Toulouse. An VIII. Deux inconnus, victimes des désastres de la guerre

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14 frimaire an VIII. Décès de Nicolas Campistron. Archives municipales de la Haute-Garonne. Cote : 1E218. Etat civil. Décès. 2 vendémiaire an VIII-5e jour complémentaire an VIII. Vue 60.

Alors que je recherchais d’autres renseignements dans le registre des décès de la première section de Toulouse en l’an VIII, le nom de Campistron m’a arrêtée, en raison de l’homonymie qu’il présente avec celui de Jean Galbert de Campistron (1656-1723), fameux poète dramatique toulousain, auquel Victor Hugo a décoché ce trait cruel : « Sur le Racine mort, le Campistron pullule » ((Victor Hugo. Les Contemplations. I. VII. Réponse à un acte d’accusation. 1856.)). Il est vrai qu’entre 1683 et 1709, disciple déclaré de Jean Racine, Campistron a fait jouer onze tragédies et quatre comédies à la Comédie-Française, ainsi que, mise en musique par Lully, une comédie-ballet au château d’Anet.

Au vu de l’acte de décès reproduit ci-dessus, j’ai compris toutefois que le défunt dont il est question, ne faisait aucunement partie de la famille noble de Campistron, laquelle a donné à Toulouse, en la personne de Louis de Campistron, avocat, un procureur général des Eaux et Forêts et un capitoul ; et en la personne de Jean Galbert de Campistron, fils du précédent, outre le poète dramatique qui comme on sait « pullule », un seigneur de Saint-Orens, de Cayras, de Lantourville et de Montpapou, marié à Marie de Maniban de Cazaubon.

Le défunt dont il est question ci-dessus, s’appelait Nicolas Campistron tout court, patronyme bien représenté dans la paysannerie à Rieumes, Haute-Garonne, et dans les villages environnants. Il est né à Forgues, Haute-Garonne, circa 1734, mais je n’ai pu trouver l’acte de baptême qui ferait foi, car les registres paroissiaux de Forgues sont manquants sur le site des Archives départementales de la Haute-Garonne. L’état civil débute pour cette commune en l’an XI.

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Ci-dessus : Olivier Stanislas Perrin (1761-1832). Le Pont-Neuf et l’Hôtel_Dieu, au début du XIXe siècle. Crédit photo : Archives des Toulousains de Toulouse. Musée du Vieux-Toulouse.

L’acte de décès de Nicolas Campistron, quant à lui, se trouve consigné dans le registre de la première section de Toulouse en révolution, section à laquelle appartient en l’an VIII « l’hospice militaire sédentaire » ((Cf. J. Adler. Recueil de documents sur l’Assistance publique dans le district de Toulouse. De 1789 à 1800. Pages 6-8. Edouard Privat Libraire-Imprimeur. Toulouse. 1918. Cf. également L’Hôtel-Dieu dans la tourmente Révolutionnaire.)), établi sur la rive gauche de la Garonne, dans l’antique Hôtel-Dieu Saint Jacques.

« Aujourd’hui 14 frimaire de l’an huitième de la République (5 décembre 1799)… Jean Bourgan, âgé de soixante-trois ans, et François Lannos, âgé de quarante-et-un ans, tous deux habitants de cette commune et infirmiers à l’hospice militaire sédentaire, [déclarent] que Nicolas Campistron, insurgé, prisonnier de guerre, âgé de soixante-cinq ans, natif de Fourgues, du département de la Haute-Garonne, est décédé aujourd’hui dans ledit hospice, 1ère section… »

La mention « insurgé, prisonnier de guerre », suffit à indiquer en l’an VIII, à Toulouse, qu’il s’agit là de l’un de ces paysans qui ont été enrôlés de gré ou de force dans les troupes du général Antoine Rougé et du comte de Paulo, qui ont participé à l’ultime l’insurrection royaliste du Midi-Pyrénées, et qui ont payé de leur vie la défaite de cette dernière à Montréjeau, les 2 et 3 fructidor an VII (19 et 20 août 1799).

« Deux mille paysans du camp royaliste ont déserté et se sont évaporés dans la région où ils n’ont pratiquement plus fait parler d’eux. 200 prisonniers ont été faits en ville et dans le quartier du pont. Tous les canons et leur matériel a été saisis. Conduits en prison à Toulouse, ils sont jugés et onze d’entre eux sont fusillés, deux déportés, neuf emprisonnés et dix acquittés. La plupart des autres sont libérés, dont le comte de Villèle (père du futur Premier Ministre de Louis XVIII et Charles X). Les deux conseils de guerre trainèrent les pieds jusqu’à l’amnistie qui sera décidée par le Premier Consul. » ((Cf. Wikipedia. Bataille de Montréjeau.))

Nicolas Campistron n’a pas eu de chance : il a arrêté et emprisonné, comme huit autres de ses compagnons d’armes. Il est mort à l’Hôtel-Dieu un peu plus de trois mois plus tard, le 14 frimaire an VIII (5 décembre 1799). Il avait soixante-cinq ans. Il reste un inconnu de la grande Histoire, de l’Histoire avec sa grande Hache, comme dit Georges Perec. Mais, inconnu, il ne l’était pas pour sa famille…

J’ai relevé dans le même registre de décès, à des dates qui avoisinent celle de la mort de Nicolas Campistron, d’autres actes de décès, relatifs ceux-là à la mort de soldats, jeunes chaque fois, engagés dans les troupes républicaines. Voici, entre autres, l’acte de décès de Jacques Marouil :

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11 frimaire an VIII. Décès de Jacques Marouil. Archives municipales de la Haute-Garonne. Cote : 1E218. Etat civil. Décès. 2 vendémiaire an VIII-5e jour complémentaire an VIII. Vue 58.

« Aujourd’hui onzième frimaire de l’an huitième de la République (2 décembre 1800)…, Jean Bergan, âgé de soixante-trois ans, et François Lannos, âgé de quarante-et-un ans, tous deux infirmiers à l’hospice militaire sédentaire, déclarent que Jacques Marouil, chasseur au premier bataillon, 26ᵉ demi-brigade d’infanterie légère, compagnie (?) nº 7, âgé de vingt-deux ans, blessé, natif de Toulouse, département de la Haute-Garonne, est décédé aujourd’hui dans ledit hospice, première section… »

Encore un inconnu, si jeune ! victime des désastres de la guerre… D’un camp l’autre, la mort ne fait pas le détail.

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Ci-dessus : à Toulouse, l’Hôtel-Dieu Saint Jacques aujourd’hui.