Robespierre et la Révolution vus par Proudhon

Rédigé par Christine Belcikowski Aucun commentaire
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De gauche à droite : Robespierre à la tribune de la Convention ; Proudhon à la tribune de l'Assemblée nationale le 11 juillet 1848.

I. Pierre Joseph Prouhon

Figure du socialisme libertaire, précurseur de l'anarchisme, Pierre Joseph Proudhon (1809-1865), originaire du Doubs comme son ami Gustave Courbet, est fils d'un tonnelier et d'une cuisinière. D'abord placé comme bouvier, il poursuit ensuite une scolarité brillante au Collège royal de Besançon. Mais contraint d'abandonner ses études avant le baccalauréat en raison de la situation financière difficile de son père, il devient ouvrier typographe, puis correcteur. En 1838, après avoir fondé une imprimerie qui fait rapidement faillite, il obtient le baccalauréat, se présente au concours de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, et obtient une bourse qui lui permet de s'installer à Paris, de suivre des cours à l'Université et de fréquenter assidument les grandes bibliothèques. Fort de l'étendue de ses lectures et de son expérience, il publie en 1841 son Qu'est-ce que la propriété ?, qui fait immédiatement scandale. En 1843, il quitte Paris pour exercer à Lyon un emploi dans une grande maison de transports fluviaux. Dans le même, à Paris où il remonte souvent, il fait la connaissance de Michel Bakounine, d'Alexandre Herzen, et aussi de Karl Marx, avec qui il ne s'entendra pas.

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De gauche à droite : Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine ou Michel Bakounine (Priamoukhino, Russie, 1814-1876, Berne, Suisse) ; Alexandre Ivanovitch Herzen ou Alexandre Herzen (Moscou, 1812-1870, Paris) et son fils en 1840 ; Karl Marx (Trèves, Allemagne, 1818-1883, Londres,).

En 1847, réinstallé à Paris, Proudhon fonde Le Représentant du peuple, sous-titré Journal quotidien des travailleurs. Réforme économique. Banque d'échange. En 1848, il participe au soulèvement du mois de février, il est élu député à l'Assemblée constituante en avril, et il vote contre la Constitution en novembre, « parce que c'est une Constitution ». Condamné en mars 1849 pour « excitation à la haine et au mépris du gouvernement de la République, attaque contre la Constitution, attaque contre le droit et l'autorité que le Président de la République tient de la Constitution et excitation à la haine et au mépris des citoyens les uns contre les autres », il est incarcéré à Sainte-Pélagie le 5 juin 1849, et il n'en ressortira que le 4 juin 1852. C'est à Sainte-Pélagie qu'il écrit Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, Choix d'études sur la pratique révolutionnaire et industrielle, ouvrage publié en 1851.

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Cour intérieure de la prison Sainte-Pélagie, photographiée avant 1895 par Nadar.

À partir de 1852, Proudon se déchaîne contre Napoléon III, contre la Bourse, et contre l'Église. Menacé à nouveau de prison en 1858, il doit s'exiler en Belgique et y demeure jusqu'en 1862. En 1863, il participe à Londres à la création de la Première Internationale. Il meurt le 19 janvier 1865 à Paris, après avoir publié plus de soixante livres.

II. Pierre Joseph Prouhon. Idée générale de la Révolution au XIXe siècle

De façon provocatrice, Proudhon dédie son Idée générale de la Révolution au XIXe siècle « À la Bourgeoisie » et assortit l'ouvrage de l'exorde dont voici un extrait : « En 1848, le peuple, appuyé comme en 93 sur vos patriotiques baïonnettes, chasse des Tuileries un vieux fourbe, et proclame la République. En cela, il ne fit que se rendre l'interprète de vos sentiments, tirer la conséquence légitime de votre longue opposition. Mais le peuple n'avait point encore été imitié à la vie politique : pour la seconde fois le gouvernement de la révolution lui échappa. Et comme en 93, cette outrecuidance fut pour vous un nouveau sujet de colère. Quel mal avait-il fait, cependant, ce peuple inoffensif, pendant son interrègne de trois mois, qu'à peine réintégrés au pouvoir, vous vous montråtes si ardents réactionnaires ? Le Gouvernement provisoire n'avait sougé qu'à consoler votre amour-propre, calmer vos inquiétudes. Sa première pensée fut de vous rappeler au conseil de famille ; son unique résir. de vous rendre la tutelle du prolétariat. Le peuple laissa faire, applaudit. Est-ce donc par représailles de cette bonhomie traditionnelle, ou pour cause d'usurpation de titre, que, rétablis dans votre prépondérance politique, vous avez traité ces révolutionnaires naïfs comme une troupe de maraudeurs et de vauriens ? que vous avez fusillé, transporté, envoyé aux pontons, de pauvres ouvriers poussés à la révolte par la peur de la famine, et dont l'hécatombe servait de marchepied à trois ou quatre intrigues dans la Commission exécutive et dans l'Assemblée ? Bourgeois, vous fûtes cruels et ingrats... »

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Jean Louis Ernest Meissonier (1815–1891), La barricade de la rue de la Mortellerie en juin 1848, 1850, Musée du Louvre.

Dans la quatrième des Études que comprend son Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, Proudhon traite du « Gouvernement direct de la Constitution de 93 » — Constitution dont on sait qu'elle n'a jamais été appliquée — et de la « réduction à l'absurde de l'idée gouvernementale ». Il se livre dans cet extrait à une violente charge contre Robespierre.

III. Pierre Joseph Proudhon, Œuvres complètes, tome X, Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, Choix d'études sur la pratique révolutionnaire et industrielle, Paris, C. Marpon et E. Flammarion, 1851, p. 163 sqq.

« Je demande aux hommes de bonne foi si la Constitution de 93 (1), promettant tout au Peuple et ne lui donnant rien, placée sur l'extrême limite du rationnel et du réel, ne leur semble pas plutôt un phare, élevé par nos pères à l'entrée du nouveau monde, qu'un plan dont ils auraient confié l'exécution à leurs descendants ?

Je laisse de côté les systèmes plus avancés qui ne peuvent manquer de surgir après ceux de MM. Rittinghausen (2) et Ledru-Rollin (3), et sur chacun desquels il deviendrait fastidieux de recommencer une critique analogue. Je passe tout de suite à l'hypothèse finale.

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De gauche à droite : Moritz Rittinghausen (Hückeswagen, Rhénanie, 1814-1890, Ath, Belgique) ; Alexandre Auguste Ledru-Rollin (1807-1874).

C'est celle où le Peuple, revenant au pouvoir absolu, et se prenant lui-même, dans son intégralité, pour Despote, se traiterait en conséquence : où par conséquent il cumulerait, comme cela est juste, toutes les attributions, réunirait en sa personne tous les pouvoirs, Législatif, Éxécutif, judiciaire et autres, s'il en existe ; où il ferait toutes les lois, rendrait tous les décrets, ordonnances, arrêtés, arrêts, jugements ; expédierait tous les ordres ; prendrait en lui-même tous ses agents et fonctionnaires, du haut de la hiérarchie jusqu'en bas ; leur transmettrait directement et sans intermédiaire ses volontés ; en surveillerait et en assurerait l'exécution, imposant à tous une responsabilité proportionnelle ; s'adjugerait toutes les dotations, listes civiles, pensions, encouragements ; jouirait enfin, roi de fait et de droit, de tous les honneurs et bénéfices de la souveraineté, pouvoir, argent, plaisir, repos, etc.

Je tåche, autant qu'il est en moi, de mettre un peu de logique dans ce système, notre dernière espérance, qui pour la clarté, la simplicité, la rigueur des principes, la sévérité de l'application, le radicalisme démocratique et libéral, laisse loin derrière lui les projets timides, inconséquents, embrouillés de Héraut-Séchelles (4), Considerant (5), Rittinghausen, Louis Blanc (6), Robespierre et consorts.

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De gauche à droite : Héraut de Séchelles ; Victor Considérant ; Louis Blanc..

Malheureusement ce système, irréprochable, j'ose le dire, dans son ensemble et ses détails, rencontre dans la pratique une difficulté insurmontable.

C'est que le Gouvernement suppose un corrélatif, et que si le Peuple tout entier, à titre de souverain, passe Gouvernement, on cherche en vain ou seront les gouvernés. Le but du gouvernement est, on se le rappelle, non pas de ramener à l'unité la divergence des intérêts, à cet égard il se reconnaît d'une parfaite incompétence ; mais de maintenir l'ordre dans la société malgré le conflit des intérêts. En autres termes, le but du gouvernement est de suppléer au defaut de l'ordre économique, et de l'harmonie industrielle. Si donc le peuple, dans l'intérêt de sa liberté et de sa souveraineté, se charge du gouvernement, il ne peut plus s'occuper de la production, puisque, par la nature des choses, production et gouvernement sont deux fonctions incompatibles, et que vouloir les cumuler, se serait introduire la division partout. Donc, encore une fois, où seront les producteurs ? où les gouvernés ? où les administrés ? où les jugés ? où les exécutés ?...

Quand nous étions en monarchie absolue, ou seulement tempérée [avant 1791], le Gouvernement étant le Roi, le corrélatif était la Nation. — Nous n'avons plus voulu de ce gouvernement, nous avons accusé, non sans raison, la cour de dilapidation et de libertinage.

Quand nous étions en monarchie constitutionnelle [de 1791 à 1792, et de 1814 à 1848], le Gouvernement se composant du Roi et des deux Chambres, formées l'une et l'autre d'une manière quelconque, par hérédité, choix du prince ou d'une classe de la nation, le corrélatif était tout ce qui restait en dehors de l'action gouvernementale ; c'était, à des degrés divers, l'immense majorité du pays. — Nous avons changé cela, non sans motifs, le Gouvernement étant devenu un chancre pour le peuple.

Actuellement, nous sommes en République quasi-démocratique : tous les citoyens sont admis, chaque troisième et quatrième année, à élire, 1° le Pouvoir législatif, 2° le pouvoir exécutif. L'instant de cette participation au Gouvernement pour la collectivité populaire est court : quarante-huit heures au plus par chaque élection. C'est pour cela que le corrélatif du Gouvernement est resté à peu près le même que devant, la presque totalité du pays. Le Président et les Représentants, une fois élus, sont les maîtres : tout le reste obéit. C'est de la matière sujette, gouvernable et imposable, sans rémission.

Lors même que, dans ce système, le Président et les Représentants seraient élus tous les ans et perpétuellement révocables, on sent que la corrélation serait peu différente. Quelques jours de plus pour la masse ; quelques jours de moins pour la minorité gouvernante : la chose ne vaut pas la peine qu'on en parle.

Ce système est usé ; il n'y a plus personne, ni dans le Gouvernement, ni dans le Peuple, qui en veuille.

En désespoir de cause, on nous présente [en février 1848], sous les noms de Législation directe, Gouvernement direct., etc., d'autres combinaisons : comme par exemple, de faire faire par tout le Peuple, 10 millions de citoyens, la besogne législative, du moins une partie ; ou bien de faire nommer par ces 10 millions d'hommes une partie des agents et fonctionnaires du Pouvoir exécutif, actuellement à la dévotion du Président. La tendance de ces différents systėmes est de faire arriver au Gouvernement au moins la moitié plus un des citoyens, au rebours de ce qu'enseigne J.-J. Rousseau, qu'il est contre l'ordre naturel que le plus petit nombre soit gouverné par le plus grand (7).

Nous venons de prouver que ces combinaisons, qui ne se distinguent les unes des autres que par plus ou moins d'inconséquence, rencontrent, dans la pratique, des difficultés insurmontables ; qu'au reste, elles sont toutes flétries d'avance, marquées au coin de l'arbitraire et de la force brutale, puisque la Loi du Peuple obtenue par voie de scrutin, est nécessairement une loi de hasard, et que le Pouvoir du Peuple, fondé sur le nombre, est nécessairement un Pouvoir de vive force.

Impossible donc de s'arrêter dans cette descente. Il faut arriver à l'hypothèse extrême, celle où le Peuple entre en masse dans le Gouvernement, remplit tous les pouvoirs, et toujours délibérant, votant, exécutant, comme dans une insurrection, toujours unanime, n'a plus au-dessus de lui ni président, ni représentants, ni commissaires, ni pays légal, ni majorité, en un mot, est seul législateur dans sa collectivité et seul fonctionnaire.

Mais si le Peuple, ainsi organisé pour le Pouvoir, n'a effectivement plus rien au-dessus de lui, je demande ce qu'il a au-dessous ? en d'autres termes, où est le corrélatif du Gouvernement ? où sont les laboureurs, les industriels, les commerçants, les soldats ? où sont les travailleurs et les citoyens ?

Dira-t-on que le peuple est toutes ces choses à la fois, qu'il produit et légifère en même temps, que Travail et Gouvernement sont en lui indivis ? C'est impossible, puisque d'un côté le Gouvernement ayant pour raison d'être la divergence des intérêts, d'autre part aucune solution d'autorité ou de majorité ne pouvant être admise, le Peuple seul dans son unanimité ayant qualité pour faire passer les lois, conséquemment le débat législatif s'allongeant avec le nombre des législateurs, les affaires d'État croissant en raison directe de la mulltitude des hommes d'État, il n'y a plus lieu ni loisir aux citoyens de vaquer à leurs occupations industrielles ; ce n'est pas trop de toutes leurs journées pour expédier la besogne du Gouvernement. Pas de milieu : ou travailler ou régner ; c'est la loi du Peuple comme du Prince : demandez à Rousseau.

C'est ainsi, du reste, que les choses se passaient à Athènes, où pendant plusieurs siècles, à l'exception de quelques intervalles de tyrannie, le Peuple tout entier fut sur la place publique, discutant du matin au soir. Mais les vingt mille citoyens d'Athènes qui constituaient le souverain avaient quatre cent mille esclaves travaillant pour eux, tandis que le Peuple français n'a personne pour le servir, et mille fois plus d'affaires à expédier que les Athéniens. Je répète ma question : Sur quoi le Peuple, devenu législateur et prince, légiférera-t-il ? pour quels intérêts ? dans quel but ? Et pendant qu'il gouvernera, qui le nourrira ? Sublata causa, tollitur effectus, dit l'École (8). Le Peuple en masse passant à l'Etat, l'État n'a plus la moindre raison d'être, puisqu'il ne reste plus de Peuple : l'équation du Gouvernement donne pour résultat zéro.

Ainsi le principe d'autorité, transporté de la famille dans la nation, tend invinciblement, par les concessions successives qu'il est obligé de faire contre lui-même, concession de lois positives, concession de chartes constitutionnelles, concession de suffrage universel, concession de législation directe, etc., etc., tend, dis-je, à faire disparaitre à la fois et le Gouvernement et le Peuple. Et comme cette élimination, au moins pour ce dernier, est impossible, le mouvement, après une courte période, vient constamment s'interrompre dans un conflit, puis recommencer à l'aide d'une restauration. Telle est la marche que la France a suivie depuis 1789 et qui durerait éternellement, si la raison publique ne finissait par comprendre qu'elle oscille dans une fausse hypothèse. Les publicistes qui nous rappellent à la tradition de 93 ne peuvent l'ignorer : le Gouvernement direct ne fut pour nos pères, que l'escalier de la dictature, qui elle-même devint le vestibule du despotisme.

Lorsque la Convention, de piteuse mémoire, eut rendu, le 21 juin 1793, l'acte fameux par lequel le Peuple était appelé à se gouverner lui-même et directement, les Jacobins et la Montagne, tout-puissants depuis la chute des Girondins, comprirent parfaitement ce que valait l'utopie de Héraut-Séchelles ; ils firent décréter par la Convention, leur très humble servante, que le Gouvernement direct serait ajourné à la paix. La paix, comme on sait, cela voulait dire du premier coup vingt-cinq ans. Les organisateurs du Gouvernement direct pensèrent sagement que le Peuple, législateur, travailleur et soldat, ne pouvait remplir ces nobles fonctions, tandis qu'il labourait d'une main et combattait de l'autre ; qu'il fallait d'abord sauver la patrie, puis, quand le Peuple n'aurait plus rien à craindre, qu'il entrerait alors dans l'exercice de sa souveraineté.

C'est la raison qui fut donnée au Peuple, lors de l'ajournement de la Constitution de 93.

Trois mois, six mois, un an se passèrent sans que ni la Montagne ni la Plaine réclamassent la fin de ce provisoire inconstitutionnel, attentatoire à la souveraineté du Peuple. Le Comité de Salut public s'accommodait fort du Gouvernement révolutionnaire ; quant au Peuple, il n'avait pas l'air de faire grand cas du Gouvernement direct

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Dessiné de mémoire, portrait de Danton conduit à l'échafaud le 5 avril 1794 ; sanguine attribuée à Pierre Alexandre Wille (1748-?).

Enfin, Danton le premier, ayant parlé de la nécessité de mettre fin à la dictature des comités, fut livré au tribunal révolutionnaire, accusé de modérantisme, et envoyé à l'échafaud. L'infortuné ! il était peut-être le seul, avec Desmoulins, Héraut-Séchelles, Lacroix (9),, qui crût à la Constitution de 93, ou qui du moins voulut en faire l'expérience : il fut guillotiné. Le Gouvernement direct, aux yeux des habiles, était jonglerie pure ; Robespierre n'avait garde de permettre que l'on découvrit ce pot aux roses. Disciple exact de Rousseau, il s'était toujours prononcé nettement, énergiquement, ainsi que Louis Blanc l'a montré naguère, pour le Gouvernement indirect, qui n'est autre que celui de 1814 et 1830, le Gouvernement représentatif.

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Arrestation de Louis Capet à Varennes le 22 juin 1791, estampe de Jean Louis Prieur le Jeune (1759-7 mai 1795, guillotiné), Musée de la Révolution française.

Je ne suis pas républicain, disait Robespierre en 91, après la trahison de Varennes ; mais je ne suis pas non plus royaliste. Il voulait dire : Je ne suis ni pour le direct, ni pour l'absolu ; je suis du juste-milieu. Au fait, il est douteux qu'à l'exception de quelques Girondins, artistes, sacrifiés après le 31 mai (10), de quelques Montagnards à la foi naïve que la Convention immola à la suite des journées de prairial (11), il y eût dans cette assemblée un seul républicain. La plupart partageaient, avec des nuances insensibles, les idées de Robespierre, qui étaient celles de 91 et servirent à la constitution du Directoire. C'est ce qui parut surtout au 9 thermidor.

Aucun historien, que je sache, n'a donné une explication satisfaisante de cette journée, qui fit d'un apostat de la démocratie un martyr de la Révolution. La chose est pourtant assez claire.

Robespierre, s'étant débarrassé successivement par la guillotine des factions anarchiques d'alors, les enragés, les hébertistes, les dantonistes, de tous ceux enfin qu'il soupçonnait de prendre au sérieux la Constitution de 93, crut que le moment était venu de frapper un dernier coup, et de rétablir sur ses bases normales le Gouvernement indirect. Ce furent ces vues de restauration gouvernementale, condamnées aujourd'hui par l'expérience, qui valurent dans le temps à Robespierre une sorte de succès auprès des puissances coalisées. Ce qu'il demandait à la Convention, le 9 thermidor, était donc, après épuration préalable, et par la guillotine toujours, des Comités de salut public et de sûreté générale, une plus grande concentration des pouvoirs, une direction plus UNITAIRE du Gouvernement, quelque chose enfin comme la présidence de Louis Bonaparte. Cela est prouvé par la suite de ses discours, reconnu par ses apologistes, notamment par MM. Buchez (12) et Lebas (13), et acquis désormais à l'histoire.

Robespierre savait parfaitement qu'il répondait aux vœux secrets de la majorité de la Convention. Il se sentait d'accord avec elle sur les principes ; il n'ignorait pas non plus sans doute que la diplomatie étrangère commençait à voir en lui un homme d'Etat avec lequel il serait possible de s'entendre. Il ne pouvait douter que les honnêtes gens de la Convention, qu'il avait toujours ménagés, ne fussent ravis de rentrer dans le constitutionnalisme, objet de tous leurs vœux, et du même coup de se voir délivrés d'un certain nombre de démocrates, dont l'énergie sanguinaire épouvantait leur juşte-milieu. Le coup était bien monté, la partie habilement conçue, l'occasion on ne pouvait plus favorable. Ce qui arriva aussitôt après thermidor, les procès faits aux révolutionnaires, la Constitution de l'an V, la politique du Directoire et Brumaire, ne fut qu’une suite d'application des idées de Robespierre. La place de cet homme était à côté des Sieyès (14), des Cambacérès (15) et autres, qui, sachant parfaitement à quoi s'en tenir sur le Gouvernement direct, voulaient revenir au plus tôt à l'indirect, dût la réaction qu'ils allaient commencer contre la démocratie les pousser jusqu'à l'empire.

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De gauche à droite : détail d'un portrait d'Emmanuel Joseph Sieyès par Jacques Louis David, 1817 ; Jean Jacques Régis Cambacerès, détail de l'Installation du Conseil d'État au palais du Petit-Luxembourg le 25 décembre 1799, par Auguste Couder (1789–1873).

Malheureusement pour lui, Robespierre avait peu d'amis dans la Convention : son projet n'était pas clair ; à des hommes qui le voyaient de près, son génie inspirait peu de confiance ; il s'attaquait à trop forte partie ; et puis il y avait pour lui ce danger que la majorité constitutionnelle et bourgeoise de la Convention, à laquelle il s'adressait, qu'il faisait ainsi maîtresse de la position, ne s'emparât de l'idée qu'il lui suggérait, et ne la retournât à la fois et contre l'auteur et contre ses rivaux.

Ce fut précisément ce qui arriva.

Les chefs de la majorité, cajolés par Robespierre, sentirent qu'ils ne pouvaient faire d'une pierre deux coups : c'est ainsi qu'en 1848 la majorité honnête et modérée se trouva en mesure d'éconduire l'un après l'autre le parti du National (16) et le parti de la Réforme (17). Au moment décisif, ils abandonnèrent le dictateur, qui devint la première victime de sa propre réaction. Comme Robespierre avait frappé Danton, comne il voulait frapper encore Cambon, Billaut-Varennes, et autres ; les modérés de la Convention, sur lesquels il avait compté, et qui en effet ne trompèrent pas son attente, le frappèrent lui-même ; les autres vinrent après. Le Gouvernement indirect, délivré de son plus rude adversaire, Danton, et de son plus hargneux compétiteur, Robespierre, put reparaître.

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De gauche à droite : Jacques Nicolas Billaud-Varennes, estampe de François Bonneville (?-1814) ; Pierre Joseph Cambon par François Bonneville.

On a dit que Robespierre aspirait à la dictature, d'autřes qu'il voulait le rétablissement de la royauté. L'une de ces accusations réfute l'autre. Robespierre, qui n'abandonnait pas plus ses convictions qu'il ne renonçait à sa popularité, aspirait à être chef du Pouvoir exécutif dans un Gouvernement constitutionnel. Il eût accepté une place au Directoire ou au Consulat ; il eût été de l'opposition dynastique après 1830 ; nous l'eussions vu après Février [1848] approuver le Gouvernement provisoire : sa haine des athées, son amour instinctif des prêtres, l'auraient fait voter pour l'expédition de Rome (18).

Que ceux-là donc qui, avec plus de bonne foi que de prudence, suivant la trace de Danton, reprennent aujourd'hui la thèse du Gouvernement direct ; qui, comme Danton encore, rappellent au Peuple ses imprescriptibles droits et lui crient : Plus de Dictateurs, plus de Doctrinaires ! que ceux-là ne l'oublient pas : la Dictature est au bout de leur théorie, et cette Doctrine, dont ils ont tant d'effroi, c'est celle du traître justement puni de thermidor. Le Gouvernement direct n'est autre chose que la transition, dès longtemps connue, par laquelle le Peuple, fatigué des manoeuvres politiques, vient se reposer dans le Gouvernement absolu, où l'attendent les ambitieux et les réacteurs. Est-ce qu'au moment où j'écris ces lignes la pensée d'une dictature n'est pas lancée déjà parmi le peuple, accueillie des impatients et des timiđes ? Est-ce que les mêmes que nous voyons combattre à la fois, tantôt sous l'invocation de Robespierre, tantôt en haine de ce nom, et le Gouvernement direct et l'anarchie, nous ne les avons pas vus tous, le lendemain de Février [1848], arrêter l'explosion des libertés, donner le change aux aspirations populaires, voter le rappel des prétendants, partout, toujours, payer en paroles et en calomnies ce que le Peuple leur demandait en actes et en idées ?

J'ai plus d'un ami parmi les hommes qui suivent, ou plutôt qui croient suivre en ce moment la tradition jacobine : c'est pour eux surtout que j'écris ces lignes. Que la ressemblance des temps leur découvre enfin ce que jusqu'à ce jour il leur était difficile, peut-être, de soupçonner, la signification du 9 thermidor et la pensée de Robespierre.

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Une plaisanterie de Robespierre, rapportée par Camille Desmoulins in Révolutions de France et de Brabant, numéro 28, volume III, p. 665. Cf. note 19.

De même qu'en 93 ceux qui se paraient avec le plus d'affectation du titre de révolutionnaires ne voulaient pas qu'on agitât les questions de propriété et d'économie sociale, envoyant à l'échafaud les anarchistes qui réclamaient pour le peuple des garanties de travail et de subsistance ; de mème aujourd'hui, en pleine révolution, les continuateurs, avoués ou secrets, du jacobinisme se retranchent exclusivement dans les questions politiques, évitent de s'expliquer sur les réformes économiques, ou, s'ils y touchent, c'est pour débiter quelques préceptes innocents de fraternité rapportés des agapes de Jérusalem. Tous ces coureurs de popularité, saltimbanques de révolution, ont pris pour oracle Robespierre, l'éternel dénonciateur, à la cervelle vide, à la dent de vipère, qui, sommé d'articuler ses plans, d'indiquer ses voies et moyens, ne savait jamais que battre en retraite devant les difficultés, en accusant des difficultés ceux-là mêmes qui lui demandaient des solutions. Ce rhéteur pusillanime, qui, en 90, de peur de se brouiller avec la cour, désavouait une plaisanterie tombée de ses lèvres et rapportée par Desmoulins (19) ; qui en 91 s'opposait à la déclaration de déchéance de Louis XVI et blâmait la pétition du Champ de Mars ; qui en 92 repoussait la déclaration de guerre, parce qu'elle eût donné trop de considération aux Girondins ; qui en 93 combattait la levée en masse ; qui en 94 recommandait au Peuple, en tout et partout, de s'abstenir ; qui toujours contrecarrait, sans les entendre, les plans de Cambon (20), de Carnot (21), de tous ceux qu'il appelait dédaigneusement les gens d'expédition, ce calomniateur infatigable de tous les personnages qu'il enviait et pillait, devait servir, cinquante ans plus tard, de patron à tous les révolutionnaires ahuris, servant leur cause comme ces chevaux boiteux qu'on attache derrière la voiture servent à la tirer. Dites-nous donc une fois, Ô vous tous disciples du grand Robespierre, comment vous comprenez la Révolution ? Vos voies et moyens ?...

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Camille Desmoulins, gravure sur acier par Ephraïm Conquy (1808–1843).

Hélas ! on n'est jamais trahi que par les siens. En 1848, comme en 1793, la Révolution eut pour enrayeurs ceux-là mêmes qui la représentaient. Notre républicanisme n'est toujours, comme le vieux jacobinisme, qu'une humeur bourgeoise, sans principe et sans plan, qui veut et ne veut pas ; qui toujours gronde, soupçonne, et n'en est pas moins dupe ; qui ne voit partout, hors de la coterie, que factieux et anarchistes ; qui, furetant les archives de la police, ne sait y découvrir que les faiblesses, vraies ou supposées, des patriotes ; qui interdit le culte de Châtel (22) et fait chanter des messes par l'archevêque de Paris ; qui, sur toutes les questions, esquive le mot propre, de peur de se compromettre, se réserve sur tout, ne décide jamais rien, se méfie des raisons claires et des positions nettes. N'est-ce pas là, encore une fois, Robespierre, le parleur sans initiative trouvant à Danton trop de virilité, blåmant ses hardiesses généreuses dont il se sent incapable, s'abstenant au 10 août (23), n'approuvant ni ne désapprouvant les massacres de septembre, votant la constitution de 93 et son ajournement à la paix ; flétrissant la fête de la Raison et faisant celle de l'Étre Suprême ; poursuivant Carrier et appuyant Fouquier-Tinville, donnant le baiser de paix à Camille Desmoulins dans la matinée et le faisant arrêter dans la nuit ; proposant l'abolition de la peine de mort et rédigeant la loi de prairial (24) ; enchérissant tour à tour sur Sieyès, sur Mirabeau, sur Barnave, sur Pétion, sur Danton, sur Marat, sur Hébert, et puis faisant guillotiner et proscrire, l'un après l'autre, Hébert, Danton, Pétion, Barnave, le premier comme anarchiste, le second comme indulgent, le troisième comme fédéraliste, le quatrième comme constitutionnel ; n'ayant d'estime que pour la bourgeoisie gouvernementale et le clergé réfractaire ; jetant le discrédit sur la révolution, tantôt à propos du serment ecclésiastique, tantôt à l'occasion des assignats ; n'épargnant que ceux à qui le silence ou le suicide assurent un refuge, et succombant enfin le jour où, resté presque seul avec les hommes du juste-milieu, il essaye d'enchaîner à son profit, et de connivence avec eux, la Révolution. Ah ! je connais trop ce reptile, j'ai trop senti le frétillement de sa queue pour que je ménage en lui le vice secret des démocrates, fernient corrupteur de toute république, l'Envie. C'est Robespierre qui, en 94, ouvrant la porte à ceux qu'on appela depuis les thermidoriens, a perdu la Révolution ; c'est à l'exemple et sur l'autorité de Robespierre que le socialisme, en 1797 et 1848, a été proscrit ; c'est Robespierre qui, aujourd'hui, nous ramènerait à un nouveau brumaire, si cette hypocrite et détestable influence n'était à la fin anéantie.

Une révolution est toujours traversée par des partis et des coteries qui travaillent à la dénaturer, pendant que ses adversaires naturels la combattent. Le christianisme a eu, dès le principe, ses hérésies, et plus tard son grand schisme ; la Réforme, ses confessions et ses sectes ; la Révolution française, pour ne citer que les noms les plus fameux, ses Constitutionnels, ses Jacobins et ses Girondins.

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Mathieu Jouve Jourdan, dit Coupe-Tête ca 1793-1794, gouache de Jean Baptiste Lesueur (1749-1826), Musée Carnavalet.

La Révolution, au dix-neuvième siècle, a aussi ses utopistes, ses écoles, ses partis, tous plus ou moins rétrograđes, images des types réactionnaires. Là vous trouvez, comme dans les rangs de la réaction, des amis de l'ordre, qui, alors que la résignation la plus profonde règne parmi les démocrates persécutés, se déciarent prêts à marcher contre l'anarchie ; des sauveurs de la société, pour qui la société est tout ce que la Révolution désavoue, des juste-milieu, dont la politique consiste à faire la part de la Révolution, comme on fait celle de l'incendie ; des radicaux, à qui le jargon révolutionnaire tient lieu d'idées ; terroristes enfin, qui, ne pouvant être des Mirabeau ou des Danton, accepteraient l'immortalité des Jourdan Coupe-Tête (25) et des Carrier. Aux uns la Constitution de 1848, aux autres le Gouvernement direct, à ceux-ci la Dictature, à ceux-là le Tribunal révolutionnaire ou le Conseil de guerre, servent d'enseigne et de grosse caisse. Du reste, tous ces hommes ont pris position sur l'idée de Gouvernement. Le Pouvoir, quand de toutes parts le Pouvoir s'écroule, est encore la seule idée qui les rallie : dernier trait qui leur prédit leur sort, et nous les montre comme les précurseurs et les victimes de l'exterminateur final, Robespierre.

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Prise du palais des Tuileries le 10 août 1792, Jean Duplessis-Bertaux (?–1818), Versailles.

Le 10 août 1792, la Royauté s'effondrait sous les boulets des faubourgs, que Robespierre et ses Jacobins en étaient encore à la Constitution de 91, baignée du sang des soldats de Nancy (26) et des patriotes du Champ de Mars (27). Ils tiraillaient du haut de leur citadelle parlementaire, se méfiant de ceux qui parlaient de faire sauter et royauté et constitution. Ils ne pardonnèrent jamais aux révolutionnaires hardis, à Danton, qui les avait traînés comme des chiens cagnards à la chasse de la royauté constitutionnelle, dont ils espéraient devenir à leur tour les modérateurs et les maîtres. La Constitution, disait Robespierre, suffit à la Révolution.

La haine de ce parti, qui a bu le sang des meilleurs citoyens, nous poursuit encore. Je puis me réconcilier avec les hommes, parce que je suis comme eux sujet à faillir ; avec les partis, jamais. Qu'ils continuent donc, car, hélas ! ce n'est pas de sitôt que la Révolution sera délivrée du frein. Nous ferons volontiers à de moins avancés le sacrifice de notre initiative, pourvu que par leurs mains la Révolution s'accomplisse. Nous dirons à Robespierre comme Thémistocle à Eurybiade (28) : Frappe, satellite du Gouvernement ; frappe, sycophante de la Révolution ; frappe, bâtard de Loyola, tartufe de l'Être Suprême ; frappe, mais écoute. »

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1. À lire : Constitution du 6 messidor an I (24 juin 1793).

2. Moritz Rittinghausen (Hückeswagen, Rhénanie, 1814-1890, Ath, Belgique), journaliste, essayiste et homme politique prussien, théoricien de la démocratie directe.

3. Alexandre Auguste Ledru-Rollin (1807-1874), avocat, opposant à la Monarchie de Juillet, ministre de l'Intérieur du gouvernement provisoire institué en février 1848. Il fait adopter par décret le suffrage universel masculin, mais n'obtient que 5 % des suffrages lors de l'élection présidentielle de décembre 1848. Opposant à la nouvelle Assemblée, il est déchu de son mandat et doit s'enfuir à Londres, d'où il publie Plus de président, plus de représentants, brochure dans laquelle il rejette l'idée même de gouvernement.

4. Marie Jean Hérault de Séchelles (1759-1794, guillotiné), avocat, député de la Seine-et-Oise à la Convention, siégeant dans la Montagne, classé dans la catégorie des Indulgents, principal rédacteur de la grande Constitution de l'an I, terminée le 24 juin 1793, mais jamais appliquée en raison de la guerre, puis de la Grande Terreur.

5. Victor Prosper Considerant (1808-1893), polytchnicien, militaire jusqu'en 1833, propagateur des idées de Charles Fourier, élu en 1848 à l'Assemblée constituante, puis à l'Assemblée législative, inventeur en droit constitutionnel de la notion de droit au travail. Poursuivi après à l'émeute de juin 1849 contre Louis-Napoléon Bonaparte, il doit s'exiler au Texas où il fonde une communauté de type fouriériste. Rentré en France en 1869, il adhère à la Première Internationale et soutient la Commune en 1871.

6. Cf. Christine Belcikowski. Vu par Louis Blanc. Quand Robespierre s'annonce.

7. Jean Jacques Rousseau, Du Contrat Social, Livre III, Chapitre IV.

8. Sublata causa, tollitur effectus : « la cause étant supprimée, l'effet disparaît », dit l'École, i.e. la tradition philosophique ancienne.

9. Sébastien Lacroix, commissaire de la Commune de Paris pour les subsistances, envoyé en mission à Meaux en septembre 1792 où on le dit responsable d'un massacres de prêtres, membre impitoyable du Tribunal révolutionnaire, mort guillotiné le 24 germinal an II (13 avril 1794) en même temps que Jacques René Hébert.

10. Les journées du 31 mai et du 2 juin 1793 entraînent l'exclusion et l'arrestation des députés girondins de la Convention nationale, sous la pression de la Commune de Paris et de la Garde nationale commandée par François Hanriot.

11. Un peu moins d'un an après la chute de Robespierre, l’insurrection du 1er prairial an III (20 mai 1795) met un terme au projet de restauration d'un gouvernement révolutionnaire dominé par les Montagnards.

12. Philippe Joseph Benjamin Buchez (1796-1865), médecin, co-fondateur de la Charbonnerie française, collaborateur du journal saint-simonien Le Producteur, initiateur du mouvement social chrétien, inspirateur du journal L'Atelier, élu député de la Seine en avril 1848, puis président de l'Assemblée constituante du 5 mai 1848 au 5 juin 1848, battu aux élections législatives de mai 1849.

13. Philippe François Joseph Le Bas (1764-1794), fidèle de Robespierre, arrêté en même temps que lui, suicidé au matin du 10 thermidor. Cf. Christine Belcikowski. La Révolution et Robespierre vus par Victorien Sardou.

14. Emmanuel Joseph Sieyès (1748-1836), homme d'Église, auteur en 1789 de Qu'est-ce que le Tiers-État ?, promoteur du système représentatif contre l'idée de souveraineté populaire, député de la Sarthe en 1792, régicide, signataire de la Constitution civile du clergé, absent à la Convention pendant la Terreur, président de la Convention du 20 avril au 6 mai 1795 (1er-16 floréal an III), président du Conseil des Cinq-Cents le 21 novembre 1796 (1er frimaire an V), nommé par le Directoire ambassadeur à Berlin le 8 mai 1798, nommé Directeur le 17 mai (27 floréal) en remplacement de Reubell, président du Sénat conservateur sous le Consulat, nommé comte d'Empire en mai 1808, fixé à Bruxelles à l'époque de la Seconde Restauration.

15. Jean Jacques Régis Cambacérès (1753-1824), avocat, député de l'Hérault à la Convention où il fait montre d'un opportunisme prudent, membre du Comité de législation, membre du Comité de salut public entre 1794 et 1795, président du Conseil des Cinq-Cents en 1796, ministre de la Justice en 1799, Deuxième consul après le coup d'État du 18 Brumaire, archichancelier de l'Empire, initiateur de la création du Code civil en 1804.

16. Le National est un quotidien fondé en janvier 1830 par Adolphe Thiers, Armand Carrel et François Auguste Mignet, pour combattre la Seconde Restauration. En 1848, il devient l'organe de presse des « Républicains bourgeois », majorité républicaine modérée issue des élections législatives du mois d'avril et qui forme l'Assemblée constituante de la Deuxième République. On désigne alors cette majorité sous le nom de « Parti du National ». Lors de l’'élection présidentielle de décembre 1848, le National défend la constitution républicaine et la candidature du général Cavaignac contre celle de Louis-Napoléon Bonaparte.

17. Fondé par Alexandre Ledru-Rollin en 1843, le journal La Réforme défend des idées républicaines et sociales. Parmi ses collaborateurs on trouve, entre autres, Étienne Arago, Louis Blanc, Pierre Leroux, Victor Schœlcher, Pierre Joseph Proudhon, Karl Marx, et Michel Bakounine. En 1848, Alexandre Ledru-Rollin, Victor Schœlcher et Louis Blanc font partie du gouvernement provisoire constitué en février. Le journal est interdit après le coup d'État du 2 décembre 1851 et l'avènement du Second Empire.

18. On nomme « expédition de Rome » l'intervention votée le 16 avril 1849 par l'Assemblée nationale française et avec le soutien de Louis-Napoléon, alors président de la Deuxième République française, contre la République romaine proclamée le 9 février 1849 dans les États pontificaux après la fuite du pape Pie IX, en raison de l'activité insurrectionnelle des libéraux romains. Le 4 juillet 1849, suite à cette intervention qui est celle d'une République contre une autre République, la République romaine prend fin. Le pape se trouve rétabli dans ses prérogatives par la France, au mépris de la volonté des Romains et des Italiens, contre lesquels des troupes françaises doivent le défendre jusqu'en 1870.

19. Le 22 mai 1790, l’Assemblée constituante publie le décret dit « Déclaration de paix au monde », plus connu du peuple sous le nom de « Décret-Mirabeau ». Elle décide que c’est à elle de déclarer la guerre ou la paix, sur proposition du roi Louis XVI, et elle déclare que « la nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes et n'emploiera jamais la force contre la liberté d'aucun peuple ». La publication de ce décret suscite la liesse du peuple parisien, et, comme rapporté par Ernest Hamel dans son Histoire de Robespierre, tome I, La Constituante, Paris, Librairie Internationale, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, Éditeurs, 1865, pp. 254-255, on voit « le petit dauphin battre des mains lui-même à l'une des fenêtres du palais, comme si, lui aussi, il eût applaudi au décret ».
Camille Desmoulins rapporte et commente cet épisode dans son journal d'alors, intitulé Révolutions de France et de Brabant, numéro 28, in volume III, pp. 665-666 : « Le peuple s'imaginait avoir remporté une grande victoire, et les députés avaient la faiblesse de l'entretenir dans une erreur dont ils jouissaient. Robespierre fut plus franc. Il dit à la multitude qui l'entourait et l'étourdissait de ses battements : "Eh ! Messieurs, de quoi vous félicitez-vous ? le décret est détestable, du dernier détestable ; laissons ce marmot battre des mains à sa fenêtre : il sait mieux que nous ce qu'il fait". »
À propos de l'article de Camille Desmoulins, Ernest Hamel fournit les précisions suivantes : « Cet article, échappé à l'étourderie de Camille, avait le tort grave de poser Robespierre comme s'insurgeant contre un décret de l'Assemblée constituante, pour laquelle il professa toujours un respect absolu pendant toute l'étendue de la session. Fort mécontent, il prit la plume, et lui adressa une lettre assez sèche : "Je dois, Monsieur, relever l'erreur où vous avez été induit. [...]. Je n'ai point tenu dans le jardin des Tuileries le propose vous citez..." »

20. Joseph Cambon (1756-1820), négociant en toiles, député de l'Hérault à la Convention, régicide, membre du Comité de salut public, président du Comité des finances à partir de 1793, initiateur du Décret sur l'administration révolutionnaire française des pays conquis, mis en cause dans l'affaire de la Compagnie des Indes, acteur, entre autres, de la chute de Robespierre.

21. Lazare Nicolas Marguerite Carnot (1753-1823, exilé à Magdebourg, Allemagne), militaire, ami de Robespierre à la Société des Rosati d'Arras, élu du Pas-de-Calais à l'Assemblée législative, puis à la Convention, régicide, membre du Comité de salut public en 1793, délégué aux Armées, créateur des quatorze armées de la République, initiateur du décret du 1er août 1793 relatif aux mesures à prendre contre les rebelles de la Vendée [Article 6. Il sera envoyé par le ministre de la guerre des matières combustibles pour incendier les bois, les taillis et les genêts. Article 7. Les forêts seront abattues ; les repaires des rebelles seront détruits ; les récoltes seront coupées par les compagnies d'ouvriers pour être portées sur les derrières de l'armée, et les bestiaux seront saisis.], accusé par certains d'avoir une responsabilité dans la décision des massacres perpétrés lors de la guerre de Vendée. Opposé à Robespierre sur les mesures sociales et à Saint-Just sur la conduite de la guerre, il contribue à leur chute le 9 Thermidor.

22. En 1831, l'abbé Ferdinand François Châtel (1795-1857) fonde l'Église schismatique dite « Église catholique française », ou « Église française », qui conteste l'autorité papale, promeut la célébration de la liturgie en français, et dénonce les injustices sociales. Interdite par le pouvoir en 1843, cette nouvelle Église tente de se relancer en 1848, mais sans succès.

23. Organisée et menée par la Commune insurrectionnelle de Paris ainsi que par les sections parisiennes, la journée du 10 août 1792 voit la foule des insurgés prendre d'assaut le palais des Tuileries. En même temps qu'elle met fin à la monarchie, elle marque le commencement de la première Terreur, qui culmine avec les massacres de Septembre.

24. Rédigée par Georges Couthon à l'initiative de Robespierre, la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794), dite « loi de Prairial », modifie la procédure judiciaire relative aux « ennemis du peuple », en privant les accusés du droit de défense et de recours auprès, du Tribunal révolutionnaire. Elle marque le début de la période dite de « Grande Terreur » qui durera jusqu'à la chute de Robespierre le 9 Thermidor.

25. Mathieu Jouve dit Jourdan Coupe-Tête (1746-1794, guillotiné), boucher, maréchal-ferrant, soldat, condamné à la roue pour vol, évadé, gracié en 1783 ; cabaretier à la veille de la Révolution ; assassin du gouverneur de la Bastille le 14 juillet 1789, accusé d'atrocités nocturnes à Versailles lors des journées des 5 et 6 octobre 1789 ; négociant en Avignon en 1790, chef des volontaires du Vaucluse favorables à l'annexion du Contat venaison à la France, surnommé « Jourdan Coupe-Tête » après le massacre de la Glacière en Avignon les 16 et 17 octobre 1791, amnistié en mars 1792 ; arrêté en avril 1794 pour avoir incarcéré sans ordres des membres du tribunal criminel du Vaucluse, guillotiné le 24 mai 1794.

26. Allusion à une mutinerie du régiment suisse de Châteauvieux, qui a eu lieu à Nancy du 5 au 31 août 1790. La répression est féroce : 72 prisonniers, 41 condamnés à trente ans de galère ; 22 pendus ; un homme roué. En 1791, Jean Marie Collot d'Herbois obtient la réhabilitation des mutins. Le 15 avril 1792, ceux-ci organisent à Paris une fête de la liberté. Porteurs du bonnet rouge des bagnards, ils font de ce bonnet un emblème de la République.

27. Le dimanche 17 juillet 1791, refusant toute participation populaire directe au processus de décision politique, les Constituants et la Commune de Paris font tirer par la garde nationale sur des milliers de pétitionnaires rassemblés sur le Champ-de-Mars, faisant ainsi plusieurs dizaines de morts.

28. En septembre 480 av. J.-C., Eurybiade et Thémistocle dirigent tous les deux la flotte grecque lors de la bataille de Salamine. Effrayé au vu de l'importance numérique de la flotte de Xerxès Ier, Eurybiade songe à battre en retraite. D'où une violente altercation avec Thémistocle, qui souhaite engager la bataille. Dans le feu de cette altercation, il menace Thémistocle de son bâton. D'où la réplique de Thémistocle : « Frappe, mais écoute ! » Eurybiade livre alors bataille et il remporte la bataille navale la plus célèbre de l'Antiquité.

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