Robespierre vu par Gertrud Kolmar en 1933
Gertrud Kolmar (1894-1943).
Gertrud Käthe Chodziesner (Berlin, 10 décembre 1894 - 2 mars 1943, Auschwitz), alias Gertrud Kolmar, du nom de la ville natale de son père, Chodzież (Poméranie), Kolmar en allemand, est par sa mère, Elise Schoenflies la cousine de Walter Benjamin. Après avoir étudié le français et l'anglais, elle exerce jusqu'en 1933 le métier d'institutrice auprès d'enfants handicapés. Soumise ensuite au travail forcé dans une usine de cartonnage, elle est déportée et assassinée à Auschwitz en 1943. 450 de ses poèmes ont été sauvés par sa sœur Hilde, à partir de la correspondance échangée entre elles deux. Le cycle dédié à la vie et à la passion de Robespierre comprend 80 poèmes. Dans le cycle dédié en 1933 à La Parole des muets, Gertrud Kolmar parle déjà au nom de Robespierre, des Juifs et des opposants politiques enfermés par les Nazis dans des camps. Dans son Robespierre de 1934, elle emprunte une part de sa documentation sur Robespierre à Albert Mathiez (1874-1932), historien qui a fondé la Société des études robespierristes et qui s'est fait le champion de Robespierre contre Danton.
Dans le poème reproduit ci-dessous, intitulé Le huit Thermidor, Gertrud Kolmar s'inspire du dernier discours de Robespierre, prononcé le 8 thermidor an II (26 juillet 1794) :
Robespierre à la Société des Jacobins le 8 thermidor an II (26 juillet 1794), Auguste Dutillois, graveur, 1834, d'après Auguste Raffet (1804–1860).
M. Robespierre : « En voyant la multitude des vices que le torrent de la Révolution a roulés pêle-mêle avec les vertus civiques, j'ai tremblé quelquefois d'être souillé aux yeux de la postérité par le voisinage impur de ces hommes pervers qui se mêlaient dans les rangs des défenseurs sincères de l'humanité ; mais la défaite des factions rivales a comme émancipé tous les vices ; ils ont cru qu'il ne s'agissait plus pour eux que de partager la patrie comme un butin, au lieu de la rendre libre et prospère ; et je les remercie de ce que la fureur dont ils sont animés contre tout ce qui s'oppose à leurs projets a tracé la ligne de démarcation entre eux et tous les gens de bien. Mais si les Verres (1) et les Catilina (2) de la France se croient déjà assez avancés dans la carrière du crime pour exposer sur la tribune aux harangues la tête de leur accusateur, j'ai promis aussi naguère de laisser à mes concitoyens un testament redoutable aux oppresseurs du peuple, et je leur lègue dès ce moment l'opprobre et la mort ! Je conçois qu'il est facile à la ligue des tyrans du monde d'accabler un seul homme ; mais je sais aussi quels sont les devoirs d'un homme qui peut mourir en défendant la cause du genre humain... » (3)
Gertrud Kolmar. Robespierre. Le huit Thermidor
« Qu’est-ce pour vous que la vertu ? Comment la connaîtriez-vous,
Vous qui avez baigné dans l’or vos mains cupides ?
Êtres vénaux, dévorés par un serpent répugnant.
Quand un prince de la mode invite à sa table,
Vous mourez de plaisir à mâcher même ses déchets,
Comblés par le regard qu’il crache sur vous !
Qu’est-ce pour vous que l’amour ? Oh, une chose avec des femmes...
Non pas cette folie sacrée : voir dans la patrie
Le visage plus beau de l’humanité
Et lui rendre hommage. Tournez en dérision les liens purs
De la compassion envers le pauvre, envers l’ilote,
Et votre action est sacrilège et devient scandale.
Calomniateurs, vous bavez sur les patriotes ?
Je vous le dis : il est, ce feu abrupt
Avec de grandes flammes, or et rouge.
Je les sens. Mais vous, vous les connaîtriez ?
Peut-il aussi voler dans la lumière, celui qui n’a pas d’ailes,
Un aveugle-né peut-il nommer la lumière de Dieu ?
Je sais : vous niez la vie immortelle.
Le Créateur voulut qu’un jour elle vous fasse défaut,
Il vous a donné l’os et la chair et le néant,
Abusés que vous êtes. Moi... À moi il a donné une âme... » (4)
À lire aussi :
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Les yeux de Robespierre
Robespierre en enfer, visité par le Christ
Robespierre chez Madame Dangé, place Vendôme
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1. Verres : Verrès, propréteur prévaricateur de Sicile que Cicéron fait condamner en 70 avant J.-C.
2. Catilina : auteur de plusieurs projets de conjuration que Cicéron dénonce dans ses Catilinaires et fait échouer en 60 avant J.-C.
3. Séance du 8 thermidor an II (26 juillet 1794), extrait.
4. Gertrud Kolmar, Robespierre, traduit de l'allemand et préfacé pr Sibylle Muller, édition bilingue, Circé, 2017, p. 125.