Jeunesse, mariage et ascension politique de Raymond Gaston, député de l’Ariège à l’Assemblée nationale

gaston_raymond_bapteme.jpg

14 février 1757. Baptême de Ramond Gaston. Archives dép. de l’Ariège. Foix (1735-1765). Document 1NUM2/1EDT/GG9. Vue 308.

1. La jeunesse de Noble Ramond de Gaston de Méric

Le 14 février 1757, Le curé Ferras baptise à Foix le petit Ramond Gaston, fils de Bernard Gaston, bourgeois, et de Dame Catherine Corraze. Parrain, le Sieur Ramond Corraze, son oncle ; marraine, Demoiselle Jeanne Marie Corraze, sa tante. L’acte du baptême ne fournit aucun renseignement sur la famille Gaston. Le patronyme semble banal. Or Jean Baptiste Pierre Jullien de Courcelles, dans son Histoire généalogique et héraldique des pairs de France, observe qu’il s’agit là d’une famille noble, de lointaine ascendance.

« La famille de Gaston, originaire de Guyenne, tenait rang parmi la plus ancienne noblesse de cette province. On la voit figurer, vers le milieu du XIVᵉ siècle, au nombre de celles qui embrassèrent la cause d’Arnaud Guilhem, seigneur de Gramont, chevalier, dans la guerre qu’il soutint contre Pierre d*Albret, seigneur de Guissen, guerre dans laquelle intervînt presque toute la noblesse de la Gascogne et de la Navarre. […]. On ignore à quelle époque la branche aînée de cette famille s’est éteinte en Guyenne. Plusieurs rameaux se sont répandus successivement.

De la branche du pays de Foix, était issu Joseph Albert de Gaston de Montségur capitaine au régiment de Noailles, cavalerie, qui a laissé de son mariage avec Augustine Marie de Méras, Philippe Maurice, et Louis Paul, chevalier de Gaston, mort a Barcelone, capitaine aux gardes Wallonnes au service d’Espagne.

Philippe Maurice de Gaston de Méric, lieutenant-colonel du régiment de Piémont, eut pour femme Germaine de Serres, et pour enfants Joseph-Albert, mort en bas âge, Jean Paul de Gaston de la Devèze, mort lieutenant au régiment de Bourbonnais, Anne Marie de Gaston, mariée avec M. de Wasservas, major de Bapaume, et Bernard Albert de Gaston de Méric, major du régiment de Piémont.

Bernard Albert de Gaston de Méric a eu de son mariage avec Catherine de Corraze, entre autres enfants : Michel Etienne de Gaston, major du régiment de Royal-la-Marine, puis gouverneur de Longwy, mort en émigration ; Jean Paul, chevalier de Gaston, capitaine au régiment de Piémont, père d’un fils actuellement au service, et le seul rejeton de cette branche ; et autre Jean-Paul de Gaston de la Devèze, sous-lieutenant au régiment de Piémont. » ((Jean Baptiste Pierre Jullien de Courcelles. Histoire généalogique et héraldique des pairs de France. Volume 12. Paris. Chez l’Auteur. 1833.))

Ramond de Gaston, dont l’existence se trouve pourtant attestée par son acte de baptême, ne figure pas dans la généalogie reproduite ci-dessus. Pourquoi donc ? Il a probablement déplu à Jean Baptiste Pierre Jullien de Courcelles (1759-1734) de mentionner dans une famille noble l’existence d’un fils qui deviendra membre de la Société des Jacobins, député de l’Ariège à l’Assemblée législative, puis à la Constituante, qui s’y illustrera par la violence révolutionnaire de son propos, et qui votera sans états d’âme la mort du roi.

A la différence de son père et de ses frères, Ramond de Gaston, ou plutôt Raymond Gaston n’embrasse pas la carrière des armes. Gaston Arnaud, dans son Histoire de la Révolution en Ariège le dit « professeur, appartenant à l’une des premières familles de Foix » ((Gaston Arnaud. Histoire de la Révolution en Ariège. Thèse. Page 174. Edition Edouard Privat. Toulouse. 1904.)), à la veille de 1789. La famille Gaston réside alors au château de Cadarcet. Raymond Gaston, quant à lui, professe déjà des idées révolutionnaires.

En 1790, Raymond Gaston est élu juge de paix par les électeurs fuxéens du premier degré. ((Ibidem. p. 207.))

Le Citoyen Raymond Gaston se marie

gaston_raymond_mariage1.jpg

gaston_raymond_mariage2.jpg

19 juin 1791. A Mirepoix, mariage de Raymond de Gaston et d’Anne Mailhol. Où l’on voit qu’en juin 1791, la particule se porte encore, au moins dans le registre paroissial de la cathédrale Saint Maurice ! Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix (1787-1792). Document 1NUM6/5MI665. Vue 152.

Le 19 juin 1791, le Citoyen Raymond de Gaston, juge de paix de la ville de Foix, fils du Sieur Bernard de Gaston, ancien capitaine du régiment de Piémont, et de feue Dame Catherine de Corraze, épouse à Mirepoix Demoiselle Anne Mailhol, fille du Sieur Gabriel Mailhol, Citoyen de Saint-Papoul, et de feue Dame Jeanne Faure. Présent : le père de l’épouse [Gabriel Mailhol]. Témoins : MM. Rouger père et fils ; M. Teriol, maître chirurgien de Tarascon ; M. Carcassonne, prêtre ; et autres parents ou amis. Le mariage se trouve célébré par l’Abbé Jean Pierre Mailhol, oncle de la mariée.

L’Abbé Jean Pierre Mailhol ((Cf. Christine Belcikowski. « A propos de Jean Pierre Mailhol, né à Carcassonne, prêtre constitutionnel enfermé en l’an II aux prisons de Castelnaudary ». A paraître au printemps 2018, in Revue du Centre Lauragais d’Etudes Scientifiques.)) se souvient

Trente ans plus tôt, le 17 novembre 1761, le même Abbé Jean Pierre Mailhol, alors curé de Lavalette près de Carcassonne, célébrait déjà dans son église, il s’en souvient, le mariage de Marie Xavier Mailhol, sa soeur puînée, avec Monsieur Etienne Rouger, avocat au parlement et notaire royal à Mirepoix, Ariège. ((Archives dép. de l’Aude. Ferran (1760-1779). Document 100NUM/5E141/3. Vue 10.))

Vingt-trois ans plus tôt, le 12 avril 1768 — l’Abbé Mailhol s’en souvient aussi —, il célébrait en son église de Lavalette le mariage de Gabriel Mailhol, son frère aîné, avec Jeanne Brigitte Faure, veuve en premières noces de Denis Bardichou, bourgeois de Saint-Papoul ; fille du Sieur Jean Baptiste Faure et de Demoiselle Claire Fromiga. ((Archives dép. de l’Aude. Saint-Papoul (1762-1770). Document 100NUM/5E361/3. Vue 105.))

Le 29 juin 1769, il était absent au baptême de Marianne Pétronille Mailhol, sa nièce, mais Demoiselle Marianne Martin, veuve de François Mailhol, leur père, était là pour représenter dignement ce dernier.

Le 21 octobre 1772, il avait appris le décès, à peine ondoyé, du petit frère de Marianne Pétronille, sa nièce ((Archives dép. de l’Aude. Saint-Papoul (1771-1777). Document 100NUM/5E361/4. Vue 48.)). Et le 3 décembre 1772, hélas, il apprenait en sus le décès de Jeanne Brigitte Faure, sa belle-soeur, à l’âge de trente sept ans. ((Archives dép. de l’Aude. Saint-Papoul (1771-1777). Document 100NUM/5E361/4. Vue 49.))

La jeunesse de Marie Anne Pétronille Mailhol, dite plus tard Anne Mailhol

mailhol_marianne_bapteme.jpg

Ci-dessus : 29 juin 1769. Baptême de Marie Anne Mailhol, fille de Gabriel Mailhol et de Jeanne Brigitte Faure. Archives dép. de l’Aude. Saint-Papoul (1747-1770). Document 100NUM/AC361/1E3. Vue 172.

rouger_maison.jpg

Ci-dessus : à Mirepoix, ancienne maison d’Etienne Rouger et de Marie Xavier Mailhol.

Baptisée le 29 juin 1769 à Saint-Papoul, Marie Anne Pétronille Mailhol, orpheline de mère à l’âge de trois ans, a beaucoup fréquenté à Mirepoix la maison de sa tante Marie Xavier Mailhol et de son oncle Etienne Rouger. Gabriel Mailhol, son père, pendant ce temps, s’occupait de relancer à Toulouse la carrière littéraire qu’il avait menée précédemment à Paris. A une date qu’on ne trouve pas dans les registres paroissiaux de Saint-Papoul, il épouse en secondes noces Antoinette Delcastel [de Belcastel], comme l’attestera plus tard la mention du nom de cette dernière, signalée en tant qu’épouse de Gabriel Mailhol et marraine du nouveau-né, le 8 avril 1792, lors du baptême du petit Michel Etienne Pascal Antoine Jean Jacques Gaston, fils de Raymond Gaston et de Marie Anne Pétronille Mailhol. Antoinette « de Bel Castel » sera mentionnée encore en tant qu’épouse du défunt, le 4 juin 1793, sur l’acte de décès de Gabriel Mailhol ((4 juin 1793. Acte de décès de Gabriel Mailhol. Archives dép. de l’Aude. Saint-Papoul (1792-1797). Document 100NUM/5E361/7. Vue 144.)).

Maître Etienne Rouger et Marie Xavier Rouger, son épouse, se chargent en 1791 de marier leur nièce. Marianne Pétronille Mailhol a vingt-deux ans lors de son mariage ; Raymond de Gaston, son époux, trente-quatre ans. Si, en 1791, il tait le plus souvent son nom noble, il appartient à l’une des premières familles de Foix ; celle-ci possède pour moitié le château de Cadarcet. Lui a poursuivi de bonnes études ; il jouit d’un solide entregent ; il vient d’être élu juge de paix de Foix. Marie Anne Mailhol fait ainsi en 1791, comme il semble, un beau ou un bon mariage.

Naissance et baptême de Michel Etienne Pascal Antoine Jean Jacques Gaston

En septembre 1791, Raymond Gaston, qui ne porte plus sa particule désormais, est élu de façon éclatante député de l’Ariège à l’Assemblée législative. Il s’installe à Paris, tandis qu’Anne Marie Mailhol, son épouse, enceinte, demeure à Mirepoix chez son oncle Rouger.

gaston_raymond_fils1.jpg

gaston_raymond_fils2.jpg

gaston_raymond_fils3.jpg

Le Saint Jour de Pâques, huitième avril de l’an de Salut mille sept-cent-quatre-vingt-douze et de la liberté l’an quatrième — comme dit l’Abbé Mailhol, alors curé constitutionnel —, un enfant mâle né hier au soir du légitime mariage de Sieur Raimond Gaston, citoyen et juge de paix de la ville de Foix, député du département de l’Ariège à l’Assemblée nationale, et de Dame Anne Mailhol, son épouse, domiciliée actuellement dans la paroisse chez le Sieur Rouger, homme de loi, époux de Dame Xavier Marie Mailhol, tante de ladite mère. L’enfant a été baptisé et nommé par nous, curé soussigné, Michel Etienne Pascal, Antoine Jean Jacques.

Son parrain, le Sieur Michel Etienne Gaston, colonel du cinquante-quatrième régiment, oncle de l’enfant, lequel en son absence a été représenté par le Sieur Jacques Robert, ancien officier de ligne et chevalier de Saint Louis, notre paroissien ; marraine, Dame Anne Antoinette Delcastel, épouse du Sieur Gabriel Mailhol, citoyen de Saint-Papoul et procureur de la commune, père de la Dame Gaston et aïeul maternel de l’enfant, laquelle en son absence a été représentée par Demoiselle Jeanne Hélène Mailhol, domiciliée à Mirepoix, grand-tante de l’enfant.

Témoins : les Sieurs Rouger père et fils aîné, hommes de loi ; et le Sieur Rouger, fils cadet, ecclésiastique ; ainsi que plusieurs autres parents et amis soussignés. Le père absent et se trouvant à Paris dans les fonctions de l’Assemblée nationale.

Signatures : [Jean Pierre] Mailhol curé [assermenté] ; Robert ; Rouger fils [Jean Antoine Xavier Rouger, engagé peu après dans l’armée des Pyrénées] ; Rouger aîné [Jean Marie Raymond Rouger, maire de Mirepoix de la fin de 1792 à 1794]  ; J. Mailhol [frère de Gabriel Mailhol] ; Rouger père [Etienne Rouger, notaire] ; de Saverdun ; J.F.D. Bauzil ; Soulié, juge de paix [grand-oncle du futur Frédéric Soulié] ; J.F. Noyes ; Manent, administrateur du district ; Bonnaure ; [Gabriel] Clauzel, ex-maire ; Jalabert ; Avignon [notaire] ; Fontès, officier municipal [maire de 1794 à 1795] ; Donnezan, fédéré à Paris ; Expert, grenadier ; F. Boudouresques ; [illisible] ; Autié, patriote ; J.-J. Vidal ; [Jean Antoine Barthélémy] Baillé [procureur syndic, délégué à la Fédération des Pyrénées, oncle par ailleurs du futur Frédéric Soulié]. ((Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix (1787-1792). Document 1NUM6/5MI665. Vue 196.))

cazanave_mirepoix_familles.jpg

Ci-dessus : familles et liens de parenté dans le camp des « patriotes » mirapiciens en 1789. Source : Jean Cazanave. « Ambitions familiales à Mirepoix (Ariège) de 1789 à 1795 ». In Révolution et Contre-Révolution dans le Midi de la France (1789-1799). Page 64. Presses Universitaires du Mirail. 1991.

Le 7 avril 1792, toujours à Mirepoix, Marie Anne Mailhol accouche d’un garçon, que l’Abbé Mailhol baptise le lendemain sous le nom de Michel Etienne Pascal Antoine Jean Jacques Gaston. Les signatures des témoins sont en 1792 celles du Mirepoix des « patriotes », autrement dit celles des amis et alliés de Raymond Gaston ou des partisans de Gabriel Clauzel. Celui-ci, qui a été maire de 1790 à 1791 et qui le redeviendra en 1795, dirige en 1792 le redoutable Comité de surveillance de la commune.

Anne Mailhol et son fils montent à Paris

gaston_pepiniere.jpg

Ci-dessus : nº 8 de la rue de la Pépinière aujourd’hui.

Quelques mois plus tard, alors que Michel Etienne de Gaston, frère de son mari, a émigré et que le château de Cadarcet a été pillé et détruit ((Gaston Arnaud. Histoire de la Révolution en Ariège. Thèse. Page 351. Edition Edouard Privat. Toulouse. 1904.)) durant les derniers jours du mois de septembre, Anne Mailhol et et son fils rejoignent Raymond Gaston à Paris, au nº 8 de la rue de la Pépinière, section de la République, ci-devant du Roule (aujourd’hui VIIIe arrondissement). Raymond Gaston vient d’être réélu député à la Convention. Il y siège, depuis ce même mois de septembre, dans les rangs de la Montagne. Le 15 janvier 1793, avec tous les autres députés de l’Ariège, Marc Alexis Vadier, Jean Baptiste Clauzel [frère de Gabriel Clauzel], Pierre Campmartin, Jean Espert, et Joseph Lakanal, il vote la mort de Louis XVI. Louis XVI est guillotiné le 21 janvier 1793.

louis_XVI_mort.jpg

Ci-dessus : 21 janvier 1793. Mort de Louis XVI. Gravure anonyme.

Le couple Gaston-Mailhol se défait

Au printemps 1793, Raymond Gaston est envoyé en mission dans l’Ariège afin d’accélérer la levée en masse. Du 31 mai au 3 juin, il participe à l’insurrection parisienne qui aboutit à l’arrestation des députés girondins et au vote, le 4 juin, de la Constitution de l’an I. Entre temps, il siège à l’Assemblée quasiment jour et nuit.

Anne Mailhol, de son côté, s’ennuie sûrement. Commandé par Raymond Gaston, un rapport de police daté de juillet 1793 montre que celui-ci la fait espionner ((Archives de la Seine. Minutes du juge Gaudet. Nº 27.)). S’agit-il d’un mari jaloux ?

gaston_police1.jpg

Ci-dessus : détail de la minute du juge de paix relative à une « femme suspecte ».

Le 3 juillet 1793, un certain Nicolas Boutard, citoyen vertueux demeurant au rez-de-chaussée du nº 8 de la rue de la Pépinière, se rend au bureau du juge de paix, sis place Beauvau, pour y signaler « un délit commis par une femme dans sa conduite à l’égard de son mari ». Il revient, flanqué du Citoyen Robine, assesseur du juge, au nº 8 de la rue de la Pépinière. Le procès verbal indique que tous deux ont surpris au sortir de la cave « un particulier, de la taille d’environ cinq pieds neuf pouces, grêlé et maigre, cheveux et sourcils châtain brun, ainsi qu’une femme avec qui il était dans ladite cave, qui a dit se nommer Anne Mailhol, épouse du Citoyen Ramond Gaston, député à la Convention nationale ; que celle-ci les a priés de se retirer, car on venait de lui annoncer que son mari était sur le point de rentrer, et il pourrait se livrer à des inquiétudes sur son compte, ce qui lui ferait un grand tort, car si elle se trouvait avec ce particulier dans la cave, ce n’est que parce qu’elle y avait besoin… ; que, sur ces entrefaites, le Citoyen Gaston est arrivé ; qu’il s’est emporté contre le particulier, et qu’eux ont dû faire évader le particulier afin d’éviter tout danger. »

Suite à ce premier épisode, Raymond Gaston requiert du juge de paix qu’on interroge les voisins et les domestiques.

Toinette Rousse, fille de confiance de la Citoyenne Gaston, rapporte que, « tandis qu’elle allait promener avec le petit enfant de ladite Citoyenne dans les champs, de nouveau elle a vu un particulier s’approcher de sa maîtresse ; qu’ils ont parlé ensemble, qu’elle ne sait ce qu’ils ont dit ; qu’un autre jour, elle est allée avec sa maîtresse rue Pastourelle chez le Citoyen Legros, même que celui qui fut trouvé précédemment à la rencontre de la Citoyenne Gaston ; qu’au surplus elle trouva mal que la citoyenne Gaston trompait son mari… »

La Citoyenne Claire Cornélie Petit, âgée de seize ans, demeurant en la « maison ou cour fournière », déclare « qu’il y a quelque temps, la citoyenne Gaston est allée se promener aux champs avec sa fille de confiance ; qu’elle a ouï la Citoyenne Gaston lui dire qu’elle allait se promener sur le boulevard ; que cependant elle avait su qu’elle allait se promener aux champs, où le dit Legros l’avait rejointe ; qu’un autre jour, allant avec ladite Gaston se promener au Palais-Royal, puis avec sa fille de confiance, ladite Gaston est entrée chez un marchand au Palais-Royal, y a acheté un gilet, qu’elle l’a remis à sa fille de confiance en lui faisant signe d’un clin d’oeil et lui a dit de le mettre dans sa poche ; que, sortie de la dite boutique, elle lui a dit de lui rendre le dit gilet qu’elle a porté audit particulier, ledit Legros ; et qu’elle croit bien qu’elle lui a remis ledit gilet, en ce qu’elle l’a vue lui passer quelque chose dans un papier gris, qui est le même que celui dans lequel était enveloppé ledit gilet ; et qu’elle a été convaincue de cela par la lecture de différentes lettres que lui fit la Citoyenne Gaston ; qu’aujourd’hui encore la Citoyenne Gaston vient de lui remettre quatre autres lettres ». « Lesquelles lettres viennent à l’instant de nous être remises par la déclarante », ajoute l’assesseur Robine, « en nous disant qu’elle vient d’entendre dire par la Citoyenne Gaston que ce jour était son bonheur en ce qu’elle allait être séparée sûrement d’avec lui, Gaston, son mari, qui est tout ce qu’elle désire. »

Le 5 juillet 1793, sur la réquisition du Citoyen Gaston, l’assesseur Robine poursuit son enquête.

« Nous nous sommes transportés en ladite maison, rue de la Pépinière, où le dit Citoyen Gaston nous dit avoir reçu de la section du Marais un billet anonyme, assorti d’une lettre signée Legros, rue Pastourelle, maison du limonadier, section du Marais.

« Ledit Citoyen Gaston nous a requis d’interpeller la Citoyenne Petit s’il est vrai qu’elle reconnaît une lettre composée de plus cent morceaux rapportés et remis ensemble, laquelle lettre est formée des morceaux que la Citoyenne Gaston, sa femme, avait jetée dans la cheminée de la cuisine de la citoyenne Boutard. Ladite Citoyenne Petit, par nous interrogée, a répondu que le jour où elle a vu la Citoyenne Gaston sortir de la cave où elle était enfermée avec le Citoyen Legros, celle-ci déchira une lettre dans la cuisine qui est au rez-de-chaussée appartenant au Citoyen Boutard, et qu’elle en jeta les morceaux dans les cendres de la cheminée, en sa présence et en celle de ladite Boutard, sa marraine ; que deux heures après, elle rapporta à la Citoyenne Gaston les morceaux de cette lettre, qui commence par ces mots : « Lundi soir, demain, mon amie je te serrerai peut-être contre mon coeur », et finit par ceux-ci : « Bonsoir, je vais passer une mauvaise nuit ». Ladite Citoyenne Petit a parfaitement reconnu les morceaux remis de cette lettre et assuré qu’ils formaient entièrement celle que ladite Citoyenne Gaston avait déchirée en sa présence.

Elle aussi convoquée, la Citoyenne Antoinette Rousse confirme que « la lettre produite par le Citoyen Gaston a été remise à ce dernier par la Citoyenne Petit. Ladite Citoyenne Petit la reconnaît parfaitement pour être celle qui commence par ces mots : « Demain, mon Anne, demain », et finissant par ceux-ci : « Je vais passer une mauvaise nuit ».

Le Citoyen Gaston produit trois autres lettre encore. L’une commence par ces mots : « Jeudi, à deux heures et demie, j’arrive, mon amie, de ma demeure rue Pastourelle », et finit ainsi : « Personne ne vient, j’irai dans ta rue ». Deuxième lettre : « Jeudi, à dix heures, je reçois ta lettre, ma chère et bien douce amie… Adieu, je ne vis que pour cesser de vivre dans tes bras ». Troisième lettre : « Venez, venez, Lettre aimable… à quelle résolution je me déterminerai ».

gaston_anneau_or.jpg

La Citoyenne Petit observe ici « que la Citoyenne Gaston lui a dit qu’un anneau d’or lui avait été donné par le Citoyen Legros et qu’elle l’avait enfermé avec une lettre dudit Legros dans un oreiller ». Elle rapporte ensuite que « le Citoyen Gaston ayant en sa présence et en celle de la Citoyenne Rousse ouvert ledit oreiller, il y avait trouvé l’anneau d’or et la lettre, enveloppés dans le milieu de la plume ».

gaston_abandon.jpg

La Citoyenne Petit déclare encore « que la Citoyenne Gaston, après avoir répété souvent qu’elle aimait ledit Legros — qu’elle voyait le plus souvent qu’elle pouvait et dont elle avait reçu les lettres qu’elle lui avait remises en dernier lieu pour brûler —, l’avait même assurée que lorsque ledit Legros n’écrirait point souvent, elle s’empresserait de lui écrire à son tour, qu’elle n’avait rien de plus à coeur que de le voir, et qu’elle se proposait d’abandonner son mari pour se réunir à Lui dès qu’elle serait arrivée à Foix… »

Le verbe du temps ajoute à ce roman de l’adultère une sorte de couleur drôlatique. Mais on ne sait rien des premiers mois qu’Anne Mailhol a vécus auprès de son mari. Raymond Gaston est connu pour avoir été un homme véhément, sinon violent. Et la Citoyenne Gaston se trouve prise au piège de la délation. La pratique de la délation participe de l’avénement de la Terreur et de l’ordre moral que celle-ci prétend imposer à tous, aux femmes surtout. La création du Tribunal révolutionnaire date de mars 1793… Sous ses airs vaudevillesques, le roman de l’adultère, tel que détaillé ci-dessus, rend compte à sa façon d’un moment historique qui fait peur. La jeune Anne Mailhol semble bien naïve et sans défense en telles circonstances…

Après le 15 juillet 1793, que sont-ils devenus ?

On ne sait si Anne Mailhol est arrivée à Foix, comme elle le projetait plus haut. On ne retrouve pas son nom, non plus que celui de son enfant, dans les tables décennales de Foix, ni dans celles de Mirepoix, ni encore dans celles de Saint-Papoul. Gabriel Mailhol, son père, est mort à Saint-Papoul le 4 juin 1793 ((Archives dép. de l’Aude. Saint-Papoul (1792-1797). Document 100NUM/5E361/7. Vue 144.)). Elle n’a plus au demeurant aucune raison de retourner dans cette ville, où elle est née.

Autant dire qu’on perd complètement la trace d’Anne Mailhol et de son enfant après le mois de juillet 1793. Peut-être Anne Mailhol a-t-elle continué de vivre à Paris. Avec « le particulier Legros » ? Comment savoir ? On ne connaît même pas le prénom de cet homme. On ne trouve pas en tout cas de mariage Legros-Mailhol dans les années 1793-1800 de l’état-civil reconstitué de Paris, mais seulement diverses naissances d’enfants enregistrés sous le nom de Legros, sans que les noms des mères soient aucunement mentionnés.

Au début de l’an II (automne 1793), Raymond Gaston est envoyé auprès de l’armée des Pyrénées et il participe aux combats de la guerre du Roussillon. Transféré ensuite à l’armée des Alpes, il s’y montre d’un grand courage au feu. Il rentre à Paris en frimaire an III et, suite à la chute de Robespierre, il s’y trouve exposé à la réaction dite « thermidorienne » qui s’exerce à l’encontre des anciens Montagnards. Après avoir échappé de peu aux proscriptions qui frappent ses amis en vendémiaire an IV (octobre 1795), il n’est pas élu au Conseil des Cinq-Cents ni à celui des Anciens, mais nommé commissaire du Directoire. Le 29 germinal an VI (18 avril 1798), il élu enfin député de l’Ariège au Conseil des Anciens, mais, néo-jacobin notoire, il voit son élection invalidée par le gouvernement le 22 floréal an VI (11 mai 1798). L’avénement du Consulat marque la fin de sa carrière politique. Il devient alors receveur général des Basses-Alpes jusqu’à la Restauration, qui, en 1814, lui vaut d’être destitué et mis à la retraite d’office.

gaston_brevet.jpg

Source : Institut National de la Propriété Industrielle. 1828. Dossier 1BA2832. Date de dépôt : 19/01/1828. Date de délivrance : 20/03/1828.

Le 20 mars 1828, fruit de sa retraite parisienne, il obtient du Ministère du Commerce et des Manufactures un brevet de cinq ans pour l’invention d’un mécanisme propre à empêcher les cheminées de fumer.

A partir du 15 juillet 1793, Raymond Gaston, comme on l’a vu ci-dessus, dispose d’un dossier suffisant pour demander le divorce. On ne trouve point d’acte correspondant, ni à Mirepoix ni à Foix ni à Saint-Papoul. Le divorce a dû être prononcé à Paris. Le 9 germinal an III (29 mars 1795), Raymond Gaston, âgé alors de trente-huit ans, épouse à Montmartre Denise Ramaget, âgée elle de vingt ans. Le 24 messidor an III (12 juillet 1795), il déclare les nom et prénoms d’Alexandrine Geneviève Adélaïde Gaston, née (en l’an II peut-être) de Denise Ramaget à Paris, dans la section des Tuileries ((Etat-Civil de Paris. Naissances (1734-1853). Série V6.E.3, 1ère et 2ème partie [série qui n’a pas brûlé pendant la Commune]. Numéro d’ordre : I.34.)). L’enfant a pour parrain Alexandre Dumas, le général, père de l’écrivain. Alexandrine Geneviève Adélaïde Gaston, restée célibataire, mourra le 26 février 1863 à son domicile, 54, rue du Faubourg du Temple, Paris, XIe. Raymond Gaston sera père encore de Joseph Antoine Gaston, né le 18 septembre 1804 à Digne-les-Bains, Basses-Alpes, et père d’Hortense Sophie Gaston, dite Didine, née le 30 septembre 1808, elle aussi à Digne-les-Bains.

Hortense Sophie Gaston, dite Didine, épouse Pierre François Michel Delaloë le 22 juillet 1826 en l’église Saint Nicolas des Champs, à Paris ((Hortense Sophie Gaston mourra le 3 décembre 1855 à son domicile, 16, rue des Francs Bourgeois, Paris, VIIIe.)).

gaston_joseph_mariage1.jpg

21 février 1833. A Haguenau, mariage de Joseph Antoine de Gaston et de Catherine Neunreutter.

gaston_joseph_mariage2.jpg

Témoins : Baron Louis Alexis Desmichels, âgé de cinquante-deux ans, maréchal de camp, commandant de la légion d’honneur et commandant de la deuxième brigade de cavalerie, domicilié à Wissenbourg, ami des époux ; François Regenauer, âgé de trente-neuf ans, domicilié à Landzu (Bavière, Rhénanie), négociant, beau-frère de l’épouse ; Valentin Hussel, âgé de cinquante sept ans, propriétaire, domicilié à Haguenau, oncle par alliance de l’épouse ; Louis Alexandre de Chastellux, âgé de soixante-deux ans, négociant, domicilié à Haguenau, ami des époux. Archives dép. du Bas-Rhin. Haguenau. Mariages. 1833. Vue 9.

Joseph Antoine de Gaston, alors sous-lieutenant au 3e Hussards, épouse Catherine Neunreutter, fille d’un riche meunier, le 21 février 1833 à Haguenau, dans le Bas-Rhin. On remarquera qu’à cette occasion, vu les temps qui ont désormais bien changé, la particule se porte à nouveau. Le vieux jacobin Raymond Gaston, lui-même, ne semble plus fermé au retour de l’ancien usage.

gaston_trois_couronnes.jpg

Ci-dessus : vue du nº 4, rue des Trois Couronnes aujourd’hui.

Raymond Gaston meurt à l’âge de soixante-dix-neuf ans, le 9 septembre 1836, 4, rue des Trois Couronnes, Paris, XIe. Denise Ramaget meurt en 1847 à l’âge de soixante-douse ans.

Michel Etienne de Gaston, frère de Raymond Gaston, meurt au Grand Hôtel du village d’Ornbau, près de Triesdorf, en Prusse, à une date qu’on ne sait pas. Après le décès du Marquis de Bièvre, mort en 1789 au Grand Hôtel d’Ornbau, Michel Etienne de Gaston, colonel du Royal Roussillon, qui commandait à cette date la place de Longwy, abandonne son poste le 23 mai 1792, passe au service de la Prusse, et remplit pour le compte des Bourbons plusieurs missions secrètes. « En 1816, il obtient de Louis XVIII une retraite de colonel, avec autorisation de recevoir en Bavière les arrérages de sa pension. Son état de santé, assure-t-il alors, l’empêche de quitter Triesdorf. Il finit sa vie dans l’ancien appartement du duc de Bièvre, au Grand Hôtel d’Ornbau, qu’on appellera ensuite le Gastonshaus [la maison de Gaston]. « Sur la tombe de ce Français qui, volontairement, termina sa vie en Allemagne, on lit : Patria ubi bene : patria vera post mortem omnibus eadem. La patrie est le pays où l’on vit heureux ; après la mort, la véritable patrie est la même pour tous » ((Gabriel, comte de Bièvre. Le marquis de Bièvre, sa vie, ses calembours, ses comédies, 1747-1789. Page 314. Editions Plon-Nourrit. Paris. 1910.)).

Les liquidations opérées par le gouvernement français de 1827 vont à Marie Anne Philippine Mélanie Claire de la Chapelle Croizel, veuve du dépossédé et son unique héritière. ((États détaillés des liquidations faites par la Commission d’indemnité à l’époque de 1827. Première partie. Imprimerie royale. Paris. 1828.))