En 1620, le mariage manqué de Louise de Bertrandy

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Archives départementales de l’Ariège. Fonds Lévis. 46 J 249.

Après le 14 août 1607, date de la mort de Jean VI de Lévis, seigneur de Mirepoix, son époux, Catherine Ursule de Lomagne se retire au château de Terride, qu’elle tient d’Antoine de Lomagne, son père, emmenant avec elle Louise de Bertrandy, sa demoiselle de compagnie. Elle y meurt le 31 janvier 1616. C’est Jean de Lévis, âgé alors de quarante-huit ans, toujours célibataire, encore requis par le commandement de son régiment, qui, nonobstant diverses difficultés successorales, hérite de la seigneurie de Terride, avec obligation d’adjoindre au nom de Lévis celui de Lomagne. Jean de Lévis Lomagne confie à Louise de Bertrandy le soin d’assurer l’intendance ménagère du château. ((Cf. Christine Belcikowski. La trace du serpent. Au château de Mirepoix. L’Harmattan. 2014.))

Le 2 octobre 1620, venu tout exprès de Camon, Maître Fortanier enregistre au château de Terride les pactes du mariage qui s’annonce entre Fabeau Arnaud d’une part, et Louise de Bertrandy d’autre part. On ne sait rien des menées ou entremises qui ont pu déterminer ce projet d’union.

Issu du fonds Lévis conservé aux Archives départementales de l’Ariège, le texte de ces pactes de mariage se déchiffre aujourd’hui très difficilement. Je n’en livre ci-dessous qu’une transcription partielle, suffisante toutefois pour en éclairer la teneur globale.

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« Le sieur Fabeau (Fabien ?) Arnaud a promis et par ce … promet de prendre pour femme et sa légitime épouse ladite demoiselle de Bertrand quand il … Sainte Marie église catholique apostolique de Limoux … »

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« Les pro actants sont la demoiselle de Bertrand, proactant par la damoiselle et veuve de M. Charlin (Charlier ? Charlon ?), laboureur marchand de la ville de Limoux, et damoiselle Marguerite de Bertrand … du Sieur Char…, [qui] promet de prendre pour mari et légitime époux le sieur Arnaud, et, pour le support des charges duquel mariage, ladite de Bertrand ayant résolu et promis de donner en dot à son futur époux la somme de cent… »

[NB : Il manque ici à l’acte une ou plusieurs pages.]

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« Aujourd’hui du dixième d’octobre mille six cent vingt, ce matin, dans le château sur la ville de Mirepoix…
M. Fabeau (Fabien ?) Arnaud bachelier ès droits, natif du lieu de Villes ((Villes : aujourd’hui Villes-sur-Auzon.)) au comté de Venise ((Comté de Venise : comtat venaissin, i.e. Vaucluse.)), habitant à présent de la ville de Narbonne d’une part, et demoiselle Luize de Bertrand, fille légitime et naturelle de feu M. Barthélémy Bertrand et de demoiselle Guillemette de George… »

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« Jehan Fortanier, notaire de Camon, et Jehan …, notaire de la ville de Carcassonne (?)… » ((Archives départementales de l’Ariège. Fonds Lévis. 46 J 249.))

L’acte reproduit ci-dessus fournit quelques renseignements sur l’origine de Louise de Bertrandy, dont les documents réunis dans le fonds Lévis ne disent par ailleurs jamais rien.

1. D’où Louise de Bertrandy était-elle originaire ?

De Limoux, où demeurait sa soeur Marguerite de Bertrandy.

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Archives départementales de l’Ariège. Fonds Lévis. 46 J 249.

Dans un autre document, relatif à un don que Jean de Lévis Lomagne fait à Louise de Bertrandy le 26 août 1621, celle-ci est dite « habitante de la ville de Limoux » ((Archives départementales de l’Ariège. Fonds Lévis. 46 J 249.)).

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Archives départementales de l’Aude. Limoux. Paroisse Saint Martin. Document 100NUM/AC206/GG6 (1588-1590). Vue 21. Acte de naissance probable de Marguerite de Bertrand.

A noter que Marguerite de Bertrandy mourra le 9 mai 1639, au château de Mirepoix, lors d’une visite à sa soeur Louise.

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Archives départementales de l’Ariège. Mirepoix. Sépultures. Document 1NUM5/5MI662 (1625-1639). Vue 120.

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Archives départementales de l’Ariège. Archives des notaires. Antonin Dumas. 5E2766. Folio 172.

On sait par le testament de Louise, daté du 21 mai 1658, que Marguerite de Bertrandy a été ensevelie « dans le couvent Saint François de Mirepoix » ((On se souvient aujourd’hui du couvent Saint François de Mirepoix sous le nom de couvent des Cordeliers. Le cimetière de ce couvent, situé sur la rive droite de l’Hers, au pied de l’ancien château de Mirepoix, dit à partir du XVIIe siècle château de Terride, abritait la plupart des tombes des Lévis.)). On se prend à rêver que Louise de Bertrandy l’ait été aussi, « proche le tombeau de demoiselle sa soeur », comme elle le souhaitait. Mais le scandale des longues années de concubinage de Louise de Bertrandy avec Jean de Lévis Lomagne l’eût-il permis ? Louise, à l’heure de sa mort, en a douté, puisqu’après avoir réclamé d’être ensevelie « proche le tombeau « de sa soeur, elle ajoute, non sans résignation, « ou à tout autre endroit que bon semblera à ses héritiers bas-nommés ». On ignore à ce jour où elle a été enterrée. L’acte de sépulture manque.

2. De qui Louise de Bertrandy était-elle fille ?

A la différence de ceux de Fabeau Arnaud, les parents de Louise de Bertrandy se trouvent nommés dans l’acte reproduit ci-dessus. Il s’agit de feu M. Barthélémy Bertrand et de [feue] damoiselle Guillemette de George.

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Archives départementales de l’Aude. Limoux. Paroisse Saint Martin. Document 100NUM/AC206/GG14 (1613-1617). 7 février 1617. Acte de sépulture de Guillemette [de George], veuve de Barthélémy Bertrand. Le « Juliano » qu’on voit sur l’acte constitue une transcription approximative du Guglielmus qui a donné Guillaume, Guilhem, Guillemette.

Morte à Limoux le 7 février 1617, Guillemette de George était selon toutes probabilités petite-fille, ou petite-nièce, de Louis de George, seigneur de Sibra près de Léran, dont le nom et le statut se trouvent mentionnés dans un document notarié daté de 1597 ((Cf. Christine Belcikowski. Publications : Jean Louis Gaston de Saint-George, du château de Sibra au château de Cazaux.)).

On ne sait si Barthélémy Bertrand entretient quelque lien de parenté avec l’illustre famille des Bertrand de Toulouse, tous gens de robe ((Cf. Jean Bertrandi, né circa 1470 à Toulouse, mort en 1560 à Venise, a été l’un des grands premiers présidents du parlement de Toulouse. Capitoul en 1519, protége par Montmorency, il devient conseiller au grand conseil, puis président du parlement de 1536 à 1538. Nommé en 1538 troisième président du parlement de Paris, puis en 1550 premier président, il est nommé garde des sceaux en 1551 et le reste jusqu’à la fin du règne d’Henri II. Entré dans la prêtrise apres la mort de son épouse Jeanne de Barras, il est nommé évêque du Comminges, puis archevêque de Sens, puis cardinal en 1557. Il meurt à Venise en 1560, âgé de quatre-vingt-dix ans.
Nicolas Bertrandi, frère de Jean Bertrandi, est président de la Chambre toulousaine en 1548. S’agit-il du même Nicolas Bertrandi qui a publié en 1512 De Gestis Tholosanorum, ou Les gestes des Tholosains et d’autres nations de l’environ ?
Guillaume Bertrandi, fils de Jean Bertrandi, a été conseiller au grand Conseil et maître des requêtes. Il fait partie des victimes de la Saint Barthélémy.)). S’agit-il du même Barthélémy Bertrand, « licencié avocat en la cour », qui, d’après les Annales de la Ville de Toulouse, était « capitoul en 1555 » ((M. G. de La Faille. Annales de la Ville de Toulouse. Seconde partie. Imprimerie de G.L. Colomyès. Toulouse. 1701.)) ? S’agit-il d’un frère ou d’un cousin de Bernard Bertrand, qui a été consul de Limoux en 1584 ((L.-H. Fonds-Lamothe. Notices historiques sur la ville de Limoux. Edition J. Boute. Limoux. 1838.)) ? Impossible de trancher, faute de documents plus explicites. Le fait qu’en 1620 Louise de Bertrandy projette d’épouser, en la personne de Fabeau Arnaud, un « bachelier ès droits », conforte l’hypothèse que Barthélémy Bertrandy, son père, avait pu être homme de loi déjà. La présence de la Veuve Charlin comme practante des pactes de ce mariage et caution financière des engagements pris alors par Louise de Bertrandy, indique que Barthélémy Bertrandy a su, de son vivant, nouer alliance avec le monde des marchands. On supposera en tout cas que Barthélémy Bertrandy jouissait d’une honorabilité suffisante pour prétendre, en la personne de Guillemette de George, à la main d’une fille noble, issue d’une famille protégée par la maison de Lévis ; et pour prétendre plus tard encore, en la personne de Louise de Bertrandy, placer l’une de ses filles auprès de Dame Catherine Ursule de Lomagne, épouse de Jean VI, seigneur de Mirepoix. L’histoire a tourné ensuite autrement qu’il l’eût peut-être souhaité. Le 2 octobre 1620, ce sont trois femmes seules, filles ou veuve, qui entreprennent de régler les détails d’un mariage censé assurer à l’une d’entre elles une issue honnête – et l’on suppose, confortable – à la situation délicate dans laquelle celle-ci s’est trouvée plongée depuis la mort de Catherine Ursule de Lomagne.

3. Qui Fabeau Arnaud était-il ?

Les registres paroissiaux de Villes-sur-Auzon témoignent de la vitalité de nombreuses lignées Arnaud depuis le XIVe siècle. Je n’y ai pas malheureusement pas trouvé l’acte de naissance de Fabeau Arnaud. L’homme reste à ce jour un parfait inconnu, et il passe, semble-t-il, comme une étoile filante dans la vie de Louise de Bertrandy.

Où l’on voit que l’histoire a tourné autrement

Le mariage de Fabeau Arnaud et de Louise de Bertrandy, en effet, ne sera pas célébré. Avant août 1621, à une date qu’on ignore, puisque l’acte manque, Louise de Bertrandy met au monde Agnès de Bertrandy, fille naturelle de Jean de Lévis Lomagne.

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Archives départementales de l’Ariège. Fonds Lévis. 46 J 249.

Le 5 août 1621, Jean de Lévis Lomagne rédige son premier testament, testament dans lequel il prévoit de partager sa fortune entre diverses confréries, couvents, hôpitaux, et réserve la cinquième partie de cette dernière à « Agnès, ma fille naturelle, sans que sur la dite cinquième partie, on puisse prendre rien… »

La grossesse de Louise de Bertrandy et la naissance de la petite Agnès de Bertrandy sont probablement cause de ce que le mariage près de s’accomplir en octobre 1620 entre Fabeau Arnaud et la compagne secrète de Jean de Lévis Lomagne n’a finalement pas été célébré. Ainsi va le monde. Pour la suite, cf. Christine Belcikowski. La trace du serpent. Au château de Mirepoix et Enquête sur la descendance de Jean de Lomagne et de Louise de Bertrandy.

6 réponses sur “En 1620, le mariage manqué de Louise de Bertrandy”

  1. dernier paragraphe du texte, 1620 et non 1820 : faute de frappe !
    un grand merci pour cette belle enquête !

  2. D’après l’acte reçu chez Me Dupred, notaire de Mirepoix, le 15 octobre 1606 (folio 130), Guilhemette de George, soeur de noble Louis de George, sieur de Sibra, était veuve du « capitaine Barthélémy Bertrand de la ville de Limoux ». Le document rapporte le différend qui opposait frère et sœur concernant l’augmentation de dot consentie par Philippe de George en faveur de Guilhemette dans son dernier testament reçu par le notaire de Laroque d’Olmes le 20 janvier 1583.

    1. Merci de ce partage, très intéressant.
      Je retiens que Guilhemette de George était sœur de Louis de George. Voilà qui éclaire d’un jour bienvenu la complexité de la généalogie des George.
      Je retiens aussi que Barthélémy Bertrand était capitaine. Je me faisais l’idée qu’il était marchand. Voilà qui change.
      Merci encore.

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