiaient les patriotes du 2 septembre. Ah ! qu'elle leur reste, cette distinction digne de l'espèce de courage qui leur est propre (Vifs applaudissements) ; qu'elle leur reste pour notre justification durable et pour leur long approbre !

Messieurs, nous voici donc à l'époque fatale : pourrai-je contenir mon indignation ? Les prétendus amis du peuple ont voulu rejeter sur le peuple de Paris les horreurs dont la première semaine de septembre fut souillée ; ils lui ont fait le plus mortel outrage ; ils l'ont indignement calomnié. Je le connais, le peuple de Paris, car je suis né, j'ai vécu au milieu de lui ; il est brave ; mais, comme les braves, il est bon ; il est impatient, mais il est généreux ; il ressent vivement une injure, mais après la victoire il est magnanime.
Je n'entends pas parler de telle ou telle portion qu'on égare, mais de l'immense majorité, quand on la laisse à son heureux naturel. (Applaudissements.)
Il sait combattre, le peuple de Paris ; il ne sait point assassiner (Nouveaux applaudissements.)
Il est vrai qu'on le vit tout entier le 10 août devant le château des Tuileries ; il est faux qu'on l'ai vu le 2 septembre devant les prisons. (Applaudissements réitérés.) Dans leur intérieur, combien les bourreaux étaient-ils ? Deux cents, pas deux cents, peut-être ; et au dehors, que pouvait-on compter de spectateurs attirés par une curiosité véritablement incompréhensible ? Le double, tout au plus.
Un membre à l'extrême gauche interrompt.
Louvet de Couvray. Eh bien ! vous niez ? Qu'on interroge la vertu ! Le fait que j'avance, je le tiens de Pétion ; c'est Pétion qui me l'a dit. (Applaudissements.)
Mais, a-t-on dit, si le peuple n'a pas participé à ces meurtres, pourquoi ne les a-t-il pas empêchés ?
Pourquoi ? parce que l'autorité tutélaire de Pétion était enchaînée : parce que Roland parlait en vain : parce que le ministre de la justice [Georges Jacques Danton] ne parlait pas (Applaudissements réitérés) ; parce que les présidents des 48 sections, prêtes à réprimer tant d'affreux désordres, attendaient des réquisitions que le commandant général [Antoine Joseph Santerre] ne fit pas ; parce que des officiers municipaux, couverts de leurs écharpes, présidaient à ces atroces exécutions. (Mouvement d'horreur.) Mais l'Assemblée législative ? l'Assemblée législative ! Représentants du peuple, vous la vengez. L'impuissance où vos prédécesseurs étaient réduits, est, à travers tant de crimes, le plus grand de ceux dont il faut punir les forcenés que je vous dénonce.
Pétion rend le fauteuil à Guadet, président.
Guadet, président.
Louvet de Couvray. L'Assemblée législative ! elle était journellement tourmentée, méconnue, avilie par un insolent démagogue qui venait à sa barre lui ordonner des décrets ; qui ne retournait au conseil générai, que pour la dénoncer ; qui revenait, jusques dans la commission des vingt-un, menacer du tocsin... (Mouvements d'indignation.)
Billaud-Varenne. C'est faux !
Plusieurs membres. Oui, oui, rien n'est plus vrai ! (Agitation prolongée.)
Tous les membres sont debout dans le mouvement d'indignation qui soulève l'Assemblée.)
Plusieurs membres désignent du geste Robespierre.
Cambon. Misérable ! voilà (montrant son bras), voilà l'arrêt de mort des dictateurs !
Delacroix. Je demande la parole pour exposer le fait que Louvet vient d'indiquer. Quelques jours après le 10 août, pendant ma présidence à l'Assemblée législative, un soir que j'avais cédé le fauteuil à Hérault de Séchelles, vice-président, Robespierre vint à la barre de l'Assemblée législative, à la tête d'une députation du conseil général de la commune, pour lui demander de confirmer l'anéantissement que ce conseil venait de prononcer du directoire du département. J'eus le courage de combattre cette proposition ; et l'Assemblée législative, celui de passer à l'ordre du jour. En descendant de la tribune, je me retirai dans l'extrémité de la salle du côté gauche ; alors Robespierre me dit que si l'Assemblée n'adoptait pas de bonne volonté ce qu'on lui demandait, on saurait le lui faire adopter avec le tocsin.
Un grand nombre de membres. Misérable ! misérable ! (Le tumulte s accroît de plus en plus.)
Maximilien Robespierre s'élance à la tribune ; son frère le suit.
Plusieurs membres lui barrent le passage et le tiennent immobile en formant le cercle autour de lui.
D'autres membres veulent qu'il se place à la barre.
Delacroix. D'après cette menace qui fut répétée par plusieurs membres du conseil de la commune et entendue par plusieurs de mes collègues, je quittai ma place et je vins à la tribune dénoncer le fait et faire cette réponse : « La commune peut bien nous faire assassiner, mais nous faire manquer à notre devoir, jamais ! (Applaudissements). Plusieurs de mes collègues sont parmi nous, ils peuvent me rendre justice. Plusieurs membres se lèvent et attestent la vérité de ce fait.
Delacroix. Je dois à l'Assemblée législative la justice de dire que malgré ces horribles menaces elle passa une seconde fois à l'ordre du jour. Robespierre et les autres membres de la députation retournèrent ensuite à la commune dénoncer l'Assemblée nationale, et deux heures après plusieurs de mes collègues vinrent m'avertir de ne pas passer par la cour des Feuillants, parce qu'on m'y attendait pour m'égorger. (Mouvement d'horreur.)

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Porte du couvent des Feuillants et vue du dôme de l'Assomption entre 1780 et 1795, par Jean Baptiste Lallemand (1716-1803).

Maximilien Robespierre. Je demande la parole.
Un membre. J'observe à la Convention qu'elle ne peut entendre à la tribune un homme accusé d'un pareil crime ; il faut qu'il descende à la barre.
Maximilien Robespierre. J'insiste, Président, pour avoir la parole.
Plusieurs membres. Pas du tout, il faut la rendre à Louvet pour terminer son discours.

III.2.2. Conclusion du discours de Louvet de Couvray. Question relative à l'élection de Marat à la Convention et à la démission concomitante de Joseph Priestley. Louvet demande le déférement de Robespierre devant le Comité de sûreté générale et un décret d'accusation contre Marat.

Louvet de Couvray, reprend. L'Assemblée législative ! elle était journellement tourmentée, méconnue, avilie par un insolent démagogue qui venait à sa barre lui ordonner des décrets ; qui ne retournait au conseil général, que pour la dénoncer ; qui revenait, jusques dans la commission des vingt-un, menacer du tocsin ; qui toujours l'injure, le mensonge et les proscriptions à la bouche, accusait les plus dignes représentants du peuple d'avoir vendu la France à Brunswick [Charles Guillaume Ferdinand de Brunswick-Wolfenbüttel, général de l'armée fédérale allemande] et les accusait, la veille du jour où le glaive des assassins allait se tirer ; qui, ne pouvant arracher tous les décrets, en faisait lui-même ; et contre une loi formelle tenait les barrières fermées, et conservait son conseil général inutilement cassé par un décret. C'est ainsi que déjà ce despote approchait du but proposé : celui d'humilier devant les pouvoirs de la municipalité, dont il était réellement le chef, l'autorité nationale, en attendant qu'il pût l'anéantir : oui, l'anéantir ; car en même temps, par ce trop célèbre comité de surveillance de la ville, des conjurés couvraient la France entière de cette lettre où toutes les communes étaient invitées à l'assassinat des individus ; et, ce qui est plus horrible encore ! donnez ici toute votre attention à l'ensemble de leurs forfaits ; et, ce qui est plus horrible encore ! à l'assassinat de la liberté, puisqu'il ne s'agissait de rien moins que d'obtenir la coalition de toutes les municipalités entre elles, et leur réunion à celle de Paris, qui devenait ainsi le centre de la représentation commune, et renversait de fond en comble la forme de votre gouvernement. Tel était assurément leur système de conjuration, que vous les voyez maintenant même poursuivant encore ; tel était leur plan exécrable ; et s'il peut rester quelque doute, sachez ou rappelez-vous qu'alors nos murs furent déshonorés par des placards d'un genre inconnu dans l'histoire des nations les plus féroces, c'était là qu'on lisait qu'il fallait piller, massacrer sans cesse : c'était là qu'on trouvait d'affreuses calomnies contre les patriotes les plus purs, visiblement destinés à une mort violente ; c'était là que Pétion, digne lui, bien digne de sa popularité qu'au reste on s'était efforcé mille fois de lui ravir ; c'était là que Pétion, dont l'inflexible vertu devenait trop gênante, était journellement attaqué ; c'était la qu'on désignait comme des traîtres que la justice au peuple devait se hâter de sacrifier, les nouveaux ministres, un seul excepté, un seul, et toujours le même.... (Murmures.) Et puisses-tu, Danton, te justifier de cette exception devant la postérité ! (Vifs applaudissements.) Enfin, c'était là qu'on osait essayer de préparer l'opinion publique à ces grands changements si ardemment désirés, à l'institution de la dictature, ou, ce qui eût mieux accordé les nouveaux despotes, à l'institution du triumvirat.

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Marat vainqueur de l'aristocratie, estampe anonyme, s. d., Bibliothèque de l'Académie nationale de médecine.

Et n'espérez pas nous donner le change en désavouant aujourd'hui cet enfant perdu de l'assassinat. S'il n'appartenait point à votre faction, qui donc lui donna tout à coup la hardiesse de sortir vivant du sépulcre auquel lui-même il s'était condamné ? Si vous ne deviez l'accueillir et le protéger, qui lui inspira cette confiance, à lui de qui vous nous laissiez croire, quelques semaines auparavant, que son existence était un problème, et qui fit lui-même l'aveu de sa misère extrême, quand il vint demander les 15 000 livres que Roland lui refusa ? S'il n'était pas des vôtres, qui donc lui fournit les fonds nécessaires pour ces nombreux placards ; dépenses assurément exorbitantes pour lui ? S'il n'était pas initié à tous vos projets d'oppression ; si son dévouement à les servir ne lui avait pas mérité quelque récompense, pourquoi le produisîtes-vous dans cette assemblée électorale que vous dominiez par l'intrigue et par l'effroi... (Vives interruptions.)... vous qui me fîtes insulter pour avoir eu le courage de demander la parole contre Marat..... Dieux ! j'ai prononcé son nom !

Oui, cet être fut désigné comme candidat dans un discours où Robespierre venait de calomnier Priestley. Je demandai la parole contre lui ; aussi, en sortant de l'assemblée électorale, fus-je insulté par les gardes du corps de Robespierre, ces hommes armés de gros bâtons à sabre, qui l'accompagnaient presque partout. L'un d'eux, pendant que je passais sur le seuil de la porte, me dit : « Avant peu, tu n'y passeras plus. » Je cite ces faits pour vous faire connaître l'homme bien plus que pour attaquer tous les choix de Paris sans exception ; car il y en a plusieurs de bons, mais ils ont passé malgré eux.

Je reprends : Pourquoi le produisîtes-vous dans cette assemblée électorale que vous dominiez par l'intrigue et par l'effroi, à qui vous ordonnâtes ses suffrages pour lui, et du sein de laquelle vous le jetâtes au milieu de nous, où il est encore, mais où, s'il y a quelque justice sur la terre, il ne restera pas ? (Vifs applaudissements.) [...].

Après avoir résumé son discours dans une suite de « Robespierre, je t'accuse » cinq fois répétés, Jean Baptiste Louvet de Couvray s'adresse aux « Législateurs » :

Il est au milieu de vous un autre homme dont le nom ne souillera pas ma bouche, un homme que je n'ai pas besoin d'accuser, car il s'est accusé lui-même. Lui-même il vous a dit que son opinion était qu'il fallait faire tomber 268 000 têtes : lui-même il vous a avoué ce qu'au reste il ne pouvait nier, qu'il avait conseillé la subversion du gouvernement, qu'il avait provoqué l'établissement du tribunal, de la dictature, du triumvirat : mais quand il vous fit cet aveu, vous ne connaissiez peut être pas encore toutes les circonstances qui rendaient ce délit vraiment national ; et cet homme est au milieu de vous ! et la France s'en indigne, et l'Europe s'en étonne. Elles attendent que vous prononciez. Je demande contre Marat un décret d'accusation... (Murmures à l'extrême gauche ; vifs applaudissements sur les autres bancs.) et que le comité de sûreté générale soit chargé d'examiner la conduite de Robespierre et de quelques autres. [...].

Président. La parole est à Robespierre.
Maximilien Robespierre. Mon intention n'est pas de répondre en ce moment à la longue diffamation préparée dès longtemps contre moi. Je me bornerai à faire une motion d'ordre que la justice nécessite, et que je juge absolument indispensable pour que vous puissiez me juger d'une manière impartiale, et décider en connaissance de cause.
Je demande un délai pour examiner les inculpations dirigées contre moi, et un jour fixe pour y répondre d'une manière satisfaisante et victorieuse. Je demande que vous décrétiez purement et simplement que lundi je serai entendu.
La Convention décrète cette proposition.

IV. 5 novembre 1792. Réponse de Maximilien Robespierre aux accusations de Jean Baptiste Louvet de Couvray. Source : Archives parlementaires de 1787 à 1860, première série (1787 à 1799), tome LIII, 27 octobre 1792 au 30 novembre 1792, Paris, Paul Dupont, Éditeur, 1898, p. 158 sqq.

IV.1. À propos de l'accusation d'abus de pouvoir et de promotion de Marat

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Marie Jean Hérault de Séchelles (1760-5 avril 1794, guillotiné), gravure de Jean Baptiste Compagnie d'après François Bonneville.

Hérault de Séchelles,président.
La Convention passe à l'ordre du jour.

Maximilien Robespierre. Citoyens, délégués du peuple, une accusation, sinon très redoutable, au moins très grave et très solennelle, a été intentée contre moi, devant la Convention nationale ; j'y répondrai, parce que je ne dois pas consulter ce qui me convient le mieux à moi-même, mais ce que tout mandataire du peuple doit à l'interêt public ; j'y répondrai, parce qu'il faut qu'en un moment disparaisse ce monstrueux ouvrage de la calomnie, si laborieusement élevé pendant plusieurs années peut-être ; parce qu'il faut bannir du sanctuaire des lois, la haine et la vengeance, pour y rappeler les principes et la concorde. Citoyens, vous avez entendu l'immense plaidoyer de mon adversaire, vous l'avez même rendu public par la voie de l'impression. Vous trouverez sans doute équitable d'accorder à la défense la même attention que vous avez donnée à l'accusation.

De quoi suis-je accusé ? D'avoir conspiré pour parvenir à la dictature, ou au triumvirat, ou au tribunat. L'opinion de mes adversaires ne paraît pas bien fixée sur ces points. Traduisons toutes ces idées romaines un peu disparates, par le mot de pouvoir suprême, que mon accusateur a employé ailleurs.

Or, on conviendra d'abord, que si un pareil projet était criminel, il était encore plus hardi ; car, pour l'exécuter, il fallait encore non seulement renverser le trône, mais anéantir la législature, et surtout empêcher encore qu'elle ne fût remplacée par une Convention nationale. Mais alors comment se fait-il que j'aie le premier dans mes discours publics et dans mes écrits, appelé la Convention nationale, comme le seul remède aux maux de la patrie ; il est vrai que cette proposition même, fut dénoncée comme incendiaire par mes adversaires actuels ; mais bientôt la révolution du 10 août, fit plus que la légitimer ; elle la réalisa. Dirai-je que pour arriver à la dictature, il ne suffit pas de maîtriser Paris, qu'il fallait asservir les 83 autres départements ? Où étaient mes trésors, où étaient mes armées, où étaient les grandes places dont j'étais pourvu ? Toute la puissance résidait précisément entre les mains de mes adversaires. La moindre conséquence que je puisse tirer de tout ce que je viens de dire, c'est qu'avant que l'accusation pût acquérir un caractère de vraisemblance, il faudrait au moins qu'il fût préalablement démontré que j'étais complètement fou ; encore ne vois-je pas ce que mes adversaires pourraient gagner à cette supposition, car alors il resterait à expliquer comment des hommes sensés auraient pu se donner la peine de composer tant de beaux discours, tant de belles affiches, de déployer tant de moyens, pour me présenter à la Convention nationale et à la France entière, comme le plus redoutable de tous les conspirateurs. [...].

Aux Jacobins, j'exerçais, si l'on en croit, un despotisme d'opinion, qui ne pouvait être regardé que comme l'avant-coureur de la dictature. D'abord je ne sais pas ce que c'est que le despotisme de l'opinion, surtout dans une société d'hommes libres, composée comme vous le dites vous-même, de 1 500 citoyens réputés les plus ardents patriotes, à moins que ce ne soit l'empire naturel des principes. Or, cet empire n'est point personnel à tel homme qui les énonce ; il appartient à la raison universelle, et à tous les hommes qui veulent écouter sa voix ; il appartient à mes collègues de l'Assemblée constituante, aux patriotes de l'Assemblée législative, à tous les citoyens gui défendirent invariablement la cause de la liberté.

L'expérience a prouvé, en dépit de Louis XVI et de ses alliés, que l'opinion des Jacobins et des Sociétés populaires était celle de la nation française. Aucun citoyen ne l'a crée ni dominée, et je n'ai fait que la partager. A quelle époque rapportez-vous les torts que vous me reprochez ? Est-ce aux temps postérieurs à la journée du 10 ? Depuis cette époque jusqu'au moment où je parle, je n'ai pas assisté plus de dix fois peut-être à la société.

C'est depuis le mois de janvier, dites-vous, qu'elle a été entièrement dominée par une faction très peu nombreuse, mais chargée de crimes et et d'immoralités, dant j'étais le chef, tandis que tous les hommes sages et vertueux tels que vous, gémissaient dans le silence et dans l'oppression ; de manière, ajoutez-vous, avec le ton de la pitié, que cette société célèbre par tant de services rendus à la patrie, est maintenant tout à fait méconnaissable.

Mais si depuis le mois de janvier, les Jacobins n'ont pas perdu la confiance et l'estime de la nation, et n'ont pas cessé de servir la liberté ; si c'est depuis cette époque qu'ils ont déployé un plus grand courage contre la Cour et Lafayette ; si c'est depuis cette époque que l'Autriche et la Prusse leur ont déclaré la guerre ; si c'est depuis cette époque qu'ils ont recueillis dans le sein des fédérés, rassemblés pour combattre la tyrannie, et préparé avec eux la sainte insurrection du mois d'août 1792, que faut-il conclure de ce que vous venez de dire, sinon que c'est cette poignée de scélérats dont vous voulez parler qui ont abattu le despotisme, et que vous et les vôtres étiez trop sages et trop amis du bon ordre pour tremper dans de telles conspirations. (Applaudissements.) Et s'il était vrai que j'eusse, en effet, obtenu aux Jacobins cette influence que vous me supposez gratuitement et que je suis loin d'avouer, que pourriez-vous en induire contre moi ?

IV.2. À propos de l'élection de Marat et de la démission de Priestley

IV.2.1. Robespierre, suppôt de Marat ?

Mais venons aux preuves positives. L'un des reproches les plus terribles que l'on m'ait fait, je ne le dissimule point, c'est le nom de Marat. Je vais donc commencer par vous dire quels ont été mes rapports avec lui. Je pourrais même faire ma profession de foi sur son compte ; mais sans en dire ni plus de bien, ni plus de mal que j'en pense, car je ne sais point trahir ma pensée pour caresser l'opinion générale.

Au mois de janvier 1792, Marat vint me trouver ; jusque-là je n'avais eu avec lui aucune espèce de relations directes ni indirectes ; la conversation roula sur les affaires publiques, dont il me parla avec désespoir. Je lui dis, moi, tout ce que les patriotes, même les plus ardents, pensaient de lui ; à savoir, qu'il avait mis lui-même un obstacle au bien que pouvaient produire les vérités utiles développées dans ses écrits, en s'obstinant à revenir éternellement sur certaines propositions absurdes et violentes, qui révoltaient les amis de la liberté autant que les partisans de l'aristocratie. II défendit son opinion, je persistai dans la mienne ; et je dois avouer qu'il trouva mes vues politiques tellement étroites, que quelque temps après, lorsqu'il eut repris son journal, alors abandonné par lui depuis quelque temps en rendant compte lui-même de la conversation dont je viens de parler, il écrivit, en toutes lettres, qu'il m'avait quitté parfaitement convaincu que je n'avais ni Les vues, ni l'audace d'un homme d'Etat ; et si les critiques de Marat pouvaient être des titres de faveur, je pourrais remettre encore sous vos yeux quelques-unes de ses feuilles, publiées six semaines avant la dernière révolution, où il m'accusait de feuillantisme (24), parce que, dans un ouvrage périodique, je ne disais pas hautement qu'il fallait renverser la Constitution. »

À comparer avec l'article que Marat publiait le 3 mai 1792 dans le n° 648 de l'Ami du Peuple :

« [Élie] Guadet [député de la Gironde] accuse Robespierre de faire écrire dans le journal de l'ami du peuple, dont il dépose, que le moment est venu de donner un dictateur à la France. Au moment même, où il cherche à affaiblir par les accusations les plus absurdes, la confiance du peuple, dans la majorité de ses représentans. Ce dictateur, c'est sans doute Robespierre lui-même, comme un compère [Louvet de Couvray] de Guadet vient bêtement d'accuser l'ami du peuple de l'avoir indiqué dans sa feuille. »

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L'Ami du Peuple, n° 648, 3 mai 1792, pp. 7-8. Pour en savoir plus sur la relation qu'ont entretenue Robespierre et Marat, cf. Olivier Coquard, « Marat et Robespierre : la rencontre de deux politiques révolutionnaires », in Robespierre. De la Nation artésienne à la République et aux Nations. Lille, Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, 1994.

À propos de la relation qu'entretenaient Robespierre et Marat, Jean Baptiste Louvet de Couvray, dans Quelques notices pour l’histoire et le récit de mes périls depuis le 31 mai 1793, formule cette remarque incisive : « Observez que Robespierre et Marat avoient le mutuel désir également dissimulé de se supplanter quelque jour. » (25)

IV.2.2. Robespierre et l'élection de Marat et de Priestley

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Louis XVI avec son confesseur Henri Essex Edgeworth de Firmont, un instant avant sa mort, le 21 janvier 1793, estampe signée Charles Benazeck (1767-1794), peintre, et Cazenave, sculpteur. En bas à gauche sur l'image, Jacques Roux, dit « le curé rouge » ou encore « le petit Marat », membre du conseil général de la commune de Paris et chargé par elle d'accompagner Louis XVI à la guillotine, rédige le compte-rendu de l'exécution. Jacques Roux mourra le 10 février 1794 à la prison de Bicêtre.

On sait par une lettre de Jacques Roux adressée en 1793 à Marat, que c'est lui, Jacques Roux, principale figure des Enragés, qui a facilité l'accès de Marat auprès de Robespierre : « Je fus porteur d’une lettre pour Robespierre et pour Chabot, dont l’objet étoit d’intéresser la société des Jacobins à propager l’édition de tes ouvrages » (26). C'est donc grâce audit Jacques Roux que Marat a pu rendre à Robespierre la « première et unique visite » mentionnée ci-dessus.

Maximilien Robespierre. Depuis cette première et unique visite de Marat, je l'ai trouvé à l'assemblée électorale. Ici, je retrouve aussi M. Louvet, qui m'accuse d'avoir désigné Marat pour député, d'avoir mal parlé de Priestley ; enfin, d'avoir dominé le corps électoral par l'intrigue et par l'effroi. Aux déclamations les plus absurdes et les plus atroces, comme aux suppositions les plus romanesques et les plus démenties hautement par la notoriété publique, je ne réponds que par les faits ; les voici : L'assemblée électorale avait arrêté unanimement que tous les choix qu'elle ferait seraient soumis à la ratification des assemblées primaires, et ils furent, en effet, examinés et ratifiés par les sections. À cette grande mesure, elle en avait ajouté une autre non moins propre à tuer l'intrigue, non moins digne des principes d'un peuple libre ; celui de statuer que les élections seraient faites à haute voix et précédées de la discussion publique des candidats. Chacun usa librement du droit de les proposer. Je n'en présentai aucun. Seulement, à l'exemple de quelques-uns de mes collègues, je crus faire une chose utile en proposant des observations générales sur les règles qui pouvaient guider les corps électoraux dans l'exercice de leurs fonctions. Je ne dis point de mal de Priestley, je ne pouvais en dire d'un homme qui ne m'était connu que par sa réputation de savant, et par une disgrâce [cf. supra] qui le rendait intéressant aux yeux des amis de la Révolution française.

Je ne désignai pas Marat plus particulièrement que les écrivains courageux qui avaient combattu ou souffert pour la cause de la Révolution, tels que l'auteur des Crimes des rois [Louis Thomas Hébert Charles de Lavicomterie de Saint-Samson, député de la Seine à la Convention] et quelques autres qui fixèrent les suffrages de l'assemblée. Voulez-vous savoir la véritable cause qui les a réunis en faveur de Marat, en particulier ? C'est que, dans cette crise, où la chaleur du patriotisme était montée au plus haut degré et où Paris était menacé par l'armée des tyrans qui s'avançait, on était moins frappé de certaines idées exagérées ou extravagantes qu'on lui reprochait, que des attentats de tous les perfides ennemis qu'il avait dénoncés et la présence des maux qu'il avait prédits. Personne ne songeait alors que bientôt son nom seul servirait de prétexte pour calomnier, et la députation de Paris, et l'assemblée, électorale et les assemblées primaires elles-mêmes. Pour moi, je laisserai à ceux qui me connaissent, le soin d'apprécier ce beau projet, formé par certaines gens de m'identifier à quelque prix que soit avec un homme qui n'est pas moi. N'avais-je donc pas assez de torts personnels, et mon amour, mes combats pour la liberté ne m'avaient-ils pas suscités assez d'ennemis depuis le commencement de la Révolution, sans qu'il soit besoin de m'imputer encore un excès que j'ai évité et des opinions que j'ai moi-même condamnées le premier. »

IV.2.3. Robespierre et la démission de Joseph Priestley

Dans son discours du 5 novembre 1792, Robespierre se contente de rappeler que Joseph Priestley, comme indiqué dans la lettre qu'il adresse alors à la Convention [cf. supra] a démissionné le 28 septembre de son mandat de député de l'Orne parce qu'il n'avait qu'une « connaissance imparfaite de votre langue » et parce qu'« en acceptant cette place, il en eût privé un autre citoyen qui eût pu y être plus utile » que lui.

Mais dans la lettre qu'il adresse à ses commettans le 28 septembre 1792, Robespierre observe que « ce docteur anglais s'étendait particulièrement sur les louanges du ministre Roland, qu'il invitait à garder sa place... ». Il laisse clairement entendre par là qu'il jugeait regrettable l'élection de Joseph Priestley. Il aurait donc pu, comme insinué par Louvet de Couvray, pousser en sous-main à la démission dudit Priestley. Concernant les élections à la Convention, du point de vue de Robespierre et des Jacobins tout au moins, « un autre citoyen eût pu y être plus utile » en effet que ce partisan du ministre Roland.

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Robespierre, Lettres à ses commettans, 28 septembre 1792, pp. 136-137.

L'obédience rolandiste pointée par Robespierre chez Joseph Priestley se trouve confirmée en tout cas dans la lettre adressée en anglais par ledit Priestley à M. Roland, ministre de l'Intérieur, le 21 septembre 1792, et lue en traduction à la Convention le 30 septembre du même mois :

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Gazette nationale ou le Moniteur universel, 30 septembre 1792 p. 2/6.

On ne sache pas que Marat ait connu Joseph Priestley, ni l'homme ni l'œuvre, en Angleterre. Dans le camp des dissidents, il s'intéressait à John Wilkes [cf. supra]. Il ne semble pas non plus que Marat se soit intéressé à l'élection dudit Joseph Priestlay. Avant d'être élu député de la Seine le 9 septembre 1792, il a certes fait partie de la Commission électorale parisienne. Mais il n'a pas eu affaire, au moins directement, à l'élection de Joseph Priestley dans l'Orne. On sait en revanche qu'il a fait élire son ami, le peintre Jacques Louis David.

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Jacques Louis David (1748–1825), Autoportrait en 1794, Musée du Louvre.

IV.2.4. Robespierre et « sa conduite au Conseil général de la Commune ».

Il s'agit là, concernant la Révolution, de l'une des déclarations les plus fortes et les plus célèbres de Robespierre.

Maximilien Robespierre. On me demande d'abord pourquoi, après avoir abdiqué la place d'accusateur public, j'ai accepté le titre d'officier municipal.

Je réponds que j'ai abdiqué au mois de janvier 1791 la place lucrative et nullement périlleuse, quoi qu'on dise, d'accusateur public, et que j'ai accepté les fonctions de membre du Conseil de la Commune, le 10 août 1792. On m'a fait un crime de la manière même dont je suis entré dans la salle où siégeait la nouvelle municipalité. Notre dénonciateur m'a reproché très sérieusement d'avoir dirigé mes pas vers le bureau. Dans ces conjonctures où d'autres soins nous occupaient, j'étais loin de prévoir que je serais obligé d'informer un jour la Convention nationale que je n'avais été au bureau que pour faire vérifier mes pouvoirs. M. Louvet n'en a pas moins conclu de tous ces faits, à ce qu'il assure, que ce conseil général, ou du moins, plusieurs de ses membres étaient réservés à de hautes destinées. Pouviez-vous en douter ? N'était-ce pas une assez haute destinée, que celle de se dévouer pour la patrie ? Pour moi, je m'honore d'avoir ici à défendre et la cause de la Commune et la mienne. Mais non.... Je n'ai qu'à me réjouir qu'un grand nombre de citoyens ont mieux servi la chose publique que moi. Je ne veux point prétendre à une gloire qui ne m'appartient pas.

Je ne fus nommé que dans la journée du 10 ; mais ceux qui, plus tôt choisis, étaient déjà réunis à la maison Commune, dans la nuit redoutable, au moment où la conspiration de la Cour était près d'éclater, ceux-là sont véritablement les héros de la liberté ! Ce sont ceux-là qui, servant de point de ralliement aux patriotes, armant les citoyens, dirigeant les mouvements d'une insurrection tumultueuse d'où dépendait le salut public, déconcertèrent la trahison, en faisant arrêter le commandant de la garde nationale, vendu à la Cour, après l'avoir convaincu, par un écrit de sa main, d'avoir donné aux commandants de bataillon, des ordres de laisser passer le peuple insurgent, pour le foudroyer ensuite par derrière.

Citoyens représentants, si la plupart de vous ignoraient les faits qui se sont passés loin de vos yeux, il vous importe de les connaître, ne fût-ce que pour ne souiller les mandataires du peuple Français, par une ingratitude fatale à la cause de la liberté ; vous devez les entendre avec intérêt, au moins pour qu'il ne soit pas dit qu'ici les dénonciations seules ont droit d'être accueillies. Est-il donc si difficile de comprendre que, dans de telles circonstances, cette municipalité tant calomniée dût renfermer les plus généreux citoyens ? Là, étaient ces hommes que la bassesse monarchique dédaigne, parce qu'ils n'ont que des âmes fortes et sublimes. Là, nous avons vu, et chez les concitoyens, et chez les magistrats nouveaux, des traits d'béroïsme que l'incivisme et l'imposture s'efforceront en vain de ravir à l'histoire. [...].

Voulez-vous juger le conseil général révolutionnaire de la commune de Paris ? Placez-vous au sein de cette immortelle Révolulion qui l'a créé, et dont vous êtes vous-mêmes l'ouvrage. On vous entretient sans cesse, depuis votre réunion, d'intrigants qui s'étaient introduits dans ce corps. Je sais qu'il en existait en effet quelques-uns ; et qui, plus que moi, a le droit de s'en plaindre ? Ils sont au nombre de nos ennemis et d'ailleurs quel corps si pur et si nombreux fut absolument exempt de ce fléau ?

On vous dénonce éternellement quelques actes répréhensibles, imputés à des individus. J'ignore ces faits ; je ne les nie, ni ne les crois ; car j'ai entendu trop de calomnies pour croire aux dénonciations qui parlent de la même source, et qui toutes portent l'empreinte de l'affectation et de la fureur.

Je ne vous observerai pas même que l'homme de ce conseil général qu'on est le plus jaloux de compromettre, échappe nécessairement à ces traits, je ne m'abaisserai pas jusqu'à observer que je n'ai jamais été chargé d'aucune espèce de commission, ni me suis mêlé en aucune manière d'aucune opération particulière. Que je n'ai jamais présidé un seul instant la Commune, que jamais je n'ai eu la moindre relation avec le comité de surveillance tant calomnié. Car, tout compensé, je consentirais volontiers à me charger de tout le bien et de tout le mal attribués à ce corps, que l'on a si souvent attaqué dans la vue de m'inculper personnellement.

On lui reproche des arrestations qu'on appelle arbitraires, quoique aucune n'ait été faite sans un interrogatoire.

Quand le consul de Rome eut étouffé la conspiration de Catilina, Clodius l'accusa d'avoir violé les lois. Quand le consul rendit compte au peuple de son administration, il jura qu'il avait sauvé la patrie, et le peuple applaudit. J'ai vu à cette barre, tels citoyens qui ne sont pas des Clodius, mais qui, quelque temps avant la Révolution du 10 août, avaient eu la prudence de se réfugier à Rouen, dénoncer emphatiquement la conduite du Conseil de la commune de Paris. Des arrestations illégales ! Est-ce donc le code criminel à la main qu'il faut apprécier les précautions salutaires qu'exige le salut public dans les temps de crise, amenés par l'impuissance même des lois ? Que ne nous reprochez-vous aussi d'avoir brisé illégalement les plumes mercenaires dont le métier était de propager l'imposture et de blasphémer contre la liberté ? Que n'instituez-vous une commission pour recueillir les plaintes des écrivains aristocratiques et royalistes ?

Que ne nous reprochez-vous d'avoir consigné tous les conspirateurs aux portes de cette grande cité ? Que ne nous reprochez-vous d'avoir désarmé les citoyens suspects ? d'avoir écarté de nos assemblées, où nous délibérions sur le salut public, les ennemis connus de la Révolution ? Que ne faites-vous le procès à la fois, et à la municipalité, et à l'assemblée électorale, et aux sections de Paris, et aux assemblées primaires même des cantons, et à tous ceux qui nous ont imités ; car toutes ces choses-là étaient illégales, aussi illégales que la Révolution, que la chute du trône et de la Bastille, aussi illégales que la liberté elle-même.

Mais que dis-je ? ce que je présentais comme une hypothèse absurde n'est qu'une réalité très certaine. On nous a accusés, en effet, de tout cela et de bien d'autres choses encore. Ne nous a-t-on pas accusés d'avoir envoyé, de concert avec le conseil exécutif, des commissaires dans plusieurs départements, pour propager nos principes, et les déterminer à s'unir aux Parisiens contre l'ennemi commun ?

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Pierre Gabriel Berthault (1737-1831), graveur, Journée du 10 août 1792. Assaut du Palais des Tuileries par le peuple, la Garde Nationale et les fédérés. 1er arrondissement, Musée Carnavalet.

Quelle idée s'est-on donc formée de la dernière Révolution ? La chute du trône paraissait-elle donc si facile avant le succès ? Ne s'agissait-il que de faire un coup de main aux Tuileries ? Ne fallait-il pas anéantir dans toute la France le parti des tyrans et, par conséquent, communiquer à tous les départements la commotion salutaire qui venait d'électriser Paris ? et comment ce soin pouvait-il ne pas regarder ces mêmes magistrats qui avaient appelé le peuple à l'insurrection ? Il s'agissait du salut public, il y allait de leurs têtes ! Et on leur a fait un crime d'avoir envoyé des commissaires aux autres communes pour les engager à avouer, à consolider leur ouvrage ! Que dis-je ! la calomnie a poursuivi ces commissaires eux-mêmes. Quelques-uns ont été jetés dans les fers. Le feuillantisme ou l'ignorance ont calculé le degré de chaleur de leur style ; ils ont mesuré toutes leurs démarches avec le compas constitutionnel, pour trouver le prétexte de travestir les missionnaires de la Révolution en incendiaires, en ennemis de l'ordre public. A peine les circonstances qui avaient enchaîné les ennemis du peuple ont-elles cessé, les mêmes corps administratifs, tous les hommes qui conspiraient contre lui sont venus les calomnier devant la Convention nationale elle-même.

Citoyens, vouliez-vous une Révolution sans révolution ? Quel est cet esprit de persécution qui est venu reviser, pour ainsi dire, celle qui a brisé nos fers ? Mais comment peut-on soumettre à un jugement certain les effets que peuvent entraîner ces grandes commotions.

Qui peut, après coup, marquer le point précis où devaient se briser les flots de l'insurrection populaire ? À ce prix, quel peuple pourrait jamais secouer le joug du despotisme ; car, s'il est vrai qu'une grande nation ne peut s'élever par un mouvement simultané, et que la tyrannie ne peut être frappée que par la portion des citoyens qui est plus près d'elle, comment ceux-ci oseront-ils l'attaquer si, après la victoire, les délégués venant des parties éloignées de l'État peuvent les rendre responsables de la durée ou de la violence de la tourmente politique qui a sauvé la patrie ? Ils doivent être regardés comme fondés de procuration tacite, pour la société tout entière.

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Pompe funèbre en l'honneur des martyrs de la journée du 10 août 1792, dans le jardin national, le 26 août 1792 ; Charles Monnet (1732-180.?), dessinateur, Helman graveur, Antoine Jean Duclos (1742-1795), aquafortiste.

Les Français, amis de la liberté, réunis à Paris au mois d'août dernier, ont agi à ce titre au nom de tous les départements ; il faut les approuver ou les désavouer tout à fait. Leur faire un crime de quelques désordres apparents ou réels, inséparables d'une grande secousse, ce serait les punir de leur dévouement. Ils auraient droit de dire à leurs juges : si vous désavouez les moyens que nous avons employés pour vaincre, laissez-nous les fruits de la victoire ; reprenez votre Constitution et toutes vos lois a ciennes ; mais restituez-nous le prix de nos sacrifices et de nos combats, rendez-nous nos concitoyens, nos frères, nos enfants qui sont morts pour la cause commune. Citoyens, le peuple qui vous a envoyé a tout ratifié. Votre présence ici en est la preuve : il ne vous a pas chargé de porter l'œil sévère de l'Inquisition sur les faits qui tiennent de l'insurrection, mais de cimenter par des lois justes la liberté qu'elle lui a rendue. L'univers, la postérité ne verra dans ces événements que leur cause sacrée et leur sublime résultat ; vous devez les voir comme elles. Vous devez les juger non en juges de paix, mais en hommes d'État et en législateurs du monde.

Et ne pensez pas que j'aie invoqué ces principes éternels, parce que nous avons besoin découvrir d'un voile quelques actions répréhensibles. Non, nous n'avons point failli, j'en jure par le trône renversé, et par la République qui s'élève.

IV.2.5. Robespierre et les massacres de Septembre

Maximilien Robespierre. On vous a parlé bien souvent des événements du 2 septembre ; c'est le sujet auquel j'étais le plus empressé d'arriver, et je le traiterai d'une manière absolument désintéressée.

Robespierre observe là « qu'arrivé à cette partie de son discours du 29 octobre, M. Louvet lui-même a généralisé d'une manière très vague l'accusation dirigée auparavant contre lui personnellement. »

Maximilien Robespierre. Je dirai pour ceux que l'imposture a pu égarer, qu'avant l'époque où ces événements sont arrivés, j'avais cessé de fréquenter le conseil général ae la Commune ; que l'assemblée électorale dont j'étais membre, avait commencé ses séances ; que je n'ai appris ce qui se passait dans les prisons que par le bruit public, et plus tard que par la plus grande partie des citoyens : car j étais habituellement chez moi ou dans les lieux où mes fonctions publiques m'appelaient.

Quant au conseil général de la Commune, il est certain, aux yeux de tout homme impartial, que, loin de provoquer les événements du 2 septembre, il a fait ce qui était en son pouvoir pour les empêcher. Si vous demandez pourquoi il ne les a point empêchés, je vais vous le dire.

Pour se former une idée juste de ces faits, il faut chercher la vérité, non dans les écrits ou dans les discours calomnieux qui les ont dénaturés, mais dans l'histoire de la dernière Révolution. Si vous avez pensé que le mouvement imprimé aux esprits par l'insurrection du mois d'août, était entièrement expiré au commencement de septembre, vous vous êtes trompés, et ceux qui ont cherché à vous persuader qu'il n'y avait aucune analogie entre l'une et l'autre des deux époques, ont feint de ne connaître ni les faits, ni le cœur humain.

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Henri Paul Motte (1846–1922), La Prise des Tuileries (10 août 1792), Affrontement entre les Suisses et les insurgés. Salon de 1892. Œuvre reproduite dans Le Petit journal. Supplément du dimanche. 13 août 1892.

La journée du 10 août avait été signalée par un grand combat dont beaucoup de patriotes et beaucoup de soldats suisses avaient été les victimes. Les plus grands conspirateurs furent dérobés à la colère du peuple victorieux qui avait consenti à les remettre entre les mains d'un nouveau tribunal ; mais le peuple était déterminé à exiger leur punition. Cependant, après avoir condamné trois ou quatre coupables subalternes, le tribunal criminel se reposa. Montmorin avait été absous, de Poix [Philippe Louis Marc Antoine de Noailles, duc de Poix, duc de Mouchy, capitaine des gardes du corps du roi] et plusieurs conspirateurs de cette importance avaient été frauduleusement mis en liberté ; de grandes prévarications en ce genre avaient transpiré, et de nouvelles preuves de la conspiration de la Cour se développaient chaque jour ; presque tous les patriotes qui avaient été blessés au château des Tuileries, mouraient dans les bras de leurs frères parisiens ; on déposa sur le bureau de la commune des balles mâchées extraites du corps de plusieurs Marseillais et de plusieurs autres fédérés ; l'Indignation était dans tous les cœurs.

Cependant, une cause nouvelle et beaucoup plus imposante acheva de porter la fermentation à son comble.

Un grand nombre de citoyens avaient pensé que la journée du 10 rompait les fils des conspirations royales ; ils regardaient la guerre comme terminée, quand tout à coup la nouvelle se répand dans Paris que Longwy a été livré, que Verdun a été livré, et qu'à la tête d'une armée de 100 000 hommes, Brunswick s'avance vers Paris ; aucune place forte ne nous séparait des ennemis. Notre armée divisée, presque détruite par les trahisons de Lafayette, manquait de tout ; il fallait songer à la fois à trouver des armes, des effets de campement, des vivres et des hommes. Le conseil exécutif ne dissimulait ni ses craintes, ni son embarras. Le danger était grand, il paraissait plus grand encore. Danton se présente à l'Assemblée législative, lui peint vivement les périls et les ressources, la porte à prendre quelques mesures vigoureuses, et donne une grande impulsion à l'opinion publique. Il se rend à la maison commune, et invite la municipalité à faire sonner le tocsin. Le conseil général de la commune sent que la patrie ne peut être sauvée que par les prodiges que l'enthousiasme de la liberté peut seul enfanter, et qu'il faut que Paris tout entier s'ébranle pour courir au-devant des Prussiens.

Danton fait sonner le tocsin pour avertir tous les citoyens de courir aux armes ; il leur en procure par tous les moyens qui sont en son pouvoir ; le canon d'alarme tonnait en même temps. En un instant, 40 000 hommes sont armés, équipés, rassemblés, et marchent vers Châlons.

Au milieu de ce mouvement universel, l'approche des ennemis étrangers réveille le sentiment d'indignation et de vengeance qui couvait dans les cœurs contre les traîtres qui les avaient appelés. Avant d'abandonner leurs foyers, leurs femmes et leurs enfants, les citoyens, les vainqueurs des Tuileries, veulent la punition des conspirateurs qui leur avait été promise. On court aux prisons... Les magistrats pouvaient-ils arrêter le peuple, car c'était un mouvement populaire et non, comme on l'a ridiculement supposé, la sédition partielle de quelques scélérats payés pour assassiner leurs semblables, et s'il n'en eût pas été ainsi, comment le peuple ne l'aurait-il pas empêché ? Comment la garde nationale, comment les fédérés n'auraient-ils fait aucun mouvement pour s'y opposer ? Les fédérés eux-mêmes étaient là en grand nombre. On connaît les vaines réquisitions du commandant de la garde nationale ; on connaît les vains efforts des commissaires de l'Assemblée législative, qui furent envoyés aux prisons.

J'ai entendu quelques personnes dire froidement que la municipalité devait proclamer la loi martiale. La loi martiale à l'approche de l'ennemi ! La loi martiale après la journée du 10 ! La loi martiale pour les complices du tyran détrôné contre le peuple ! Que pouvaient lès magistrats contre la volonté déterminée d'un peuple indigné, qui opposait à leurs discours et le souvenir de sa victoire, et le dévouement avec lequel il allait se précipiter au-devant des Prussiens et qui reprochait aux lois mêmes la longue impunité des traîtres qui déchiraient le sein de leur patrie ?... Ne pouvant les déterminer à se reposer sur les tribunaux du soin de leur punition, des officiers municipaux les engagèrent à suivre des formes nécessaires, dont le but était de ne pas confondre avec les coupables qu'ils voulaient punir, les citoyens détenus pour des causes étrangères à la conspiration du 10 août ; et ce sont les officiers municipaux qui ont exercé ce ministère, le seul service que les circonstances permettaient de rendre à l'humanité, qu'on vous a présentés comme des brigands sanguinaires. Le zèle le plus ardent pour l'exécution des lois ne peut justifier ni l'exagération, ni la calomnie. Or je pourrais citer ici. contre les déclamations de M. Louvet, un témoignage non suspect, c'est celui du ministre de l'intérieur [Jean Marie Roland] qui, en blâmant les exécutions populaires en général, n'a pas craint de parler de l'esprit de prudence et de justice que le peuple, c'est son expression, avait montré dans cette conduite illégale. Que dis-je ! je pourrais citer en faveur du conseil général de la commune M. Louvet lui-même, qui commençait l'une de ses affiches de La Sentinelle par ces mots : Honneur au conseil général de la commune ; il a fait sonner le tocsin, il a sauvé la patrie. C'était alors le temps des élections. ( Applaudissements à gauche et dans les tribunes.)

On assure qu'un innocent a péri. On s'est plu à en exagérer le nombre ; mais un seul, c'est beaucoup trop sans doute. Citoyens, pleurez cette méprise cruelle. Nous l'avons pleuré dès longtemps ; c'était un bon citoyen ; c'était donc l'un de nos amis. Pleurez même les victimes coupables, réservées à la vengeance des lois, qui ont tombé sous le glaive de la justice populaire ; mais que votre douleur ait un terme, comme toutes les choses humaines.

Gardons quelques larmes pour des calamités plus touchantes. Pleurez cent mille patriotes immolés par la tyrannie ; pleurez nos citoyens expirant sous leurs toits embrasés et les fils des citoyens massacrés au berceau ou dans les bras de leur mère : n'avez-vous pas aussi des frères, des enfants, des épouses a venger ? La famille des législateurs français, c'est la patrie ; c'est le genre humain tout entier, moins les tyrans et leurs complices. (Applaudissements.)

Pleurez donc, pleurez l'humanité abattue sous leur joug odieux ; mais consolez-vous, si, imposant silence à toutes les viles passions, vous voulez assurer le bonheur de votre pays, et préparer celui du monde ; consolez-vous si vous voulez rappeler sur le terre l'égalité et la justice exilées, et tarir par des lois justes la source des crimes et des malheurs de vos semblables.

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Murder of the Princess de Lamballe in The History of the French Revolution, ouvrage traduit par F. Shober de l'Histoire de la Révolution Française de Louis Adolphe Thiers.

La sensibilité qui gémit presque exclusivement pour les ennemis de la liberté m'est suspecte. Cessez d'agiter sous mes yeux la robe sanglante du tyran, ou je croirai que vous voulez remettre Rome dans les fers. (Nombreux et vifs applaudissements d'une grande partie des tribunes.) En voyant ces peintures pathétiques des Lamballe [Marie Thérèse Louise de Savoie Carignan, princesse de Lamballe] (27), des Montmorin [Armand Marc de Montmorin Saint-Hérem] (28), de la consternation des mauvais citoyens ; et ces déclamations furieuses contre des hommes connus sous des rapports tout à fait opposés, n'avez-vous pas cru lire un manifeste de Brunswick ou de Condé (Applaudissements dans les tribunes.) Calomniateurs éternels, voulez-vous donc venger le despotisme ? Voulez-vous flétrir le berceau de la République ? Voulez-vous déshonorer aux yeux de l'Europe la révolution qui l'a enfantée, et fournir des armes à tous les ennemis de la liberté ? Amour de l'humanité vraiment admirable, qui tend à cimenter la misère et la servitude des peuples, et qui cache le désir barbare de se baigner dans le sang des patriotes !

IV.2.6. Robespierre et l'avilissement prétendu du Conseil législatif

Maximilien Robespierre. À ces terribles tableaux, mon accusateur a lié le projet qu'il me supposait d'avilir le corps législatif qui, dit-il, était continuellement tourmenté, méconnu, outragé par un insolent démagogue gui venait à sa barre lui ordonner des décrets ;

Espèce de figure oratoire par laquelle M. Louvet a travesti deux pétitions que je fus chargé de présenter à l'Assemblée législative, au nom du conseil général de la commune, relativement à la création du nouveau département de Paris. Avilir le Corps législatif ! Quelle chétive idée vous êtes-vous donc formée de sa dignité ! Apprenez qu'une assemblée où réside la majesté du peuple français ne peut être avilie, même par ses propres œuvres. Quand elle s'élève à la hauteur de sa mission sublime, comment concevez- vous qu'elle puisse être avilie par les discours insensés d'un insolent démagogue ? Elle ne peut être dégradée par les blasphèmes de l'impie, pas plus que l'éclat de l'astre qui anime la nature ne peut être terni par les clameurs des hordes sauvages de l'Asie. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.) [...].

Mais, puisqu'il faut qu'au mois de novembre 1792, je rende compte à la Convention nationale de ce que j'ai dit le 12 ou 13 août, je vais le faire. Pour apprécier ce chef d'accusation, il faut connaître quel était le motif de la démarche de la Commune auprès du Corps législatif.

La révolution du 10 avait nécessairement fait disparaître l'autorité du Département avec la puissance de la Cour dont il s'était déclaré l'éternel champion ; et le Conseil général de la commune en exerçait le pouvoir. Il était fermement convaincu, comme tous les citoyens, qu'il lui serait impossible de soutenir le poids de la révolution commencée, si on se hâtait de le paralyser par la résurrection du Département dont le nom seul était devenu odieux. Cependant, dès le lendemain du premier jour de la révolution, des membres de la Commission des 21, qui dirigeait les travaux de l'Assemblée, avaient préparé un projet de décret dont l'objet était d'annuler l'influence de la Commune, en la renfermant dans les limites qu'exerçait le Conseil général qui l'avait précédée. Le même jour des affiches, où elle était diffamée, couvrirent les murs de Paris de la manière la plus indécente, et nous connaissons les auteurs de ces affiches ; ils ont beaucoup de rapports avec les auteurs de l'accusation à laquelle je réponds. Ce premier projet ayant échoué, on imagina de créer un nouveau Département, et le 12 ou le 13 on surprit à l'Assemblée un décret qui en terminait l'organisation. Le soir, je fus chargé par la Commune avec plusieurs autres députés de venir présenter à l'Assemblée législative des observations puisées dans le principe que j'ai indiqué. Elles furent appuyées par plusieurs membres, notamment par [Sébastien] Lacroix [hébertiste], qui alla même jusqu'à censurer la commission des 21, à qui il attribuait le décret ; et sur sa rédaction même, l'Assemblée décréta que les fonctions du nouveau corps administratif se borneraient aux matières d'impositions, et que, relativement aux mesures de salut public et de police, le Conseil général ne correspondrait directement qu'avec le Corps législatif.

Deux jours après, une circonstance singulière nous ramena à la barre pour le même objet ; la lettre de convocation expédiée par le ministre Roland, pour nommer les membres de l'administration provisoire du Département, était motivée non sur le dernier décret qui en circonscrivait les fonctions ; mais sur le premier décret que l'Assemblée législative avait changé. Le Conseil général crut devoir réclamer contre cette conduite ; et il crut que le seul moyen de prévenir toutes ces divisions et tous les conflits d'autorité, si dangereux dans ces circonstances critiques, était que l'administration provisoire ne prît que le titre de Commission administrative, qui déterminait clairement l'objet des fonctions qui lui étaient attribuées par le dernier décret. Tandis qu'on discutait cette question à la Commune, les membres nommés pour remplacer le directoire, viennent lui jurer fraternité, et lui déclarer qu'ils ne voulaient prendre d'autre titre que celui de Commission administrative. Ce trait de civisme, digne des jours gui ont vu renaître la liberté, produisit une scène touchante. On arrête que les membres du directoire et des députés de la commune se rendront sur le champ à l'Assemblée législative, pour lui en rendre compte, et la prier de consacrer la mesure salutaire dont je viens de parler. Je portai la parole : c'est cette pétition que M. Louvet a qualifiée d'insolente ? Voulez-vous apprécier ce reproche, interrogez Hérault, qui dans cette séance présidait le Corps législatif ; il nous adressa une réponse véritablement républicaine, qui exprimait une opinion aussi favorable à l'objet de la pétition, qu'à ceux qui la présentaient. Nous fûmes invités à la séance.

Quelques orateurs ne pensèrent pas comme lui et un membre, qui m'a vivement inculpé le jour de l'accusation de M. Louvet, s'éleva très durement, et contre notre demande, et contre la Commune elle-même, et l'Assemblée passa à l'ordre du jour. Lacroix vous a dit que, dans le coin du côté gauche, je l'avais menacé du toscin. Lacroix, sans doute s'était trompé. (Murmures). Il n'y a aucune raison de m'interrompre, car il n'y en a pas même de ma part pour nier le fait s'il était exact. Mais, je le répète, Lacroix s'est trompé, et il était possible de confondre ou d'oublier les circonstances dont j'ai aussi des témoins, même dans cette Assemblée, et parmi les membres du Corps législatif. Je vais les rappeler, je me souviens très bien que, dans ce coin dont on a parlé, j'entendis certain propos qui me parurent assez feuillantins, assez peu dignes des circonstances où nous étions, entre autres celui-ci qui s'adressait à la commune : Que ne faites-vous résonner le toscin. C'est à ce propos, ou a un autre pareil, que je répondis : « Les sonneurs de toscin sont ceux qui cherchent à aigrir les esprits par l'injustice. » Je me rappelle encore qu'alors un de mes collègues, moins patient que moi, dans un mouvement d'humeur, tint, en effet, un propos semblable à celui qu'on m'a attribué, et d'autres m'ont entendu moi-même le lui reprocher.
Reynaud. J'atteste le fait que vient de dénoncer Robespierre.
(Murmures.)
Merlin (de Thionville). On a entendu les assertions de Lacroix. Je demande la même justice pour le citoyen [Claude André Benoît] Reynaud [de Bonnassous, dit Solon Reynaud].
Maximilien Robespierre. Je m'étonne que l'on soit si difficile à croire l'explication que je donne d'un fait de cette nature dont je n'avais parlé, moi, que pour satisfaire à ma délicatesse personnelle. Ne croirait-on pas, à la manière dont on traite cette question, qu'un propos lâché dans un coin du côté gauche, entendu par des particuliers, qu'un propos déplacé, criminel même dans un sens légal, puisse être l'objet d'un procès sérieux de la part de la Convention nationale ? Quoi ! il faut rappeler les principes de la liberté, qui nous a tous amenés ici ? Quoi ! vous pensez sérieusement qu'il est dans cette Assemblée des membres qui oseront soutenir que celui, par exemple, que j'ai désigné et qui a tenu le propos dont je parle, pourrait être poursuivi pour un fait de cette nature ? Quoi ! vous pourriez porter l'inquisition sur tout les hommes du 10 août qui n'auraient pas tenu des propos mesurés et respectueux pourles autorités constituées ? Quoi ! vous ignorez donc ce que c'était la Révolution du 10 août ? Vous ignorez donc que, quand le peuple est forcé de secouer le joug de la tyrannie, c'est parce que ceux entre les mains desquels il a remis ses pouvoirs sont réduits à cette cruelle nécessité ? Et quand cette révolution a changé la face du gouvernement, qu'elle a renvoyé la tyrannie et qu'elle y a substitué un pouvoir populaire, on croirait que ce pouvoir populaire peut venir demander compte à ceux qui se sont montrés dans cette révolution des propos qu'ils auraient tenus contre telle ou telle autorité constituée ?

Quant à la répétition du même propos que l'on me fait tenir au Comité des 21, la fausseté de ce fait est encore plus notoire. Je ne retournai au conseil général que pour dénoncer l'Assemblée législative, dit M. Louvet. Ce jour-là, retourné au Conseil général pour rendre compte de ma mission, je parlais avec décence de l'Assemblée nationale, avec franchise de quelques membres de la Commission des 21, à qui j'imputai le projet de faire rétrograder la liberté. On a osé, par un rapprochement atroce, insinuer que j'avais voulu compromettre la sûreté de quelques députés en les dénonçant à la Commune durant les exécutions des conspirateurs.

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Journée du 13 août 1792. Translation de Louis XVI et de la famille royale à la prison du Temple, eau-forte anonyme publiée in Révolutions de Paris dédiées à la nation et au district des Petits Augustins de [Louis Marie] Prud'homme, 11-18 août 1792, n° 162.

J'ai déjà répondu à cette infamie, en rappelant que j'avais cessé d'aller à la Commune avant ces événements qu'il ne m'était pas plus donné de prévoir que les circonstances subites et extraordinaires qui les ont amenés. Faut-il vous dire que plusieurs de mes collègues avant moi avaient déjà dénoncé la persécution tramée contre la Commune par les deux ou trois personnes dont on parle, et ce plan de calomnier les défenseurs de la liberté et de diviser les citoyens au moment où il fallait réunir ses efforts pour étouffer les conspirations du dedans et repousser les ennemis étrangers ? Quelle est donc cette affreuse doctrine, que dénoncer un homme et le tuer, c'est la même chose ? Dans quelle République vivons-nous, si le magistrat qui, dans une assemblée municipale, s'explique librement sur les auteurs d'une trame dangereuse, n'est plus regardé que comme un provocateur au meurtre ! Le peuple, dans la journée même du 10 août, s'était fait une loi de respecter les membres les plus décriés du Corps législatif ; il a vu paisiblement Louis XVI et sa famille traverser Paris de l'Assemblée au Temple, et tout Paris sait que personne n'avait prêché ce principe de conduite plus souvent ni avec plus de zèle que moi, soit avant, soit depuis la révolution du 10 août. Citoyens, si jamais, à l'exemple des Lacédémoniens, nous élevons un temple à la peur, je suis d'avis qu'on choisisse les ministres de son culte parmi ceux-là même qui vous entretiennent sans cesse de leur courage et de leurs dangers. (Applaudissements réitérés à gauche et dans les tribunes.)

IV.2.7. Robespierre et sa conduite au club des Jacobins

Maximilien Robespierre. Aux Jacobins, j'exerçais, si l'on en croit, un despotisme d'opinion, qui ne pouvait être regardé que comme l'avant-coureur de la dictature. D'abord je ne sais pas ce que c'est que le despotisme de l'opinion, surtout dans une société d'hommes libres, composée comme vous le dites vous-même, de 1 500 citoyens réputés les plus ardents patriotes, à moins que ce ne soit l'empire naturel des principes. Or, cet empire n'est point personnel à tel homme qui les énonce ; il appartient à la raison universelle, et à tous les hommes qui veulent écouter sa voix ; il appartient à mes collègues de l'Assemblée constituante, aux patriotes de l'Assemblée législative, à tous les citoyens qui défendirent invariablement la cause de la liberté.

L'expérience a prouvé, en dépit de Louis XVI et de ses alliés, que l'opinion des Jacobins et des Sociétés populaires était celle de la nation française. Aucun citoyen ne l'a créée ni dominée, et je n'ai fait que la partager. À quelle époque rapportez-vous les torts que vous me reprochez ? Est-ce aux temps postérieurs à la journée du 10 ? Depuis cette époque jusqu'au moment où je parle, je n'ai pas assisté plus de dix fois peut-être à la Société.

C'est depuis le mois de janvier, dites-vous, qu'elle a été entièrement dominée par une faction très peu nombreuse, mais chargée de crimes et et d'immoralités, dont j'étais le chef, tandis que tous les hommes sages et vertueux tel que vous, gémissaient dans le silence et dans l'oppression ; de manière, ajoutez-vous, avec le ton de la pitié, que cette Société célèbre par tant de services rendus à la patrie, est maintenant tout à fait méconnaissable.

Mais si depuis le mois de janvier, les Jacobins n'ont pas perdu la confiance et l'estime de la nation, et n'ont pas cessé de servir la liberté ; si c'est depuis cette époque qu'ils ont déployé un plus grand courage contre la Cour et Lafayette ; si c'est depuis cette époque que l'Autriche et la Prusse leur ont déclaré la guerre ; si c'est depuis cette époque qu'ils ont recueillie dans le sein des fédérés, rassemblés pour combattre la tyrannie, et préparé avec eux la sainte insurrection du mois d'août 1792, que faut-il conclure de ce que vous venez de dire, sinon que c'est cette poignée de scélérats dont vous voulez parler qui ont abattu le despotisme, et que vous et les vôtres étiez trop sages et trop amis du bon ordre pour tremper dans de telles conspirations. (Applaudissements.) Et s'il était vrai que j'eusse, en effet, obtenu aux Jacobins cette influence que vous me supposez gratuitement et que je suis loin d'avouer, que pourriez-vous en induire contre moi ?

Vous avez adopté une méthode bien sûre et bien commode pour assurer votre domination, c'est de prodiguer les noms de scélérats et de les montrer à vos adversaires ; et de donner vos partisans pour les modèles du patriotisme ; c'est de nous accabler, à chaque instant, du poids de nos vices et de celui de vos vertus. Cependant, à quoi se réduisent au fond tous vos griefs ? La majorité des Jacobins rejetait vos opinions ; elle avait tort, sans doute. Le public ne vous était pas plus favorable. Qu'en pouvez-vous conclure en votre faveur ? Direz-vous que je lui prodiguais les trésors que je n'avais pas, pour faire triompher des principes gravés dans tous les cœurs ? Je ne vous rappellerai pas qu'alors le seul objet de dissentiment qui nous divisait, c'était que vous défendiez indistinctement tous les actes des nouveaux ministres, et nous, les principes ; que vous paraissiez préférer le pouvoir, et nous l'égalité.

Je me contenterai de vous observer, qu il résulte de vos plaintes mêmes que vous étiez divisés d'opinion dès ce temps-là. Or, de quel droit voulez-vous faire servir la Convention nationale elle-même à venger les disgrâces de votre amour-propre ou de votre système ? Je ne chercherai point à vous rappeler aux sentiments des âmes républicaines. Mais soyez au moins aussi généreux qu'un roi ; imitez Louis XVI, et que le législateur oublie les injures de M. Louvet. (Applaudissements.) Mais non, ce n'est point l'intérêt personnel qui vous guide, c'est l'intérêt de la liberté, c'est l'intérêt des mœurs qui vous arme contre cette férocité qui n'est plus qu'un repaire de factieux et de brigands qui retiennent au millieu d'eux un petit nombre d'honnêtes gens trompés. Cette question et trop importante pour être traitée incidemment. J'attendrai le moment où votre zèle vous portera à demander à la Convention nationale un décret qui proscrive les Jacobins ; nous verrons alors si vous êtes plus persuasifs ou plus heureux que Lafayette. (Applaudissements dans les tribunes.)

Avant de terminer cet article, dites-nous seulement ce que vous entendez par ces deux portions du peuple que vous distinguez dans tous vos discours, dans tous vos rapports, dont l'une est flagornée, adulée, égarée par nous ; dont l'autre est paisible, mais intimidée ; dont l'une vous chérit et l'autre semble incliner à nos principes ? Votre intention serait-elle de désigner ici, et ceux que Lafayette appelait les honnêtes gens, et ceux qu'il nommait les sans-culottes et la canaille ?

IV.2.8. Robespierre à propos de la « lettre prétendue »

Au ton de l'ironie méprisante qu'il avait cultivé à l'endroit de Louvet de Couvray jusqu'alors, Robespierre ajoute désormais celui de la menace, et, de façon qu'on remarque, celui de la menace délibérément sibylline. À la fin de l'envoi — celui de la peur —, il touche : le provocateur au meurtre, ce n'est pas lui, mais l'autre, M. Louvet de Couvray.

Robespierre. Mais comment parlerais-je de cette lettre prétendue, timidement et j'ose dire très gauchement présentée à votre curiosité [la curiosité de l'ensemble des députés.] ?

Robespierre fait ici allusion à une phrase dans laquelle Louvet de Couvray accuse des « conjurés » non nommés d'avoir déclenché les massacres de Septembre par le placardage, partout en France, d'une lettre ad hoc et tenté ainsi de précipiter la chute du gouvernement girondin en l'accusant ne n'avoir rien fait pour empêcher lesdits massacres. Voici la phrase en question :

« C'est ainsi que déjà ce despote [Robespierre] approchait du but proposé, celui d'humilier devant les pouvoirs de la municipalité, dont il était réellement le chef, l'autorité nationale, en attendant qu'il pût l'anéantir ; oui, l'anéantir, car en même temps, par ce trop célèbre Comité de surveillance de la ville, des conjurés couvraient la France entière de cette lettre où toutes les communes étaient invitées à l'assassinat des individus ! » [cf. supra].

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Extrait du Compte-rendu au peuple souverain, n° IV, an I de la République. Le Compte-rendu au peuple souverain est une lettre-journal diffusée sous forme de placards. La lettre n° 4 a été placardée à Paris et en province à la veille des massacres de Septembre. Bien qu'anonyme, on sait que cette lettre émane de l'écrivain Philippe François Nazaire Fabre, dit Fabre d'Églantine, secrétaire de Danton. Elle porte au demeurant le contre-seing de Danton. Il semble toutefois que Danton ne l'ait pas lue avant de la contre-signer.

Robespierre. Une lettre énigmatique adressée à un tiers, des brigands anonymes ! des assassins anonymes ! et au milieu de ces nuages, ce mot jeté comme au hasard, ils ne veulent entendre parler que de Robespierre ! Des réticences, des mystères dans des affaires si graves, et en s'adressant à la Convention nationale ! le tout attaché à un rapport bien astucieux, après tant de libelles, tant d'affiches, tant de pamphlets, tant de journaux de toutes les espèces distribués à si grands frais et de toutes les manières, dans tous les coins de la République. homme vertueux ! homme exclusivement, éternellement vertueux ! où vouliez-vous donc aller par ces routes ténébreuses ? Vous avez essayé l'opinion : vous vous êtes arrêté, épouvanté... Vous avez bien fait. La nature, ne vous a pas moulé ni pour de grandes actions ni pour de grands attentats. (Murmures.) Je m'arrête ici moi-même, par égard pour vous.

Vous ne connaissez pas l'abominable histoire de l'homme à la missive énigmatique ; cherchez-la, si vous en avez le courage, dans les monuments de la police. Vous saurez un jour quel prix vous devez attacher à la modération de l'ennemi que vous vouliez perdre. Et croyez-vous que si je voulais m'abaisser à de pareilles plaintes, il me serait difficile de vous présenter des dénonciations un peu plus précises et mieux appuyées ? Je les ai dédaignées jusqu'ici. Je sais qu'il y a loin du dessein profondément conçu de commettre un grand crime, à certaines velléités, à certaines menaces de mes ennemis, dont j'aurais pu faire beaucoup de bruit. Voyez avec quelle maladresse vous vous embarrassez vous-même dans vos propres pièges. Vous vous tourmentez depuis longtemps pour arracher à l'Assemblée une loi contre les provocateurs au meurtre. Qu'elle soit portée ; quelle est la première victime qu'elle doit frapper ? N'est-ce pas vous qui avez dit calomnieusement, ridiculement, que j'aspirais à la tyrannie ? N'avez-vous pas juré, par Brutus, d'assassiner tous les tyrans ?

Vous voilà donc convaincu par votre propre aveu d'avoir provoqué tous les citoyens à m'assassiner ? (Applaudissements à gauche et dans les tribunes. Murmures au centre et à droite.) N'ai-je pas déjà entendu de cette tribune même des cris de fureur répondre à vos exhortations ? Et ces promenades de gens armés qui bravent au milieu de nous l'autorité des lois et des magistrats ; et ces cris qui demandent les têtes de quelques représentants du peuple, qui mêlent à vos imprécations contre moi vos louanges et l'apologie de Louis XVI ; qui les a appelés ? qui les égare ? qui les excite ? Et vous parlez de loi, de vertu, d'agitateurs !

Mais sortons de ce cercle d'infamies que vous nous avez fait parcourir, et arrivons à la conclusion de votre libelle.

Indépendamment de ce décret sur la force armée que vous cherchez à extorquer par tant de moyens ; indépendamment de cette loi tyrannique contre la liberté individuelle, et contre celle de la presse, que vous déguisez sous le spécieux prétexte de la provocation au meurtre, vous demandez pour le ministre une espèce de dictature militaire, vous demandez une loi de proscription contre les citoyens qui vous déplaisent, sous le nom d'ostracisme. Ainsi, vous ne rougissez plus d'avouer ouvertement le motif honteux de tant d'impostures et de machinations. Ainsi, vous ne parlez de dictature que pour l'exercer vous-même sans aucun frein ; ainsi, vous ne parlez de proscription et de tyrannie que pour proscrire et pour tyranniser. Ainsi, vous avez pensé que pour faire de la Convention nationale le vil instrument de vos coupables desseins, il vous suffirait de prononcer devant elle un roman bien astucieux, et de lui proposer de décréter sans désemparer la perte de la liberté et son propre déshonneur.

Que me reste-t-il à dire contre des accusateurs qui s'accusent eux-mêmes ? Ensevelissons, s'il est possible, ces misérables manœuvres dans un éternel oubli. Puissions-nous dérober aux regards de la postérité ces jours peu glorieux de notre histoire, où les représentants du peuple, égarés par de lâches intrigues, ont paru oublier les grandes destinées auxquelles ils étaient appelés. Pour moi, je ne prendrai aucunes conclusions qui me soient personnelles, j'ai renoncé au facile avantage de répondre aux calomnies de mes adversaires par des dénonciations plus redoutables. J'ai voulu supprimer la partie offensive de ma justification. Je renonce à la juste vengeance que j'aurais le droit de poursuivre contre mes calomniateurs ; je n'en demande point d'autre que le retour de la paix et le triomphe de la liberté. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Citoyens, parcourez d'un pas ferme et rapide votre glorieuse carrière, et puissé-je, aux dépens de ma vie et et de ma réputation même, concourir avec vous à la gloire et au bonheur de notre commune patrie ! (Robespierre descend de la tribune au milieu des plus vifs applaudissements.)
Louvet de Couvray demande à répondre ; il monte à la tribune.
Plusieurs membres s'y opposent et réclament l'impression du discours de Robespierre, ainsi que son envoi aux 83 départements.
D'autres membres s'opposent à l'envoi du discours et demandent la division.
La Convention prononce la division et décrète l'impression du discours de Robespierre.
Merlin (de Thionville. Le ministre de l'intérieur a fait tirer le discours de Louvet au nombre de 15 000 exemplaires. Je demande que la réponse justificative de Robespierre soit publiée avec la même profusion. (Applaudissements et murmures.)
Louvet de Couvray persiste à vouloir prendre la parole.
Quelques citoyens des tribunes semblent lui parler avec menaces.
Plusieurs membres murmurent et demandent que les citoyens se tiennent dans le silence.
Le Président. Beaucoup de membres se plaignent de ce que je ne fais pas respecter l'Assemblée, parce que ïes tribunes ont applaudi.
Les mêmes membres. Non pas, c'est qu'elles ont parlé !
Le Président. J'observe que cela m'a été impossible et que j'ai fait mon devoir dans la mesure de mes forces et de mes moyens.
Delacroix. Je ne me rappelle pas si les tribunes ont applaudi ou parlé, mais ce que je sais, c'est qu'il ne doit rester de tous ces débats que le regret d'avoir perdu deux séances à des dénonciations particulières. (Applaudissements.) Je demande l'ordre du jour.
Louvet de Couvray. Je demande à parler contre l'ordre du jour.
Un membre. Vous répondrez dans la Sentinelle, laissez voter maintenant sur l'ordre du jour.

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Portrait d'Adam Philippe, Comte de Custine (1740-1793) par Eugénie Tripier-Le Franc (1797–1872) d'après Joseph Désiré Court (1797–1865), Versailles.

Ironie du sort, la fin de la séance se trouve précipitée par l'arrivée d'une lettre triomphante d'Adam Philippe de Custine, général en chef de l'armée du Rhin, dit le « général Moustache », qui occupe depuis le 22 octobre Worms, Mayence et Francfort-sur-le-Main, y propage par des proclamations les idées de la Révolution et y impose de lourdes contributions à la noblesse et au clergé, mais qui devra peu après céder Francfort sous la pression de l'armée prussienne, puis céder Mayence, Condé et Valenciennes au printemps de l'année 1793, et qui sera guillotiné le 28 août 1793 pour avoir « œuvré à la perte » de ces villes « en collaboration avec l'ennemi ».

En guise de conclusion...

On sait quelle a été la marche de Robespierre après le 5 novembre 1792.

Après le 5 novembre 1792, Marat continue à dénoncer mordicus dans son Prospectus, bientôt renommé Observation à mes commettants, puis, en avril 1793, Le Publiciste de la République. Il vise plus particulièrement alors la faction dite « des hommes d'État », dont Pierre Henri Hélène Marie Lebrun-Tondu, ministre des Affaires étrangères dans le Conseil exécutif provisoire du 11 août 1792, puis ministre provisoire de la Guerre, lié à Dumouriez, et Jean Pierre Brissot, l'un des chefs de file du parti girondin. Élu le 5 avril 1793 président du club des Jacobins, Marat fait alors circuler un appel à l'insurrection et au coup d'État contre la Contre-Révolution qui est, d'après lui, dans la Convention. Le 12 avril, à l'Assemblée, Élie Guadet fait voter son arrestation. Le 23 avril, fort dees partisans qui l'accompagnent, Marat se constitue prisonnier. Jugé le 24 avril, il est acquitté et porté en triomphe. Du 31 mai au 2 juin, il fait rayer de la liste de proscription des Girondins, Jean Baptiste Boyer-Fonfrède, François Xavier Lanthenas, Jean Dussaulx et Jean François Ducos, sauvant ainsi la vie de deux d'entre eux. Le 12 juillet, déjà retiré chez lui pour cause de maladie, il accuse Bertrand Barrère de bellicisme à outrance et demande son éviction du Comité de salut public. Cette accusation lui vaut d'être accusé en retour le même jour par Thomas Paine et autres Conventionnels modérés, de faire le jeu de William Pitt. Le lendemain, 13 juillet 1793, il est assassiné par Charlotte Corday. Son cœur est déposé au club des Cordelier. Entré au Panthéon le 21 septembre 1794, Marat en sera retiré le le 8 février 1795.

Après le 5 novembre 1792, Jean Baptiste Louvet de Couvray se déclare franchement pour la Gironde. Le 15 avril 1793, les sections de Paris réclament sa mise en accusation. Après les journées du 31 mai et du 2 juin 1793, qui entraînent la mise en accusation des Girondins, il tente avec d'autres Girondins en fuite de susciter une insurrection en Normandie. Il épouse Lodoïska [Marguerite Denuelle], son amour de longue date, qui l'a soutenu sans faiblir dans chacune ses aventures littéraires et politiques. Puis il part se cacher en Gironde avec Élie Guadet.

Venant de la Vendée par la mer, « ils débarquent au Bec-d'Ambès le 24 août 1793 et à Bordeaux le 25. Mais au lieu de l'accueil hospitalier sur lequel ils avaient compté, ils trouvent la Montagne triomphante, « Bordeaux trop prodigue de menaces ou trop avare d'action », et alors s'ouvre pour eux une vie pleine d'aventures et de périls : ils errent d'hôtel en hôtel, obligés souvent de fuir dans la campagne. Ils sont rejoints entre temps par Barbaroux, Buzot, Petion, Salle et Valady.

Ils portaient autour d'eux, suivant l'expression d'Isnard (29), la contagion du supplice. Nul n'osait assumer pour les siens ni pour lui-même cette solidarité de l'échafaud ; c'était une espèce d'interdiction de l'eau et du feu des législations anciennes.

Les Archives municipales de Saint-Émilion renferment une information dans laquelle les témoins entendus déclarent qu'ils ont aperçu, tantôt le matin de bonne heure, tantôt le soir, des étrangers armés de sabres parcourant le pays ; ils s'en sont détournés avec frayeur. Ces hommes qu'on rencontrait sur les grands chemins, errant comme des loups dans les bois, ces sept hommes dont la rencontre, la nuit venue, effrayait les passants, c'étaient Barbaroux, Buzot, Guadet, Louvet, Pétion, Salle et Valady.

Guadet avait eu l'espoir de trouver un asile dans la maison de son père, située à Saint-Émilion ; mais déjà l'éveil était donné : cette maison, où l'on pensait que les représentants proscrits viendraient se faire prendre, était placée sous l'inspection de deux gardiens qui veillaient jour et nuit. Il n'y avait nul moyen d'y pénétrer, encore bien moins d'y séjourner, et les campagnes environnantes étaient en armes ! C'est là que se place l'intervention de madame Bouquey, née Thérèse Dupeyrat, sœur de la femme de Guadet. Quoique suspecte elle-même, à cause de l'alliance qui l'unissait à la famille proscrite, elle ne craignit pas d'ouvrir sa maison à son beau-frère. Malgré les appréhensions de son entourage, composé de personnes qui n'étaient pas à la hauteur de cet héroïsme, malgré la surveillance étroite qui l'environnait de toutes parts, elle osa donner une retraite aux proscrits, à quelques pas de la maison Guadet, gardée à vue, lorsque Tallien venait à peine de quitter Saint-Émilion.

Dans cette habitation existait un puits très profond qui communiquait avec un vaste souterrain formé par d'anciennes carrières. Pour y parvenir, il fallait descendre dans le puits, au risque des plus grands dangers. C'est là qu'à trente pieds sous terre, Guadet et Salle trouvèrent un instant de sécurité et de repos. Ils y restèrent un mois environ, mais non pas seuls : Barbaroux, Valady et Louvet vinrent d'abord les rejoindre ; plus tard Buzot et Pétion, qui avaient été forcés de changer sept fois d'asile en quinze jours, firent savoir à leurs compagnons d'infortunes qu'ils étaient réduits aux dernières extrémités. « Qu'ils viennent tous deux », s'écria la courageuse madame Bouquey, et cependant les visites domiciliaires, les menaces d'incendie, les exécutions se multipliaient autour d'elle. Ils se trouvèrent ainsi au nombre de sept enfouis dans ces sombres demeures, où la lumière ne pouvait parvenir, où l'air ne se renouvelait qu'avec peine. Leur séjour dura, suivant nos suppositions, des premiers jours d'octobre au 12 novembre environ. » (30).

Jean Baptiste Louvet de Couvray évoque cet épisode dans Quelques notices pour l'histoire, et le récit de mes périls depuis le 31 mai 1793 :

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Jean Baptiste Louvet de Couvray, « l'un des Représentans procrits en 1793 », Quelques notices pour l'histoire, et le récit de mes périls depuis le 31 mai 1793, Paris, chez J.-B. Louvet, Libraire, Palais Égalité, Galerie neuve, derrière le Théâtre de la République, N° 24, l'an III de la République, pp. 123-124. La lecture de ces notices est passionnante.

En décembre-janvier 1793, Jean Baptiste Louvet de Couvray retourne pour s'y cacher à Paris. En février 1794, il se dissimule dans les carrières du Jura en attendant que son épouse, restée à Paris, le rejoigne. Le couple gagne ensuite la Suisse et s'installe dans le canton de Vaud. Le petit Félix Louvet (1794-1845) naît le 22 septembre 1794. En octobre 1794, de retour à Paris avec sa famille, Jean Baptiste Louvet de Couvray ouvre une librairie-imprimerie au Palais-Égalité [Palais-Royal] et publie Quelques notices pour l’histoire et le récit de mes périls depuis le 31 mai 1793. En février 1795, il réintègre la Convention et relance La Sentinelle, journal désormais édité en feuillets, dans lequel il s'attaque tout à la fois à la réaction royaliste, au jacobinisme, et à la réaction thermidorienne. Le 23 avril 1795, Louvet fait partie des onze membres de la commission chargée de réviser la constitution. Il est élu à la présidence de la Convention du 19 au 23 avril 1795. Lors de l'insurrection du 1er prairial an III (20 mai 1795) [dernier sursaut de la révolution populaire parisienne], il fait voter une proclamation appelant les citoyens à défendre l'Assemblée. C'est lui qui prononce l'oraison funèbre de Jean Bertrand Féraud, député des Hautes-Pyrénées, assassiné par les insurgés au sein même de l'Assemblée.

Jean Baptiste Louvet de Couvray est élu à la présidence de la Convention du 19 juin au 4 juillet 1795, puis au Comité de salut public le 3 juillet 1795, et au Comité de rédaction de la nouvelle Constitution, le 13 juillet. Le 15 octobre de la même année, il est élu au Conseil des Cinq-Cents et choisit de représenter la Haute-Vienne. Lassé des muscadins qui s'assemblent devant sa librairie et se plaisent à le traiter de « buveur de sang », il s'installe dans le faubourg Saint-Germain, au 136-140 de la rue de Grenelle. Nommé consul à Palerme par le Directoire, il n'a pas le temps de rejoindre son poste : il meurt de tuberculose et d’épuisement le 25 août 1797, à l'âge de seulement 37 ans.

Robespierre, Marat, Louvet de Couvray et autres figures des années révolutionnaires, ont quitté la scène de l'Histoire depuis longtemps déjà. « Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, Et l'on entend à peine leurs paroles ». Mais, à relire leurs discours, qui sont aussi comme « grand debat, dont furent faictes grosses guerres », on est frappé de voir que la mort les a fauchés en nombre avant l'âge. Mus par des passions glaciales ou brûlantes, ils ne cultivaient pas l'art du compromis. Seuls les plus âgés d'entre eux, à l'exception de Jean Marie Roland de la Platière, ont réussi à franchir le cap des tempêtes et survécu ainsi aux foudres du temps. Le cas de Jean Baptiste Louvet de Couvray demeure tristement singulier. Après avoir affronté en David un Robespierre Goliath, il échappe miraculeusement à la guillotine — qui l'eût cru ? —, pour mourir de tuberculose trois ans plus tard. « L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir », dit le poète.

À la mort de son mari, Marguerite Denuelle-Louvet, dite Lodoïska, du nom d'une des héroïnes des Amours du chevalier de Faublas, tente de se suicider. Mais il s'agit là d'un autre versant de l'histoire des années révolutionnaires...

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H. Leloup, « Madame Louvet ou Lodoïska (1760-1827) », in Bulletin de la Société d'émulation de l'arrondissement de Montargis, n° 88, troisième série, juin 1992, pp. 22-23. « Le 9 février 1827, Madame Louvet meurt brûlée vive dans l'incendie qui se déclare dans sa chambre au premier étage du château. Elle est enterrée dans le parc, à côté de son mari. En 1845, lorsque Félix Louvet, son fils, meurt ruiné, le château de Chancy est vendu. Les corps des époux Louvet sont transportés alors au cimetière de Montargis, où leur tombe existe toujours », dit H. Leloup en 1992 dans l'article précité.

Annexe. Mortuaire des personnages invoqués ou évoqués ci-dessus.

● Armand Marc, comte de Montmorin Saint-Hérem, est tué à la prison de l'Abbaye le 2 septembre 1792 (47 ans).
● Marie Thérèse Louise de Savoie Carignan, princesse de Lamballe, est tuée à la sortie de la prison de la Force le 2 septembre 1792 (43 ans).
● Claude Antoine de Valdec de Lessart, transféré de la prison d'Orléans à Versailles, est tué ou mortellement blessé à l'entrée de Versailles par la troupe de Claude Fournier, dit Fournier l'Américain, le 9 septembre 1792 (51 ans).
● Louis XVI meurt guillotiné mort guillotiné le 21 janvier 1793 (38 ans).
● Marat meurt assassiné le 13 juillet 1793 (50 ans).
● Adam Philippe, comte de Custine, est guillotiné le 28 août 1793 (51 ans).
● Jean Pierre Brissot meurt guillotiné le 31 octobre 1793 (39 ans)..
● Jean Baptiste Boyer-Fonfrède est guillotiné le 31 octobre 1793 (33 ans).
● Jean François Ducos est guillotiné le 31 octobre 1793 (28 ans).
● Jean Marie Roland de la Platière se suicide le 10 novembre 1793 (59 ans).
● Jacques Godefroy Charles Sébastien Xavier Jean Joseph Yzarn de Valady est fusillé le 6 décembre 1793 (27 ans).
● Pierre Henri Hélène Marie Lebrun-Tondu est guillotiné le 28 décembre 1793 (39 ans).
● Jacques Roux se suicide le 10 février 1794 à la prison de Bicêtre (42 ans).
● Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, meurt le 29 mars 1794 à la prison de Bourg-la-Reine (51 ans).
● Jean François Delacroix est guillotiné le 5 avril 1794 (41 ans).
● Georges Jacques Danton est guillotiné le 5 avril 1794 (35 ans).
● Philippe François Nazaire Fabre, dit Fabre d'Églantine, est guillotiné le 5 avril 1794 (44 ans).
● Marie Jean Hérault de Séchelles est guillotiné le 5 avril 1794 (35 ans).
● Sébastien Lacroix est guillotiné le 13 avril 1794 (28 ans).
● François Trophime Rebecquy se suicide le 1er mai 1794 (50 ans).
● François Nicolas Léonard Buzot se suicide le 18 juin 1794 (34 ans).
● Jérôme Petion de Villeneuve se suicide le 18 juin 1794 (38 ans).
● Élie Guadet meurt guillotiné le 19 juin 1794 (39 ans).
● Jean Baptiste Salle est guillotiné le 19 juin 1794 (35 ans).
● Charles Jean Marie Barbaroux est guillotiné le 25 juin 1794 (27 ans).
● Maximilien Robespierre est guillotiné le 28 juillet 1794 (35 ans).
● Bon Claude Cahier de Gerville meurt le 15 février 1796 (45 ans).
● Jean Baptiste Louvet de Couvray meurt de tuberculose le 25 août 1797 (37 ans).
● François Xavier Lanthenas meurt le 2 janvier 1799 (45 ans).
● Jean-Joseph Dusaulx, dit aussi Jean Dussaulx, meurt le 16 mars 1799 (71 ans).
● Joseph Priestley meurt le 6 février 1804 aux États-Unis (71 ans).
● Louis Thomas Hébert Charles de Lavicomterie de Saint-Samson meurt le 24 janvier 1809 (63 ans).
● Antoine Joseph Santerre meurt le 6 février 1809 (57 ans).
● Claude André Benoît Reynaud meurt le 10 décembre 1815 (66 ans).
● Philippe Louis Marc Antoine de Noailles, duc de Poix, duc de Mouchy, meurt le 15 février 1819 (67 ans).
● Jacques Nicolas Billaud-Varenne meurt 3 juin 1819 à Port-au-Prince (53).
● Pierre Joseph Cambon meurt le 15 février 1820 (64 ans).
● Jean Lambert Tallien meurt le 16 novembre 1820 (53 ans).
● Emmanuel Guignard, comte de Saint-Priest, meurt en 1821 (86 ans).
● Jacques Alexandre César Charles meurt en 1823 (75 ans).
● Maximin Isnard meurt le 12 mars 1825 (67 ans).
● Jacques Louis David meurt le 29 décembre 1825 (77 ans).
● Marguerite Denuelle-Louvet, dite Lodoïska, meurt le 9 février 1827.
● Jean François Merlet meurt le 16 décembre 1830 (69 ans).
● Antoine Merlin de Thionville meurt le 14 septembre 1833 (71 ans).
● René Levasseur de la Sarthe meurt le 17 septembre 1834 (87 ans). ● Bertrand Barère, dit Barère de Vieuzac, meurt le 13 janvier 1841 (86 ans).
● Félix Louvet meurt le 14 mars 1845 (51 ans).

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1. Cérémonie du deuxième centenaire de la naissance de Joseph Priestley, associé étranger à l'Académie des Sciences. Discours de M. Camille Matignon, membre de l'Académie des Sciences, président de la Société chimique de France, sur la vie et l'œuvre de Priestley, Institut Pasteur, 15 juin 1933.

2. Concernant Thomas Paine, cf. Christine Belcikowski, À propos du carnet de Robespierre.

3. Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série (1787 à 1799), tome XLIX : du 26 août 1792 au 15 septembre 1792 au matin, Paris, Paul Dupont, Éditeur, 1896, p. 10.

4. Serge Bianchi, Marat, « l'Ami du peuple », Paris, Belin, 2017, p. 48.

5. Chaînes de l'esclavage

6. Journal de politique et de littérature, t. II, n° 13, 5 mai 1777.

7. Serge Bianchi, Marat, « l'Ami du peuple », Paris, Belin, 2017, p. 68. La marquise L'Aubespine, née Claire Adélaïde Antoinette de Choiseul Beaupré (1751-1794), est l'épouse séparée de Louis Marie Emmanuel Maximilien de L'Aubespine de Châteauneuf, et la maîtresse supposée de Marat.

8. Cf. Augustin Cabanès (1862-1928) in Marat inconnu. L'Homme privé. Le Médecin. Le Savant. D'après des documents nouveaux et inédits, troisième édition, Paris, Albin Michel, 1924, pp. 93-94.

9. Serge Bianchi, Marat, « l'Ami du peuple », Paris, Belin, 2017, pp. 70-71.

10. Cité par Jean François Robinet (1825-1899) in Condorcet. Sa vie, son œuvre (1743-1794), Paris, Librairies-Imprimeries Réunies, s. d., pp. 24-25. Jean François Robinet assortit d'un point d'interrogation le nom de d'Alembert, supposé dédicataire de la lettre de Condorcet. Aujourd'hui en effet, on ne trouve pas cette lettre dans l'édition numérique de la correspondance de d'Alembert.

11. Voltaire, avant Marat, Voltaire évoque les bulles de savon dans une lettre adressée à Madame la Marquise du Deffand le 22 juillet 1761 et recueillie dans le volume 12 des Œuvres complètes de Voltaire, Paris, Firmin Didot Frères, 1855, p. 489 :
« Je joue avec la vie, madame ; elle n'est bonne qu'à cela. Il faut que chaque enfant, vieux ou jeune, fasse ses bouteilles de savon. »
Voltaire (ou Arsène Houssaye ?) évoque encore les bulles de savon dans une lettre (apocryphe ? en tout cas inédite) adressée à M***, recueillie dans la revue L'Artiste : revue de l'art contemporain, rédacteur en chef Arsène Houssaye, tome I, Paris, Champs-Élysées, 1866, p. 270 :
« Ami, jouons avec la vie,
Faisons des bulles de savon ;
C'est toute ma philosophie,
Car j'ai trop peur d'avoir raison. »

12. Marat, Offrande à la patrie, ou Discours au Tiers-état de France, Premier discours, Au Temple de la Liberté, 1789, p. 2 et 5.

13. Ibidem, Deuxième discours, p. 14 sqq.

14. Ibid., Sixième discours, p. 54 sqq.

15. Marat, L'Ami du peuple, n° 22, 2 octobre 1789.

16. Serge Bianchi, Marat, « l'Ami du peuple », Paris, Belin, 2017, pp. 176-177.

17. Le Junius français : journal politique [Reproduction en fac-similé, EDHIS, 1967] / par M. Marat, auteur de l'Ami du peuple, n° 1, 1790, p. 8 et p. 6.

18. Journal de la République française / par Marat, l'Ami du Peuple, député à la Convention nationale, n° 98, 14 janvier 1793, pp. 6-7.

19. Mémoires de R. Levasseur, de la Sarthe, tome 1, Paris, Rapilly, Libraire, 1829, pp. 64-65.

20 Jean Baptiste Louvet de Couvray in La Sentinelle, reproduction en fac-simile, n° 65, 24 octobre 1792.

21. Marat, Journal de la République française, n° 98, 14 janvier 1793.

22. Député de l'Artois du 26 avril 1789 au 30 septembre 1791, date de la fin de l'Assemblée constituante, Robespierre rentre le 1er octobre 1791 dans la vie civile. Il se consacre alors à la présidence du club des Jacobins. Le 10 août 1792, il devient représentant de la section des Piques à la Commune insurectionnelle de Paris. Élu député de la Seine le 5 septembre 1792, il siège dès lors à la Convention, dont il deviendra le président le 4 juin 1794.

23. Le 18 juillet 1792, la Commission des 12, créée par le gouvernement girondin pour tenter de s'opposer à la contestation de plus en plus vive émanant des sections parisiennes et des Montagnards, se trouve portée par décret à vingt et un membres avec les suppléants. Président : Nicolas de Condorcet, girondin ; vice-président : Jean Girard Lacuée de Cessac, monarchiste constitutionnel ; secrétaires : Claude Bernard Navier, monarchiste constitutionnel, et Jean Antoine Debry, jacobin. Autres membres : Félix Julien Jean Bigot de Préameneu, Bernard Germain Étienne de Laville-sur-Illon de Lacépède, Claude Emmanuel Joseph Pierre de Pastoret, Vincent Marie Viénot de Vaublanc, François Alexandre Tardiveau, Pierre Édouard Lémontey, modérés ; Pierre Joseph Lamarque, Jacques Alexis Thuriot de la Rozière, Jean-François-Bertrand Delmas, Louis Joseph Charlier, montagnards ; Mathurin Louis Étienne Sedillez, monarchiste constitutionnel.

24. Feuillantisme : doctrine et système politique des Feuillants, membres du club royaliste constitutionnel dirigé par La Fayette et siégeant à Paris, dans l'ancien couvent des Feuillants, près des Tuileries. Cf. A. Soboul, Histoire de la Révolution française, t. 1, De la Bastille à la Gironde, Paris, Gallimard, 1962, p. 191 : « Dirigés par [Gilbert du Motier de] La Fayette et ses amis, les Feuillants écartèrent par une cotisation élevée les gens de moyenne bourgeoisie ; ils groupèrent la grande bourgeoisie modérée et la noblesse ralliée, également attachées au roi et à la Constitution. »

25. Jean Baptiste Louvet de Couvray, « l'un des Représentans procrits en 1793 », Quelques notices pour l'histoire, et le récit de mes périls depuis le 31 mai 1793, Paris, chez J.-B. Louvet, Libraire, Palais Égalité, Galerie neuve, derrière le Théâtre de la République, N° 24, l'an III de la République, p. 15.

26. Lettre de Jacques Roux à Marat, imprimée par la Société typographique en 1793, peu après l'assassinat de Marat. La lettre se trouve assortie de la précision suivante : « Je soussigné certifie que la réponse de Jacques Roux à Marat, étoit imprimée avant l’assassinat commis sur la personne de l’Ami du Peuple. Signé, Campenon. »

27. Marie Thérèse Louise de Savoie Carignan, princesse de Lamballe, amie de Marie-Antoinette. En 1789, elle suit la famille royale à Paris. En 1791, munie d'un passeport en règle délivré à sa demande par Armand Marc de Montmorin Saint-Hérem, alors premier ministre de Louis XVI, elle gagne Londres. Durant l'été 1791, elle se rend à Aix-la-Chapelle. Puis elle rentre à Paris et rejoint la reine aux Tuileries. Elle est bientôt dénoncée pour avoir participé aux activités du Comité autrichien [cf. infra] et avoir émargé aux fonds de la Liste civile. Le 19 août 1792, après la prise des Tuileries, elle est arrêtée et incarcérée à la prison de la Force. Le 3 septembre, elle est présentée devant une commission constituée par les membres du comité de surveillance de la Commune du 10 août. Elle refuse de témoigner sur les relations que Louis XVI et Marie-Antoinette entretiennent avec les puissances de la Coalition. Ensuite « élargie », elle est tuée dans des conditions horribles à la sortie de la Force.

28. Armand Marc de Montmorin Saint-Hérem, premier ministre de Louis XVI, sorti du ministère le 20 novembre 1791, il forme avec d'autres une police secrète dite Comité autrichien. Après le 10 août 1792 et l'incarcération de la famille royale, il essaie de se cacher. Mais rapidement découvert, il est incarcéré, jugé par le tribunal le 17 août, à nouveau emprisonné à l'Abbaye, et massacré le 2 septembre 1792.

29. Maximin Isnard, député du Var à la Convention, girondin, président de la Convention du 16 mai au 30 mai 1793. Il se place ensuite « sous la protection du peuple ». Mis en accusation le 12 vendémiaire an II (3 octobre 1793), il parvient à se cacher jusqu'au 9 Thermidor.

30. Charles Vatel, Charlotte de Corday et les Girondins, tome I, Paris, Henri Plon, 1864-1872, pp. IX-XII. Collections patrimoniales numérisées de Bordeaux Montaigne.

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