D'après Charles Jean Marie Barbaroux, le cabinet de Robespierre

Rédigé par Christine Belcikowski Aucun commentaire
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Charles Jean Marie Barbaroux (Marseille, 6 mars 1767-25 juin 1794, Bordeaux) et mort guillotiné à Bordeaux le 25 juin 1794), fils d'un négociant marseillais, est reçu avocat en 1787. Il s'engage ensuite dans la Révolution et devient une figure politique de Marseille. Nommé en 1789 secrétaire de la Commune marseillaise, il gagne Paris en 1791 en tant que mandataire de sa ville natale. À Paris, il est suivi et reconnu comme leur insprateur par un bataillon de patriotes, composé de Marseillais comme lui. Il est présent, ainsi que son bataillon, à la journée du 10 août 1792, journée durant laquelle la foule des insurgés prend le palais des Tuileries. À cette occasion, il intervient dans la foule pour sauver la vie de plusieurs gardes suisses. Le 5 septembre 1792, sur fond de massacres de Septembre (Paris, 2-7 septembre 1792,) il est élu député des Bouches-du-Rhône. Il siège d'abord auprès des Jacobins, puis devient, avec Condorcet, Brissot, Vergniaud, Guadet et Roland, l'un des chefs de file des Girondins. Le 25 septembre et le 10 octobre 1792, il dénonce à la Convention la Commune de Paris, Robespierre et les Jacobins, et plus particulièrement encore Marat, qu'il accuse d'avoir été l'instigateur des massacres de Septembre (2-7 septembre).

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De gauche à droite : Maximilien de Robespierre en 1792 ; Charles Jean Marie Barbaroux en 1792, peint par Henri Pierre Danloux (1753–1809).

Dans le passage de ses Mémoires reproduit ci-dessous, Charles Jean Marie Barbaroux se souvient d'avoir été prié par Robespierre de « passer à la mairie de Paris où Fréron et Panis l'attendaient », puis d'avoir été invité le lendemain à venir conférer chez Robespierre lui-même. Il ne donne pas la date de cette invitation, mais celle-ci doit se situer entre le 5 septembre, date de l'élection de Barbaroux à la Convention, et le 25 septembre 1792, date du premier grand discours de Barbaroux contre Robespierre.

« Marat m'écrivit, le 1er août [1792], pour me presser de l'emmener à Marseille ; il m'envoya, le 3, son affidé pour me déterminer à ce voyage. Le 7, il m'écrivit de nouveau à ce sujet ; le 9 au soir (1), il me marquait que rien n'était plus urgent, et me proposait encore de se déguiser en jockey. » (2)

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Hôtel de Ville de Paris et place de grève sous le règne de Henri IV. D'après le dessin de Claude Chastillon (1559–1616), gravure de Matthäus Merian, Boisseau, 1645. Source : Topographie francoise ou representations de plusieurs villes, bourgs, chasteaux, plans, forteresses, vestiges d'antiquité, maisons modernes et autres du royaume de France, Paris, Boisseau, 1655. Ce premier Hôtel de ville de Paris a été détruit en 1871.

« Robespierre aussi me circonvenait. Un abbé de ses amis, couvert de guenilles, et que j’ai vu depuis juge du tribunal révolutionnaire, vint me prier de passer à la mairie, où, disait-il, Fréron et Panis m’attendaient. Je m’y rends : il s'agissait de déterminer les Marseillais à quitter les casernes du haut de la Chaussée-d'Antin pour s'établir dans celle des Cordeliers. Il y avait un avantage dans cette position ; c'est qu'en cas de mouvement le bataillon pourrait plus facilement agir. Leurs autres discours furent enveloppés de mystère : il fallait que quelqu'un se mît à la tête du peuple. Voudriez-vous donc, leur dis-je, un dictateur ! » (3)

L'abbé que Barbaroux dit avoir vu « en guenilles » quand celui-ci est venu « le prier de passer à la mairie », et qu'il reverra le lendemain chez Robespierre, c'est Joseph Donzé-Verteuil, dit l'abbé de Verteuil, (Belfort, 1736-1818, Nancy), « 5 pieds 2 pouces, cheveux et sourcils grisonnés, front haut, yeux gris, nez ordinaire, bouche petite, menton court, visage rond et plein » (4), d'après le registre d'écrou de son emprisonnement en l'an III. Il s'agit d'un ancien Jésuite qui, après 1768, date de la suppression de la compagnie de Jésus dans le duché de Lorraine, a été à Paris chapelain au service de l'abbesse de Montmartre. Le 23 janvier 1791, il prête le serment de la Constitution civile du clergé, et prend le pseudonyme d'Armand Verteuil. Le 13 mars 1793 en même temps que Jean Baptiste Fleuriot-Lescot, il est nommé substitut de l'accusateur public Fouquier-Tinville ; puis, le 9 mars 1794, accusateur public à Brest. Le 5 pluviôse an III (24 janvier 1795), il sera dénoncé à la Convention par les députés brestois et emprisonné à Paris jusqu'au 4 brumaire an V (26 octobre 1795). Il renouera avec la religion dans ses dernières années et mourra au séminaire de Nancy.

Louis Marie Stanislas Fréron (Paris, 17 août 1754-15 juillet 1802, Les Cayes, Saint-Domingue) et Étienne Jean Panis (Paris, 7 février 1757-22 août 1832, Marly-le-Roi), qui « attendaient » Barbaroux à l'Hôtel de ville, sont respectivement, côté Fréron, le « missionnaire de la Terreur », qui a réprimé avec Barras en juin 1793 les insurrections fédéralistes de Marseille et Toulon ; et, côté Panis, l'un des organisateurs de la journée du 10 août 1792 et le complice des massacres de Septembre. Il s'agit d'un personnage trouble qui, entré en janvier 1793 au Comité de sûreté générale, a été accusé d’avoir abusé de ses fonctions et rançonné les personnes qu’il était chargé de poursuivre. Il lui reprochait aussi ses relations avec le marquis de Travanet, Mlle Demailly et autres contre-révolutionnaires. Il sera exclu du Comité de sûreté générale après qu’il a été établi qu’il avait soustrait une somme de 100 000 livres pour laisser s’enfuir le député Julien de Toulouse, son ancien collègue du Comité de sûreté générale.

Drôle de rencontre, inquiétante, que celle de Barbaroux avec Fréron et Panis, « dont les discours furent enveloppés de mystère », en septembre 1793 ! On sonde ici les intentions de l'un des chefs de file du parti Girondin.

« On m’invita le lendemain à une autre conférence chez Robespierre », poursuit dans ses Memoires Charles Jean Marie Barbaroux. « Je fus frappé des ornements de son cabinet : c’était un joli boudoir où son image était répétée sous toutes les formes et par tous les arts. Il était peint sur la muraille à droite, gravé sur la gauche, son buste était au fond et son bas-relief vis-à-vis ; il y avait en outre sur les tables une demi-douzaine de Robespierre en petites gravures. L’abbé et Panis étaient avec lui. Baille et Rebecqui m'accompagnaient. La conversation fut d'abord tout à fait semblable à celle que j'avais eue avec Fréron et Panis ; il fut question de placer les Marseillais aux Cordeliers. Ensuite Robespierre, parlant de la révolution, se vanta beaucoup de l'avoir accélérée ; mais il soutint qu'elle s'arrêterait si quelque homme extrêmement populaire ne s'en déclarait le chef, et ne lui imprimait un nouveau mouvement. Je ne veux pas plus d'un dictateur que d'un roi, lui répondit brusquement Rebecqui, et la conversation fut rompue. En sortant, Panis nous serra la main. » (5)

« La maison qu'habitait Duplay appartenait, en 1791, au domaine », dit G. Lenotre dans Paris révolutionnaire. « Elle avait été construite quelques années avant la Révolution par la communauté des Dames de la Conception sur un terrain joignant le mur du monastère. Duplay, en avril 1779, l'avait louée pour neuf ans, moyennant la somme annuelle de 1800 livres de principal et 244 livres de pot-de-vin. Le bail avait été renouvelé en 1788. Par suite de la confiscation des biens du clergé, la propriété de l'immeuble était passée à la nation.

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Vue par un anonyme, au nº 366 de la rue Saint-Honoré, cour de l'ancienne maison Duplay. En 1792, la maison ne comportait qu'un étage. La chambre de Robespierre se trouve au-dessus de la fontaine.Source : G.Lenotre, Paris révolutionnaire, Firmin-Didot, 1895.

C'était une construction modeste, élevée seulement d'un étage : elle consistait en “ un petit corps de logis sur la rue Saint-Honoré, simple en profondeur, avec entrée de porte cochère et une boutique au rez-de-chaussée, quatre croisées de face au premier étage, avec grenier au dessus et comble à deux égouts recouvert en tuiles, plus un autre corps de logis en retour en aile au couchant, élevé aussi d'un étage qui n'est couvert que par un comble en appentis garni en tuiles ; plus à la suite dudit bâtiment est un autre corps de logis formant pignon sur la cour, élevé d'un rez-de-chaussée, d'un étage et grenier au dessus avec comble couvert aussi en tuiles. Ladite cour comprise entre ces trois bâtiments renfermant un hangar de chaque côté dont un grand au couchant avec comble en appentis... etc. ”. Ainsi s'exprimait, dans sa minutieuse exactitude, le bail passé par Duplay devant maître Choron, notaire royal. C'est dans le petit corps de logis en aile que le menuisier installa Robespierre : il y avait là trois petites chambres prenant jour sur la cour étroite, et situées immédiatement au-dessus du hangar où travaillaient les ouvriers. On y accédait par le principal escalier, desservant à la fois le bâtiment en aile et le corps de logis sur la rue ; mais plus tard, afin de mieux isoler son hôte, de le mieux garantir d'une surprise ou d'un attentat possible, Duplay condamna la communication ; il construisit un escalier de bois plus discret, plus intérieur, à l'autre extrémité de l'aile, et, pour y arriver, il fallait traverser soit le hangar, soit la salle à manger située sur la cour au rez-de-chaussée du bâtiment du fond.

Quand on avait gravi cet escalier on trouvait à gauche une porte, qui existe encore, et qui donnait accès à un étroit cabinet, servant de toilette ou d'antichambre : immédiatement après ce cabinet était la chambre de Robespierre. Elle ne contenait qu'un lit de noyer couvert de damas bleu à fleurs blanches, provenant d'une robe de Mme Duplay, une table et quatre chaises de paille : c'était à la fois son cabinet de travail et sa chambre à coucher ; ses papiers, ses rapports, les manuscrits de ses discours, écrits de sa main, d'une écriture petite, serrée, boiteuse, laborieuse et raturée, étaient classés avec soin sur des rayons de sapin contre la muraille. Quelques livres choisis et en petit nombre y étaient rangés ; presque toujours un volume de J.-J. Rousseau ou de Racine restait ouvert sur la table. » (6)

Charlotte de Robespierre raconte dans ses Mémoires comment Maximilien de Robespierre, son frère, qui résidait auparavant rue de Saintonge, en est venu à s'installer dans la maison de Maurice Duplay (Saint-Didier-La Séauve, 22 décembre 1738-30 juin 1820, Paris), entrepreneur de menuiserie.

« On sera curieux de savoir comment mon frère Maximilien fit connaissance avec la famille Duplay. Le jour où le drapeau rouge fut deployé, et la loi martiale proclamée au Champ-de-Mars par Lafayette et Bailly [17 juillet 1791] ; mon frère, qui avait assisté aux fusillades ordonnées par le héros des deux mondes, et qui revenait, le coeur brisé de toutes ces scènes d'horreur, suivait la rue Saint-Honoré. Une afluence considérable se pressait autour de lui ; il avait été reconnu, et le peuple criait vive Robespierre ! M. Duplay, menuisier, sortit de sa maison, vint au devant de mon frère, et l'engagea à entrer chez lui pour se reposer. Maximilien se rendit à son invitation. Au bout d'une heure ou deux il voulut regagner son domicile, mais on le retint à dîner, et même on ne voulut pas le soir le laisser partir, il coucha chez M. Duplay, et y resta plusieurs jours. Madame Duplay et ses filles lui témoignèrent le plus vif intérêt, l'entourèrent de mille soins délicats. Il était extrêmement sensible à toutes ces sortes de choses. Mes tantes et moi nous l'avions gâté par une foule de petites attentions dont les femmes seules sont capables. Tout à coup transporté du sein de sa famille, où il était l'objet des plus douces sollicitudes, dans son ménage de la rue Saintonge , où il était seul, qu'on juge du changement qu'il avait eu à subir ! Les prévenances de la famille Duplay à son égard lui rappelèrent celles que nous avions eues pour lui, et lui firent sentir encore plus vivement le vide et la solitude de l'appartement qu'il occupait au fond du Marais. M. Duplay lui proposa de venir habiter avec lui, et d'être son commensal et son hôte. Maximilien, à qui cette proposition était fort agréable, et qui d'ailleurs ne savait jamais refuser dans la crainte de désobliger, accepta et vint s'installer au sein de la famille Duplay. » (7)

Charles Jean Marie Barbaroux ne signale pas dans ses propres Mémoires l'évidente sobriété qui est, au dire de la plupart des contemporains et ensuite de G. Lenotre, celle du cabinet et de la chambre de Robespierre.

« C’était un joli boudoir où son image était répétée sous toutes les formes et par tous les arts. Il était peint sur la muraille à droite, gravé sur la gauche, son buste était au fond et son bas-relief vis-à-vis ; il y avait en outre sur les tables une demi-douzaine de Robespierre en petites gravures. »

Parlant ici, non sans dédain, d'un « joli boudoir », Charles Jean Marie Barbaroux rend compte de l'état de sidération dans lequel le plonge l'accumulation des images du locataire des lieux, lesquelles images, sous l'auspice du mot « boudoir », constituent, dirait-on, comme autant de miroirs dédiés à la coquetterie d'une jolie femme ! mais aussi, sous l'auspice de l'abbé de Verteuil et de Panis, comme autant de figures augurales de l'avénement prochain d'un dictateur mégalomane !

Telle est du moins l'impression que Charles Jean Marie Barbaroux a voulu retenir de sa visite chez Robespierre, et que ses amis Baille et Rebecqui ont sans doute éprouvée comme lui.

Pierre Marie Baille (Marseille, 1750-2 septembre 1793, Toulon), a choisi de siéger avec les Montagnards, de voter en janvier 1793 la mort du roi, puis, arrêté pour avoir échoué en juillet 1793 à empêcher la révolte de Toulon, apprenant que son père a été arrêté, il se pend dans sa cellule le 2 septembre 1793.

François Trophime Rebecqui, ou Rebecquy, (Marseille, 2 septembre 1744-1er mai 1794, Marseille), négociant, administrateur des Bouches-du-Rhône en 1790, élu des Bouches-du-Rhône à la Convention, dénonce Maximilien de Robespierre comme aspirant à la tyrannie dès le 8 avril 1793. Il démissionne ensuite de sa députation à la la Convention, mais il est tout de même proscrit lors de la journée du 2 juin 1793. Il tente alors de soulever le Midi contre la Convention, mais voyant le mouvement dégénérer en contre-révolution royaliste, il met fin à ses jours le 1er mai 1794 en se jetant dans la mer dans le Vieux-Port de Marseille.

Charles Jean Marie Barbaroux, quant à lui, proscrit le 2 juin 1793 en même temps que les autres Girondins comme ennemi de la République une et indivisible, puis arrêté, il parvient à s'enfuir et tente alors d'organiser en Normandie une armée contre la Convention. Ensuite, avec Pétion, Guadet et Buzot, il se réfugie dans le Bordelais. Le 18 juin 1794, craignant à nouveau d'être arrêtés, les quatre hommes préfèrent se suicider. Barbaroux, qui a tenté de se tirer un coup de pistolet dans la tête, reste la mâchoire fracassée à côté de ses trois amis, morts. Arrêté sur place, il est guillotiné le 25 juin 1794 à Bordeaux.

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1. Veille du 10 août 1792, journée durant laquelle la foule des insurgés prendle palais des Tuileries, tandis que Marat ne se montre pas.

2. Mémoires inédits de Pétion et Mémoires de Buzot et de Barbaroux, Paris, Henri Plon, 1866, p. 357.

3. Ibidem, pp. 358-359.

4. Archives nat., carton du parquet, W n° 88.

5. Lenotre (G.) [Louis Léon Théodore Gosselin], Paris révolutionnaire, Paris, Firmin-Didot, 1895, p. 17 sqq.

6. Nº 5, rue de Saintonge en 1789 (nº 64, aujourd'hui, IIIe arrondissement).

7. Mémoires de Charlotte Robespierre sur ses deux frères, 2e édition, Paris, au Dépôt central, 1835, pp. 84-85.

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