L’aède est une femme

L’aède est une femme,
une aragne,
une Ariane ?
Elle file ses récits,
comme d’autres
filent la laine
ou la soie.
Elle tisse en ses récits,
et les fastes du jour,
et les songes de la nuit,
la navette va et vient.
Ô Πηνελόπη !
Pénélope !
Mille et trois journées
à tisser en silence
l’invisible tapisserie
de tes jours interlopes !
Ô شهرزاد !
Schéhérazade !
Mille et une nuits
à tisser en paroles
le cachemire de tes fables
oniromanciennes !
La navette va et vient.
Oh ! combien de fils
roulés sur l’ensouple !
Et, de trame en chaîne,
oh ! combien de passées !
La navette va et vient.
Oh ! combien de mots
et combien de blancs
en guise de foule ! ((Foule : espace vide ménagé sur le métier à tisser entre les fils de chaîne et les fils de trame afin de permettre le passage de la navette.))
Oh ! de phrase en phrase
dans le satin de l’armure,
combien de lueurs passent,
comme autant d’oiseaux,
couleur zinzolin,
d’annonce plus ancienne,
de source oubliée !
La navette va et vient,
le souvenir sous-vient,
le souvenir vient,
il vient et revient,
il se souvient de toi,
qui, toi, ne te souviens pas
seulement d’être né,
avant d’être dit
homme ou femme.
Il vient à l’aède,
aragne ou Ariane,
comme la vie va,
dehors
aveugle, aveuglante,
miroir aux alouettes,
dedans
foyer de rayons,
lanterne de l’âme.
L’aède n’a pas besoin d’y voir,
d’y voir de ses yeux voir,
pour tisser
les fastes du jour,
les songes de la nuit.
La navette va et vient.
Il y a sous l’oubli
et l’oubli de l’oubli
une navigation seconde.