A propos de la forêt de Bélène

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En juin 1842 le journal L’Union primaire des académies du midi de la France publie un reportage signé J.S. qui évoque ainsi la forêt de Bélène :

« Portes, le 3 octobre 1841… Me voici depuis quelques jours dans le village de Portes, situé sur un vallon délicieux entouré de tous côtés de collines ; un seul côté permet de se projeter sur la fertile plaine arrosée par le grand Hers et sur la chaine des Pyrénées.

Au Nord se développe une forêt antique de chênes noirs dont l’exploitation sert à la fabrication du fameux fer de Manses, renommé non seulement dans l’Ariège, mais également dans tous les départements du Midi… »

La forêt de Bélène, d’une superficie de 600 hectares, fait partie d’un massif forestier de 800 hectares environ si l’on y ajoute les parcelles boisées des propriétaires riverains ; il n’est pas exclu que son nom soit un dérivé du dieu celtique Bélènos, le soleil de la mythologie celte. ((Cf. La dormeuse blogue 2 : Bélène, bélène…))

Située sur les communes de Lapenne, 380 hectares, Manses, 160 hectares, et Mirepoix, 60 hectares, cette forêt couvre les coteaux d’une petite vallée orientée Nord-Sud, longue de 3 kilomètres environ, où prend naissance le ruisseau du Pesquié, affluent du ruisseau de Manses.

Son peuplement, fixé entre 316 et 407 mètres d’altitude, était originellement composés de chênes, et de hêtres en versant Nord ; aujourd’hui elle produit également des résineux introduits au cours du siècle dernier.

D’un accès facile, peu éloignée des villages environnants, elle a toujours été l’objet d’une intense activité, à commencer par celle de ces hommes qui, sous ses frondaisons, ont élevé un tumulus de 25.000 mètres cubes environ, dont on peut voir les restes aujourd’hui encore.

Elle change brutalement de propriétaire le 22 septembre 1209, quand les troupes de Simon de Montfort, qui guerroyait contre les seigneurs dont les biens étaient mis à sac pour avoir protégé les Cathares, s’emparent de Mirepoix et Pamiers.

Dès le mois de septembre 1209, à peine sa conquête assurée, Simon de Montfort dépossède le comte de Foix de sa co-seigneurie au profit de l’un de ses lieutenants, un certain Guy de Lévis. Tous les seigneurs de la région de Mirepoix se voient dès lors privés de leurs terres et déclarés faydits. Le seigneur de Lapenne est du nombre ; il perd sa baronnie, et la forêt de Bélène, qui en faisait partie.

La baronnie de Lapenne restera dans la famille de Lévis jusqu’en 1708, soit pratiquement pendant 500 ans hormis une interruption de 1223 à 1226, durant laquelle le comte Raymond Roger de Foix reprend Mirepoix et réintégre les seigneurs faydits dans leurs possessions. Mais il s’agit là d’un épisode de courte durée, puisque le maréchal de Lévis dès 1226 reprend Mirepoix.

De tous temps, les forêts ont constitué pour les hommes une ressource précieuse, car ils pouvaient s’y procurer le bois d’oeuvre nécessaire à leur habitat, le bois pour se chauffer, et de quoi faire pâturer leurs animaux. Cette pratique, qualifiée de « droit d’usage », était encouragée par les seigneurs qui voyaient là un moyen de fixer les familles nomades sur leur terre.

Initialement anarchique et désordonnée, cette pratique ne laissait pas néanmoins de conduire à des abus que le baron de Lapenne, Guy de Lévis, va réglementer. Le 23 décembre 1494, il rédige un acte de concession du droit d’usage qui en précise les formes. Cet acte a disparu, mais il se trouve transcrit, interprété en latin dans un arrêt de la cour d’appel de Toulouse et traduit de la façon suivante :

« Par son authentique libéralité, il [Guy de Lévis] donne, transmet et accorde [aux habitants de la seigneurie de Lapenne] la pleine permission, la liberté et le droit, pour bâtir, fabriquer, construire, et édifier leurs dites maisons, de fendre, œuvrer au bois de Bélène et d’y prélever et emporter avec eux, et aussi évidemment de prendre et d’emporter les bois morts de la dite forêt pour leur chauffage.

De même, il donne et accorde aux mêmes habitants la permission, le droit et la liberté d’y mettre n’importe quels animaux leur appartenant en propre de n’importe quelle race, gros ou petits, cependant sans dommage, et aussi évidemment leurs propres cochons à l’époque des glands dans le but de faire paître et manger les glands, excepté hors limite et hors époque.

Et le dit seigneur de Lapenne donne aussi et concède aux dits habitants de Lapenne la pleine permission et la possibilité d’y mettre pour leurs bergers, des troupeaux d’animaux porteurs de laine jusqu’au nombre de vingt-cinq têtes, pour leurs vachers, une seule vache avec ses petits, pour les porchers une truie et ses petits. Et de n’accorder ni concéder pour les temps futurs, nulle autre autorisation de quelque autre nature en plus de ce qui a été énoncé précédemment. »

Quelques années plus tard, au début des années 1500, Guillaume de Lévis, fils de Guy de Lévis, concède aux frères François et Jean de Robert, gentilshommes verriers, le droit de s’installer en forêt de Bélène. Cette installation va générer une forte activité forestière, car les verreries d’antan sont de grosses dévoreuses de bois. Un four de verrier ne consomme pas moins de 5 piles de bois (20 stères) par jour, ce qui nécessite un nombre important de bûcherons et de muletiers. Ces gentilshommes verriers resteront plus d’un siècle en forêt de Bélène, avant de partir dans la région de Gaja-la-Selve. Les restes de l’un de leurs fours ont été retrouvés récemment.

Les droits d’usage dans les forêts ne manquent pas au fil du de temps de conduire à des abus regrettables. Colbert, ministre de Louis XIV s’en offusque, constatant qu’un grand nombre de forêts du royaume ne sont plus en mesure de produire les bois d’oeuvre nécessaires aux besoins du pays, à cause de pâturages désordonnés. Il prend alors des mesures radicales pour remédier à cette situation.

Le 30 octobre 1660 à Nevers, il mande à tous les officiers des eaux et forêts de faire garder les dits bois et forêts, et d’empêcher quiconque, de quelque qualité et condition que ce soit, d’y prélever du bois, ni même d’y mener paître les troupeaux. Afin que nul ne l’ignore, ce mandement doit être lu au prône de chaque paroisse, publié les jours des foires et marchés, et affiché dans tous les lieux publics.

En même temps sont créées les Maîtrises Royales et la Réformation des Eaux et Forêts. Les propriétaires se trouvent désormais contraints de faire arpenter, borner et garder leurs forêts, d’en faire établir les plans ainsi qu’un parcellaire des coupes, lesquelles devront exécutées à espaces réguliers, et sur lesquelles un certain nombre de baliveaux, choisis parmi les plus beaux sujets, devront être réservés.

Conformément à ces prescriptions, la forêt de Bélène se trouve divisée en 12 coupes de 50 hectares environ, coupes matérialisées par de grosses bornes en pierre de taille que l’on retrouve encore aujourd’hui. A part les coupes 11 et 12, séparées par la grand carrièro (le grand chemin), toutes les autres coupes aboutissent au chemin principal qui divise pratiquement en deux parties la forêt en longeant le ruisseau du Pesquié.

La mise en application de ces prescriptions génère inévitablement de nombreux conflits entre usagers et propriétaires. C’est ainsi que le 15 avril 1669, la maîtrise de Castelnaudary entreprend d’instruire le différent qui oppose la Dame de Saint Chamont, comtesse de Bioule (veuve de Louis de Cardailhac, baron de Lapenne), alors propriétaire de la forêt de Bélène, aux consuls de Lapenne, Saint Félix de Tournegat, Manses et Villautou, qui entendent voir rétablir les droits d’usages dont ils se trouvent présentement privés.

S’en suit un procès qui se termine en appel, le 2 mai 1670, sur un arrêt de la Réformation des Eaux et Forêts de Montauban, lequel maintient dans ses droits la Dame de Saint Chamond, comtesse de Bioule. Les consuls de Saint-Félix de Tournegat, Manses et Villautou, n’ayant pu produire aucun titre, se trouvent déboutés et condamnés aux dépens.

Compte tenu de l’acte de concession délivré par Guy de Lévis le 23 décembre 1494, les habitants de Lapenne se trouvent maintenus dans leurs droit concernant seulement les bois nécessaires à leurs constructions. L’arrêt précise que lesdits bois devront être délivrés par les officiers de la Dame de Saint-Chamond, lesquels seront tenus de le faire gratuitement.

Le 9 juillet 1694, Marie Izabeau de Saint Chamond, comtesse de Bioule, cède à Guy Henri de Bourbon, marquis de Malauze, l’usufruit qu’elle détenait sur la baronnie de Lapenne. Le 10 mai 1708, la famille de Malauze achète aux héritiers Levis substitués la nue-propriété de l’ensemble de la baronnie de Lapenne.

En 1729, la famille de Malauze sollicite et obtient de Louis XV l’autorisation de construire une forge pour y consommer les bois de la forêt de Bélène, mais elle ne peut réaliser son projet. Le 7 avril 1745, la comtesse de Poitiers, fille du marquis de Malauze, cède la baronnie de Lapenne et ses dépendances à Auguste de Pardailhan, président au Parlement de Toulouse, qui deviendra marquis de Portes en 1747.

Le marquis de Portes (1701-1759) reprend dès lors le projet du marquis de Malauze et il fait construire la forge, ce qui va créer à nouveau une intense activité en forêt de Bélène, car le fourneau de la forge consomme journellement 2 tonnes de charbon de bois, l’équivalent de 6 piles de bois (24 stères) carbonisées en meule sur place, débardées à dos de mulet – l’usage de charrettes étant prohibé en forêt. La forge sera active de 1754 jusqu’aux environs de 1860.

En 1773, la surface de la forêt de Bélène se trouve agrandie de 25 hectares environ. Le 12 mars 1773 en effet, Antoine François Auguste de Portes (1734-1790), deuxième marquis de Portes, procède à un échange avec le marquis de Mirepoix. Il cède à ce dernier 56 arpents de terre en bois qu’il possède dans la forêt de Bellegarde ; le marquis de Mirepoix lui cède en contrepartie 56 arpents de terre en bois qu’il possède au consulat des Bessous, au lieu dit « Las Barthes de Saint Pierre », confrontant Paul Scié, Paul Fabry, Guillaume Vergnes, Jean Peyrat et Dominique Cassignol. Afin de fixer d’une manière immuable les limites des terres échangées, le marquis de Mirepoix fait placer dans la forêt sept bornes gravées à ses armes ; le marquis de Portes en a fait placer six, également gravées à ses armes.

Le 21 avril 1821, la forêt de Bélène constitue l’enjeu d’un second procès concernant derechef les droits d’usage. Jean Joseph François Thomas de Portes (1761- 1832), troisième marquis de Portes, se trouve assigné devant le tribunal d’instance de Pamiers par les maires des communes de Lapenne, Saint-Félix de Tournegat, Manses et Villautou, aux fins de réintégration des droits d’usage dont lesdites communes ont joui pendant des siècles, lesquels droits sont de prendre du bois et de faire paître les troupeaux en forêt de Bélène.

Le 14 juin 1832, la cour d’appel de Toulouse se prononce en faveur des héritiers du marquis de Portes. Les juges d’appel, qui ont repris les attendus et conclusions de l’antique procès, déboutent les maires des quatre communes et les condamnent aux dépens, y compris le maire de Lapenne, qui perd la faculté de prélever des bois de construction en forêt de Bélène, en vertu de l’abolition des privilèges du 4 août 1789.

On reparle de la forêt Bélène un peu avant la guerre de 1914, lorsque le comte Henri de Portes (1865-1929) entreprend de fouiller l’antique tumulus mentionné plus haut. Il y fait creuser une tranchée à fin d’exploration du coeur de ce dernier. On ne sait ce que ces travaux ont donné, ni même s’ils ont été conduits à leur terme. Il n’y avait, au dire des experts, rien à découvrir, car il ne s’agit pas là d’un tumulus proprement dit, mais d’une motte féodale. Cette tranchée, qui a été abandonnée sans être rebouchée, demeure visible aujourd’hui encore.

En 1938, la forêt de Bélène change à nouveau de propriétaire. La famille de Portes quitte la région et vend l’ensemble de son domaine (environ 1500 hectares) à un armateur de La Rochelle, Christian Vieljeux.

Restée pratiquement inexploitée depuis la fermeture de la forge (1860), la forêt de Bélène dispose en 1938 d’un potentiel énorme. Aux dires des anciens, lorsque l’on pénétrait alors sous ses frondaisons, on ne pouvait apercevoir le ciel tellement le peuplement était dense (une légère exagération peut-être !).

Mis en exploitation pendant la guerre de 1940-44, ce peuplement suscite derechef une forte activité. Sur 600 hectares, les taillis sont coupés et carbonisés. Ces travaux durent plusieurs années et nécessitent d’importantes équipes de bûcherons, charbonniers, débardeurs, etc., parmi lesquels quelques clandestins, fuyant le S.T.O., à qui Albert Vidal, maire de Manses, également chef de chantier, procure papiers et carte d’alimentation, ce qui lui vaudra d’être justiciable.

Le 11 avril 1944, le même Albert Vidal se trouve assigné par maître Fouriane, huissier à Mirepoix, à se présenter en personne le 28 avril suivant à 14 heures au tribunal correctionnel de Pamiers pour y répondre et se défendre de falsification de carte d’identité d’étrangers.

Le 26 avril, à 7 heures du soir, sa maison fouillée, il est arrêté, traité de communiste, emmené et exécuté peu de temps après par des agents de la milice ou de la gestapo. Son corps sera retrouvé, deux jours plus tard, dans les breils de Vals. Il venait d’avoir 50 ans.

Après l’exploitation des taillis suit bientôt la vente de la futaie sur les coupes 1-2-3-4-et 5. L’acquéreur, une entreprise de Nîmes, fait installer sur une prairie à la Gardelle une scierie mécanique, actionnée par une locomobile, destinée à transformer en bois d’oeuvre les grumes provenant de la forêt.

Bientôt défaillant, cet exploitant doit abandonner son matériel. Celui-ci se trouve réinstallé par des prisonniers de guerre allemands dans l’ancien parc du château de Portes qui dispose d’une force motrice électrique. On continue là de scier les grumes laissées en déshérence par l’ancien exploitant.

Restait alors à exploiter la futaie des coupes 6-7-8-9-10-11-et 12 (24.000 mètres cubes). Le marché se trouve conclu en 1950 avec la Société Forestière Française du Midi. La vente se fait à l’unité de produit, avec mise à disposition de la scierie, et celle de la maison de Bordeneuve aussi, vacante à cette époque, pour le logement du personnel.

Bordeneuve se trouve alors pratiquement transformée en caserne, avec chambrées, cantine, cuisine, etc. 80 hommes viennent s’y installer (aucune femme). Il s’agit en fait d’ex-guérilleros issus des maquis, qui se sont regroupés à la Libération en vue d’une expédition en Espagne à fin de reconsquista.

L’état-major de ces hommes ayant réussi à rassembler environ 12 000 hommes, cette expédition a eu lieu le 19 octobre 1944. A 6 heures du matin, sous les ordres du colonel Vincent Lopez Tovar, une division forte de 4 000 hommes franchit la frontière au Val d’Aran en direction de Viala. Après quelques succès, cette division se trouve bloquée à 8 kilomètres de Viala, et c’est l’échec total. Malgré l’ordre de repli donné le 27 octobre, la division est complètement anéantie.

Désormais sans espoir, les combattants restés dispersés en France se retrouvent ensuite en nombre dans des exploitations forestières. Un fait insolite se produit un jour de l’hiver 1951. A 6 heures du matin, une compagnie de gardes mobiles encercle Bordeneuve ; les hommes sont consignés dans les chambrées qui, à la recherche d’éventuels dépôts d’armes, sont fouillées de fond en comble ainsi que les bâtiments et leurs abords. Les hommes demeureront ainsi consignés pendant trois jours. On apprend par la suite que, parmi ces derniers, les gradés ont été arrêtés et exilés en Corse (sous toutes réserves).

En 1956, la forêt de Bélène change une cinquième fois de propriétaire. Elle devient la propriété des papeteries de Genval (Belgique), alors en recherche d’investissement, fondées par Auguste Lannoye en 1904. Grosse consommatrice de bois résineux, cette entreprise envisage d’enrésiner la forêt de Bélène, ce qui sera fait en partie.

La futaie maintenue en réserve sur les coupes est abattue et transformée en bois d’oeuvre via une scierie installée sur coupe par une entreprise de La Bastide de Serou (en l’occurrence les frères Pédoya). Plus de la moitié de la surface sera ainsi déboisée et replantée en résineux.

Les papeteries de Genval toutefois ne conserveront pas cette forêt. En 1977, celle-ci change pour la sixième fois de propriétaire. Elle se trouve rachetée par le Crédit Lyonnais et incorporée à un groupement forestier dénommé « Groupement forestier Sainte Marguerite la Bélène ». La gestion de ce groupement relève depuis 2007 d’une succursale de la Caisse des dépôts et consignations.

La forêt de Bélène n’a pas connu de grands bouleversements depuis lors. Elle poursuit son rythme de croisière. Régulièrement, les bois bons à être exploités sont évalués, groupés en lots et mis sur le marché. Jalouse de sa longue histoire, la forêt de Bélène garde néanmoins quelques secrets : ainsi, celui du tumulus, dont on ne sait rien ou presque ; celui de l’étang du Pesquié, dont on sait tout juste aujourd’hui qu’il a existé, par la digue qui subsiste, et qui, après assèchement, est devenu la prairie du Pesquié, dont le nom s’est maintenu bien que ladite prairie ait disparu, elle aussi.

L’on pourrait également parler du four à chaux, signalé par des actes, à proximité de la Gardelle, et dont on n’a pas à ce jour retrouvé de vestige. La forêt garde également le secret des restes des deux jeunes miliciens qu’elle recèle : l’un de Saint-Amadou, l’autre de Laroque d’Olmes, dont le jeune Bornola, exécuté par les maquisards en fin de soirée d’été 1944 ; il avait 18 ans ; l’autre, une vingtaine d’années.

Le mystère demeure concernant un troisième personnage encore. A cette époque de restrictions, le four des boulangers était chauffé au bois, et certains fermiers payaient le boulanger en lui fournissant des fagots. Un fermier de Villautou décide un jour d’aller faire des fagots en forêt de Bélène dont les taillis viennent tout juste d’être coupés.

Donc, de bon matin, le père et son fils, se mettent en demeure de fagoter les ramilles laissées par les bûcherons. Tout se déroule normalement lorsque Rémi, le fils se trouve stupéfait d’apercevoir sous les branchages deux pointes de soulier qui dépassent du sol. Il appelle son père : Papa, vient voir ! Ils remarquent que la terre a été fraîchement remuée. A n’en pas douter, quelqu’un se trouvait enterré là, très superficiellement. Le père dit alors : « Petit, partons d’ici, nous risquons d’avoir des ennuis. » Ils chargent sur la charrette les fagots qu’ils ont confectionnés et s’en vont en un autre endroit. Voilà qui m’a été raconté par le fils qui a vécu l’aventure, en l’occurrence Rémi Combes, qui demeurait à Coutens.

Quoi d’autre en forêt de Bélène qui ait retenu la mémoire et nous soit parvenu ? Bien sûr, il y a le Casteloup, nom donné par les anciens au tumulus, où autrefois, les filles en âge d’être mariées se faisaient conduire pour y invoquer les incantados (les fées) et s’en revenaient toutes joyeuses, assurées de trouver un fiancé dans l’année, (dixit Louisette Bergé, qui habitait Teilhet).

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Il y aussi le pas du loup, bien connu des chasseurs. Un tailleur qui avait passé sa journée à confectionner des habits à la ferme voisine (probablement Pécheyric) s’en revenait tranquillement à travers bois. Il commençait de faire sombre lorsqu’il s’aperçut qu’il était suivi par un loup, dont il réussit à se débarrasser en faisant claquer bruyamment ses grands ciseaux (d’après Odile Laurent, à Rouzeau).

Il y a aussi le pont de la terre, conséquence d’un glissement de terrain qui a comblé un ravin étroit au fond duquel coule un petit ruisseau. Les eaux captives en amont ont réussi à se frayer un passage sous l’éboulis et s’écoulent normalement en aval, ce qui permet de traverser le ravin sans difficulté.

Il y a encore le cami del carbou (le chemin du charbon) qui date certainement de l’époque où la forge était en activité, chemin que les muletiers ont tracé et utilisé pour descendre le charbon des parcelles au-dessus de la Bélène (Maître Bertrand et Maîtrepey) (d’après Michel Massat à la Borde Bas).

Et aussi la gourgo dels singlas (la mare aux sangliers), régulièrement citée dans des actes. Il s’agit d’un replat marécageux sur fond argileux de quelques dizaines d’ares, alimenté par des écoulements de la source de Rigailhou, où les sangliers venaient se vautrer dans leurs bauges (indication de Claude Andrieu à Rigail).

Et les traucs dels incantados,(les trous des fées). Il s’agit là d’un phénomène naturel qui se présente sous une forme d’entonnoir, de plusieurs mètres de diamètre, genre d’avaloir qui communique vraisemblablement avec quelques ruisseaux ou cavité souterraine – origine de cet avaloir – et par où s’évacue l’eau de surface. Il en existe plusieurs en forêt de Bélène ; le plus important se trouve dans la coupe de Labellarète (d’aprés Michel Massat).

La « cabane grande » a disparu, mais son nom, qu’on trouve cité dans certains actes, est resté. Jadis bâtie en queue de l’étang du Pesquié, son emplacement sert encore de point de ralliement. Il est bien évident que ces noms et lieux dits, couramment usités autrefois, ne sont plus connus aujourd’hui que de quelques chasseurs.

Récemment, le fond d’un creuset de verrier, encore garni de verre fondu, a été découvert à quelques encablures de cette cabane sous la souche d’un arbre déraciné par la tempête de 1999. Plus récemment encore, ce sont les restes d’un four de verrier qui ont été découverts en périphérie de la forêt de Bélène, à proximité de Chambaran.

En limite de la coupe 6 de la forêt de Bélène se trouve le lac de Bel-Air, construit en 1972 à l’initiative de Michel Durchon. Il est alimenté par une source qui donne naissance au ruisseau du Pesquié, principal affluent du ruisseau de Manses.

La superficie de ce lac, 2,26 hectares, empiète légèrement sur la coupe 6, coupe sur laquelle se trouve située la digue constituée de terre compactée, longue d’une centaine de mètres, large en son sommet de 5 à 6 mètres et haute de 4 à 5 mètres au point culminant, soit une réserve de 6o.000 mètres cubes environ.

Destiné à irriguer les terres de M. Durchon, ce lac a également été prévu pour servir de réserve d’eau en cas d’incendie. Il se trouve donc grevé de la servitude suivante : l’étiage de 3,50 mètres au niveau de la digue doit être respecté et maintenu de façon constante.

On accède à ce lac à partir de la propriété de Mr Durchon, mais également par le chemin d’accès à la forêt. Dans les deux cas, il convient d’avoir l’autorisation des propriètaires pour y pêcher la carpe ou le brochet.

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3 réponses sur “A propos de la forêt de Bélène”

  1. Très belle evocation faisant voir que les forêts sont un moulage (?) des actions/histoire humaines. Quoi faire quand ils sont tous disparus, aurait ont un autre genre de moulage, d’image négative?

    1. Bonjour Matt,

      Je suis heureuse du commentaire que tu formules à propos de l’article de mon ami Emile Kapfer. Je viens de commander l’ouvrage d’Eduardo Kohn, dont on parle ces temps-ci, intitulé Comment pensent les forêts : http://www.zones-sensibles.org/eduardo-kohn-que-pensent-les-forets/. J’attends beaucoup de cette lecture. Il y a plusieurs années de cela, j’avais mentionné le « Penser comme une montagne » d’Aldo Leopold ‘1887-1948), le pionnier de l’écologie philosophique américaine. Je m’étais attirée une flopée de commentaires moqueurs, du genre « Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? » La formule a pourtant du sens. Je tente d’en mieux saisir le fondement.

  2. Remarquable article. Un grand merci à l’ auteur et à l’ hébergeur de fournir au vacancier de passage ( à Manses) et randonneur que je suis un « supplément d’ âme » au séjour. Quand l’ Hist-Géo locale se croise de façon claire et vivante avec l’ Histoire, un régal !

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