Mirepoix, vu par Eusèbe Girault de Saint-Fargeau en 1838

Eusèbe Girault de Saint-Fargeau. Guide pittoresque du voyageur en France. Tome IV. Firmin Didot Frères, Libraires. Paris. 1838.

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Ci-dessus : vue générale de Mirepoix en 1838.

« MIREPOIX. Jolie ville située sur le Lers, à 6 lieues de Pamiers. Collége communal. Pop. 3.633 hab.

Quelques auteurs pensent que Mirepoix était jadis la principale ville des Tasco deunitari, dont parle Pline. Cette ville antique, que détruisirent sans doute les Goths, les Vandales ou les Sarrasins, fut, vers l’an 1000, rebâtie sur la rive droite du Lers, entre la rivière et le coteau, sous la protection d’un château fort qui venait d’y être construit, et dont on voit encore des restes imposants ; elle reçut alors le nom de Mirapech ou Mirapic, dont on a fait Mirepoix. En 1289, cette ville fut détruite de fond en comble par une inondation extraordinaire de la rivière du Lers, que grossit encore la rupture d’un grand lac qui existait près de Puivert ; le château fut seul préservé, par sa position élevée, de ce grand désastre, qui porta la désolation dans la contrée. Les habitants qui purent s’échapper, se réfugièrent sur la rive gauche de la rivière, où ils bâtirent la ville actuelle. En 1363, cette ville fut pillée et incendiée par une troupe de maraudeurs commandés par un nommé Jean Petit. Quelque temps après, les habitants l’environnèrent de larges fossés et l’entourèrent de murailles, où l’on entrait par quatre portes.

Le plus ancien document qu’on ait du château de Mirepoix, dont les restes attestent la puissance de son fondateur et l’acharnement des guerres de son époque, est de 1062. Ce château fut pris le 22 septembre 1209 par l’armée des croisés commandés par Simon de Montfort, après une résistance qui n’eut pour objet que de favoriser la fuite de Roger, seigneur de Mirepoix, qui l’occupait avec un petit détachement de soldats. Le château de Mirepoix fut donné, avec titre de maréchal de la Foi, à Guy de Levis, un des lieutenants les plus distingués de Simon de Montfort. Roger se réfugia avec ses gens au château de Monségur, où ils furent tous, comme hérétiques, impitoyablement passés au fil de l’épée. Repris en 1223 par Raimond Roger, comte de Foix, qui mourut d’une maladie contractée à ce siége, le château de Mirepoix rentra bientôt en la possession de Guy de Levis, et devint depuis la résidence de ses descendants en ligne droite, jusqu’au XVIe siècle, époque à laquelle il prit le nom de château de Terride. Voici à quelle occasion :

Jean de Levis, treizième seigneur de Mirepoix, épousa, le 13 février 1563, Catherine Ursule de Lomagne, fille d’Antoine de Lomagne, vicomte de Gimois, baron de Terride (château situé près de Beaumont-de-Lomagne). Elle porta en dot à son époux la baronnie de Terride, à condition que leur postérité joindrait ce nom et celui de Lomagne au nom de Levis. Ils eurent huit enfants, dont l’un d’eux, Jean de Levis, reçut le nom de comte de Terride. Ce terrible seigneur [Motif emprunté au Sire de Terrides, nouvelle de Frédéric Soulié recueillie en 1832 dans le tome II du Port de Créteil.], redouté et aimé de ses voisins, parce que son caractère offrait tout à la fois un mélange de dureté et de bonté, mourut en 1644 [Erreur : Jean de Lévis Lomagne est mort au château de Mirepoix le 24 avril 1664.] dans le château de Mirepoix, qu’on a depuis appelé le château Terride, nom qui ne lui porta pas bonheur, car bientôt après [Erreur : c’est au XVIe siècle que les seigneurs de Mirepoix ont abandonné le château de Mirepoix pour s’installer au château de Lagarde.] les seigneurs de Mirepoix transférèrent leur résidence au château de Lagarde, dans la commune de ce nom, à une lieue de Mirepoix.

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Ci-dessus : vue du site de Lagarde en 1838.

Ce château [de Lagarde], cité à juste titre comme un édifice très remarquable, fut signalé à l’époque de la première révolution comme château fort, et en grande partie démoli, quoique ses larges terrasses, les tours qui les flanquaient aux quatre angles, ses avenues, eussent été embellies à grands frais, de manière à faire perdre l’idée de ses anciennes fortifications et de son caractère primitif. Sa ruine est à déplorer, parce qu’il eût pu recevoir une destination avantageuse et profitable au pays.

Il ne reste plus de l’ancien château, qui passait à juste titre pour un des plus beaux du midi de la France, qu’une tour carrée en pierre de taille, bien conservée, qui sert d’habitation ; un grand corps-de-logis délabré, bâti en pierres et en briques ; une enceinte de fossés comblés en grande partie de ruines et de débris ; deux ponts, une cour en place d’armes, entourée de meurtrières, et les restes d’une enceinte de murs flanqués de tourelles.

Mirepoix était autrefois le siége d’un évêché, érigé en 1318 et supprimé en vertu du concordat de 1801. Cette ville est agréablement située, sur le Lers, qu’on y passe sur un beau pont. Elle est bien bâtie, propre, embellie de belles plantations et ornée de fontaines publiques alimentées par une machine hydraulique exécutée sous la direction du célèbre mécanicien Abadie [puis de l’astronome Jacques Vidal. Cf. Jacques Vidal astronome et coetera… De Mirepoix aux Pyrénées – 2ème journée de printemps de l’histoire locale à Mirepoix ; Fontaines de Mirepoix – Fontaine de Rousset, fontaine de la Nation ; Fontaines de Mirepoix – A propos de la fontaine Cambacérès.]. Ses places publiques sont vastes, bien plantées et fort agréables ; la grande place est entourée de galeries couvertes. Les larges fossés qui l’entouraient autrefois ont été comblés il y a déja plusieurs années, et forment aujourd’hui quatre cours ou boulevards qu’embellissent de belles plantations.

Mirepoix possède un bel et vaste hospice bâti sous la direction de M. Mercadier, ancien ingénieur en chef du département, sur un terrain dépendant de l’ancien hospice qui fut démoli ((Cf. La dormeuse blogue 3 : A Mirepoix – Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place – n°97 à 112.)). Les travaux du nouveau bâtiment, commencés en 1780 sous les auspices de M. de Cambon, dernier évêque de Mirepoix, ne furent terminés qu’en 1789, et la dépense s’en éleva à la somme de 79.271 fr., provenant, savoir : 25.200 de dons faits par M. l’évêque de Cambon, 8.000 fr. d’un secours accordé par le diocèse, 13.500 fr. environ de dons faits par divers particuliers, et le surplus de la caisse de l’hospice. La disposition heureuse du bâtiment a permis d’y placer depuis lors [Attention : Eusèbe Girault de Saint-Fargeau semble confondre ici plusieurs emplacements différents : celui de l’hôpital, celui de l’ancienne maison des Nouvelles Catholiques, dite aussi des « Mirepoises », et celui de l’ancien couvent des Trinitaires.] une pension et des écoles où les jeunes personnes suivent les leçons des professeurs attachés au collége de la ville ; une école primaire pour les jeunes élèves, et une seconde école toute gratuite pour les jeunes filles.

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Ci-dessus : vue de la cathédrale Saint Maurice en 1838.

L’église paroissiale, qui n’a jamais été achevée, mais dont on admire le choeur entouré de sept chapelles, est surmontée d’un clocher à flèche d’une exécution remarquable ; il s’élève jusque vers le tiers de sa hauteur en forme de tour carrée que couronne une galerie flanquée aux quatre angles de quatre légères et élégantes pyramides, et d’où s’élance dans les airs une flèche octogone hérissée à tous ses angles de consoles ou modillons. A l’un des angles de la tour carrée, se lie une petite tourelle octogone, qui renferme l’escalier.

Le cimetière est entouré de larges allées bordées de cyprès ; on y remarque une grande chapelle, des autels, des monuments funèbres ombragés de saules, des massifs d’arbres et d’arbrisseaux divers mêlés de fleurs, et une belle croix en fer élevée sur un piédestal en pierre de taille.

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Ci-dessus : vue du château de Mirepoix, dit château de Terride, et du pont sur l’Hers en 1838.

Le pont jeté sur la rivière du Lers est un des plus beaux du Midi : commencé en 1777 d’après les principes du célèbre Peyronnet, et sur le plan de M. de Garipuy, membre de l’académie des sciences de Toulouse et ingénieur de la province de Languedoc, il fut achevé en 1791. Ce pont, en belles pierres de taille, a sept arches d’environ vingt mètres d’ouverture et d’une exécution parfaitement soignée ; il ne laisse à désirer qu’un peu plus de largeur. La chaussée qui, par un plan parfaitement horizontal, lie, vers le midi, le pont à la ville, et, vers le nord, aux embranchements des routes de Carcassonne au levant, et de Villefranche au couchant, est aussi tout à fait digne de remarque : elle a, non compris le pont, plus de deux cents toises de longueur, sur vingt pieds de hauteur et quarante de largeur,en augmentant toujours vers sa base. A une courte distance, et presque en face du pont, on voit les restes d’un ancien couvent de cordeliers, dans l’enceinte d’un vaste enclos où est le tombeau des auteurs du maréchal Clauzel ((Cf. Christine Belcikowski. Moulons de Mirepoix. Le couvent, le domaine, et la fontaine des Cordeliers.)), possesseur de cette propriété, qui s’étend sur le revers du coteau où gisent les ruines de l’ancien château Terride.

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Ci-dessus : au pied du château de Terride, vestige du couvent des Cordeliers.

On remarque encore à Mirepoix : l’hôtel de ville, édifice spacieux et bien distribué ; les restes des bâtiments de l’ancien évêché.

La ville de Mirepoix a donné le jour à plusieurs hommes remarquables, parmi lesquels nous citeront l’astronome Vidal, que le célèbre Lalande appelait l’hermégiste français ; le maréchal Clauzel, membre de la Chambre des députés, aujourd’hui gouverneur d’Alger. [A noter qu’Eusèbe Girault de Saint-Fargeau omet ici de nommer Frédéric Soulié, dont il a lu tous les ouvrages depuis la publication des Deux cadavres en 1832, et auquel il consacrera plusieurs pages dans le tome II de sa Revue des romans en 1839.]

Fabriques de toiles communes, couvertures de laine, serges, grosses draperies, peignes de buis, savon. Filature hydraulique de laine. »