Le centaure Chiron

« Le calme et les ombres président au charme secret du sentiment de la vie. » ((Maurice de Guérin (1810-1839). Le centaure. Edition posthume, initiée par George Sand.))

J’imagine le centaure Chiron
jeune et beau,
poil soyeux, jambes fines,
et si tendre au poitrail,
où s’ajointent ses formes.
L’étrange affaire que d’être cheval
cependant qu’on est homme,
l’étrange affaire que d’être homme
cependant que cheval !
Je l’ai vu dans mes rêves
qui sortait de sa grotte
là-bas sous le rocher moussu,
et qui, noble d’allure,
s’en allait à pas lents
goûter au vif du jour
dans le vert des prairies,
fleuries de centaurées.
J’imagine Chiron,
fils de Cronos
qui est le maître du temps,
contemplant du bord de la nuit
au ciel les étoiles lointaines,
les étoiles, ses soeurs,
floraison d’immortelles.
J’imagine Chiron
vieil et beau
écartant de ses fortes mâchoires
sa barbe silencieuse
et déclinant à Esculape
les secrets des herbes et des baumes,
et jusqu’à l’art sorcier
des mots qui réveillent les morts,
les pauvres morts,
qui sont nos frères aussi.
Achille hélas, Enée, Jason,
et tant d’autres héros
qu’il a connus enfants,
qu’il a portés en croupe
au travers des forêts,
qu’il a appris en tout,
à passer l’eau des fleuves,
à marcher sur la glace,
à chasser pour manger,
qu’il a instruits de tout,
de la nature des choses,
de la semblance des bêtes,
des hommes et des dieux,
de la loi de mesure,
de sagesse et raison,
Achille hélas, Enée, Jason,
et tant d’autres héros
ont un jour oublié
la leçon de Chiron.
Ils ont mené la guerre
comme une longue colère,
ils ont tué pour la gloire
et ils sont morts pour rien,
par accident, mégarde,
oh ! le rire énorme de la mer !
les dés roulent.
J’imagine Chiron,
blessé par accident,
d’une flèche venue d’un héros imprudent,
glorieux, lui aussi !
Immortel, il souffre tant du poison
distillé par la flèche,
qu’il réclame la mort
pour guérir sa souffrance éternelle,
qu’il obtient de mourir,
prenant ainsi congé
du profond des forêts
de son immortalité plus ancienne.
Le neuvième jour arrivait,
quand ton corps, ô juste Chiron,
s’environnait de deux fois sept étoiles.
Nona dies aderat, cum tu, iustissime Chiron,
bis septem stellis corpora cinctus eras.
Ovide. Fastes. V. 413-414.
Hélas ! gémissaient les guerriers, les héros,
les humains, trop humains,
considérant là-haut,
d’un oeil mort déjà,
la constellation du Centaure.

Une réponse sur “Le centaure Chiron”

Les commentaires sont fermés.