L’institution des Jeux Floraux et les Dames de Toulouse, au XVe siècle

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« Nogeroles, Docteur en la gaie science, au livre des Poésies qu’il a fait imprimer il y a fort longtemps, lequel j’ai écrit de lettre fort ancienne, met entre autres poèmes une requête des Dames de la ville de Toulouse, qui fut rapportée par Trasabot Maître en la gaie Science, devant les Maîtres et Mainteneurs de ladite Science et Rhétorique, tendant à ce qu’elles fussent admises à dicter aux Jeux Floraux, au commencement de laquelle est dit que c’est Dame Clémence qui les a institués, comme l’on peut voir par les premiers vers de ladite requête qui sont tels.

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Avant de rapporter le commencement de cette requête, Catel nous apprend que Nogeroles Docteur en la gaie science avoit fait imprimer, il y avait fort long-temps un livre de poésies, dans lequel il avait mis, entre autres poëmes, une requête des Dames de la Ville de Toulouse. Catel ajoute qu’il a le livre écrit de lettre fort ancienne, ce qui veut dire qu’il n’en avait pas un exemplaire imprimé, mais une copie écrite à la main ; il nous apprend de plus que cette requête fut rapportée par Trasabot Maître en gaie science devant les Mainteneurs et Maîtres. Les Dames tendaient à demander par cette requête d’être reçues à dicter aux Jeux Floraux, ce qui veut dire d’être reçues à composer pour les prix : les premiers vers de cette requête portent, dit Catel, en finissant cet article, que c’est Dame Clémence qui a institué les Jeux Floraux.

Catel rapporte tous ces faits, et le commencement de las requête des Dames, sans dire un mot sur l’authenticité et l’importance de cette pièce. Pour y suppléer, il nous en faut faire l’examen. Je commence par des regrets que Catel n’ait pas rapporté en entier cette précieuse requête, qui nous fournirait sans doute bien des éclaircissements. Elle fut présentée vers le milieu du quinzième siècle, quelques années après le décès de Dame Clémence. Ces façons de parler, un tel que Dieu absolve, ou bien, à qui Dieu fasse miséricorde, sont les mêmes que celle-ci, Dame Clémence, que Dieu pardoit par sa clémence ; on ne s’énonce ainsi qu’en parlant des personnes qui ne sont pas décédées depuis un temps fort considérable, et dont la mémoire est encore assez fraîche. Cette observation et le langage de cette requête justifient, comme on l’a dit, qu’elle fut présentée au Corps des Jeux Floraux vers le milieu du quinzième siècle ; cette fixation se porte à près de trente années après le décès de Clémence, ce qui s’accorde et se concilie parfaitement avec les expressions des Dames dans leur requête.

Cette pièce, dont Catel paraît faire bien peu de cas, a été célébrée par les savants de ce temps-là. Antoine Duverdier, Seigneur de Vauprivas, en a fait mention dans sa Bibliothèque, qui contient un catalogue de tous ceux qui ont écrit ou traduit en français et autres dialectes de ce Royaume. Cet ouvrage, qui est estimé et recherché, fut imprimé à Lyon in-folio en 1584 : on lit dans cette curieuse Bibliothèque, et à la fin de la page 1026, que Pierre Nogerolles, Docteur en la gaie Science, fit imprimer à Toulouse, in-quarto, sans date, par Jean Damoisel, un Recueil de plusieurs ballades couronnées, enchaînées et batelées, couplets et rondeaux, partie en rimes françaises, partie du langage Toulousain, parmi lesquels poèmes était imprimée la requête des Dames de Toulouse. Le tout fait et baillé aux Mainteneurs et Maîtres de la gaie Science.

Et à la page 1118 on lit ce qui suit.

La requête faite et baillée par les Dames de Toulouse aux Mainteneurs et Maîtres de la gaie Science au mois de Mai, qu’ils adjugent les fleurs d’or et d’argent, aux mieux disants. Avec plusieurs sortes de rimes ou poèmes en divers langages et sur divers propos composés par lesdites Dames. Imprimé à Toulouse, in-quarto, sans date. Et sont les Dames qui ont fait celles compositions, nommées Catherine Fontaine, Françoise Marrie, Claude Ligoune, Esclarmonde Spinete, Andieta Peschaira, Bernarde Deupé, Jehanne Perle, et autres.

Dans ces deux extraits de la Bibliothèque de Duverdier, il est parlé de la requête des Dames ; mais c’est toujours relativement au Recueil de poésies que Nogerolles fit imprimer à Toulouse, in-quarto, sans date, par Jean Damoisel. Duverdier trouva sans doute dans le Recueil de Nogerolles les noms de toutes les Dames Poètes qui avaient signé leur requête avant de la remettre à Trasabot, Maître en gaie Science, pour la rapporter. Il n’a nommé que sept de ces Dames, mais il ajoute ET AUTRÉS pour faire entendre qu’elles étoient en plus grand nombre.
Pour faire voir que ces Dames par leurs talens pour la poésie, étoient fondées à demander d’être admises à dicter aux Jeux Floraux, en exécution de la volonté de Dame Clémence, Duverdier rapporte dans sa Bibliothèque les poèmes de trois des Dames qu’il a nommées. Voici comment il s’explique à la page 1118.

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Ces trois poèmes et plusieurs autres des Dames de Toulouse, qui devaient être compris dans le Recueil de Poésies que Nogerolles fit imprimer, nous font connaître que ce n’est pas sans raison que Clémence ne les avait pas exceptées de son édit. » ((M. de Ponsan. Histoire de l’Académie des Jeux Floraux. Première partie. Page 15 sqq. A l’Imprimerie de la Veuve de Me. Bernard Pijon. Toulouse. 1764.))