Dans le parc du château du Secourieu

 

Ci-dessus : au bord de la nationale 20, entre Cintegabelle et Auterive, l’entrée du domaine du Secourieu.

Puisque c’était aujourd’hui 2 juin, à l’initiative du ministère de la Culture, Rendez-vous aux jardins, nous nous sommes rendus au château du Secourieu, qui abrite sur le territoire de la commune de Cintegabelle, entre la nationale 20 et l’Ariège, un parc aménagé dans le goût du XVIIIe siècle, classé depuis 1988. Le parc, en ce dimanche d’un printemps qui ressemble cette année à l’automne, était exceptionnellement ouvert au public. Le maître des lieux nous y a reçus et guidés, en toute simplicité et de façon fort courtoise.

 

Je rêvais depuis longtemps de visiter ce domaine du Secourieu où Frédéric Soulié, alors âgé de quinze ans, retrouve en 1815 Marie Henriette Adam, épouse du Maréchal Clauzel, qu’il n’a pas revue depuis 1808, et dont il se souvient qu’elle jouait avec lui du temps où il vivait encore en Ariège. C’était, dit-il de Madame C*** dans Scènes de 1815 1Frédéric Soulié, Scènes de 1815, nouvelle publiée pour la première fois en 1831 dans Le Voleur, recueillie en 1833 dans le recueil intitulé Le Port de Créteil., la grave marraine de vingt-quatre ans à qui le petit polisson volait son rouge pour peindre des soldats sur son cerf-volant 2Cf. La dormeuse blogue : Frédéric Soulié et l’auto-fiction – La Maison n° 3 de la rue de Provence – 1. Mères et marraines ; Quand Frédéric Soulié retourne en Ariège – 1. Je fus appelé par quelques affaires de famille dans le Midi de la France.. Madame C*** habitait le château du S*** avec ses trois enfants. Elle était d’une beauté remarquable. Son accent créole prêtait à son langage une grâce parfaite… 3Ibidem. Le jeune Frédéric Soulié eût aimé alors être dans le parc du Secourieu l’un de ces trois enfants. Cependant qu’en ce mois d’août 1815, il goûte la compagnie de Madame C*** et de ses enfants, les verdets paraissent et, furieux de point trouver ici le Maréchal Clauzel, dont la tête est mise à prix par le nouveau régime, ils tentent de forcer Madame Clauzel à parler. Le jeune Frédéric Soulié, qui parvient à alerter les gendarmes, sauve ainsi Madame Clauzel des outrages auxquels elle se trouve exposée alors en son château du Secourieu.

 

J’ai repensé à la scène de 1815 tout au long de ma visite.

 

L’histoire du château du Secourieu, étymologiquement du « ruisseau sec », demeure avant le XVIIIe siècle mal connue. Elle procède sans doute du réaménagement d’un très ancien corps de ferme, situé au coeur d’un vaste domaine agricole depuis lequel on aperçoit, au loin dans la plaine, le clocher de l’église de Cintegabelle.

 

Ci-dessus : derrière le château, reste de cadran solaire dans la cour de la métairie.

 

Ci-dessus : arbre vénérable dans la cour de la métairie.

 

Ci-dessus : cour de la métairie.

 

Ci-dessus : grange comprise dans le périmètre de la métairie.

 

Ci-dessus : porte cochère donnant accès à la cour de la métairie, sur l’arrière du château.

 

Ci-dessus : vue d’une façade latérale du château, non retouchée aux XIXe et XXe siècles.

 

 

Ci-dessus : vue de l’orangerie.

 

Ci-dessus : vue du pigeonnier à quatre pieds.

C’est la puissante famille de Rességuier, dont Jean de Rességuier, quatrième du nom, président du parlement de Toulouse au XVIIIe siècle, qui, revisitant l’ensemble du bâti ancien, confère sa belle ordonnance au château ainsi qu’à la métairie située en arrière-plan, et qui fait aménager alentour le vaste parc paysager, orné de statues et de fabriques, dédié à la contemplation et aux plaisirs de la fête champêtre, comme on voit sur les toiles de Watteau et de Fragonard.

 

Ci-dessus : Jean Antoine Watteau, Assemblée dans un parc, 1716-1717.

 

 

Ci-dessus : vue du grand bassin à partir duquel rayonnent au pied du château les quatre allées, dédiées aux quatre saisons, qui ouvrent sur les quatre points cardinaux, les quatre grandes vues perspectives. Au bout de chaque allée s’élevait jadis une statue en terre en cuite, correspondant à chacune des saisons désignées. Le centre du bastion était probablement orné d’une statue d’Hercule.

 

Ci-dessus : Jean Antoine Watteau, La perspective, ou Fête dans le parc de Pierre Crozat, 1818.

 

 

Ci-dessus : au bout de l’allée s’élève ici aujourd’hui une colonne dédiée à la mémoire de Jacques Vanière (1664-1739), jésuite précurseur des physiocrates 4Cf. Jacques Vanière, Oeconomie rurale., connu sous le nom de « Virgile français, ami de Jean de Rességuier, auteur en 1730 du Praedium rusticum, ouvrage composé au Secourieu et célébrant la beauté de cette campagne idéale : « Faites choix d’une Maison de campagne qui ne doive ses ornements qu’à sa situation avantageuse, à ses bois champêtres, à ses agréables fontaines, à ses vastes prairies toujours verdoyantes ; et ne préférez pas une terre qui ne donne d’agréments qu’à grands frais, et dont les revenus soient absorbés par le luxe et la dépense…
.

 

 

 

Ci-dessus : reproduction de la statue du printemps, dont l’original a disparu durant la Révolution.

 

 

Ci-dessus : loin du château, aménagée dans le bois derrière lequel coule l’Ariège, construction mal identifiée, correspondant peut-être à une glacière, ou encore à un four.

 

Ci-dessus : derrière les bois, à la lisière du domaine, l’Ariège en crue, telle que nous avons pu la voir le 2 juin 2013. Rien à voir avec le « ruisseau sec » qui a donné son nom au domaine du Secourieu.

 

Ci-dessus : à proximité de la rive de l’Ariège, ruines d’une petite maison de chasse, jadis attenante au moulin, aujourd’hui disparu.

 

 

Ci-dessus : fontaine alimentée par les eaux de ruissellement collectées sur l’ensemble de la propriété. Le portique, de style composite, inclut des colonnes de marbre, issues d’un remploi non identifié. Il porte la date de 1714.

 

 

 

 

Ci-dessus : à l’issue de notre promenade, nous repassons auprès du grand bassin.

 

Puis, remontant la grande allée qui conduit au château, nous longeons la pièce d’eau qui servait jadis de frayère à poissons, partant, à l’approvisionnement de la table des maîtres. Alimentée par des sources, dont les arrivées se situent à la base des murs de brique qui encadrent le fond nu, celle-ci demeure toujours en eau et ne souffre donc pas des chaleurs de l’été. Les poissons suffisent à son assainissement.

 

 

Outre l’agrément qu’ils procurent au promeneur, les nombreux aménagements relatifs aux sources et aux eaux de ruissellement témoignent ici d’une gestion savante de l’ensemble de ces dernières, proche de celle qu’on retrouve près de Lagarde au château de Sibra, et, sur le mode exemplaire, près de Verfeuil au château de Bonrepos. Pierre Pol Riquet, maître de Bonrepos, créateur du canal du midi, cristallise d’évidence, en matière d’économie des eaux, l’expérience d’une époque toute entière.

 

Ci-dessus : sous les arbres, au bord de la grande allée, stèle non documentée. Je lui trouve, sans certitude, quelque ressemblance avec les figures symboliques qui ornent la fontaine de la Nation au bout de l’allée des Souprs à Mirepoix, ou encore avec celles qui s’élèvent au-dessus du mausolée du maréchal Clauzel, dans le vieux cimetière de la commune.

Bertrand Clauzel rachète le domaine du Secourieu en 1804, l’année de son mariage avec Marie Henriette Adam 5Cf. La dormeuse blogue 3 : Frédéric Soulié – Le Magnétiseur – Aux sources d’un roman familial.. Il trouve le parc dévasté, les arbres coupés, les statues disparues, et il entreprend de recréer les belles perspectives du XVIIIe siècle. Durant les missions qui l’éloignent de sa demeure, c’est Madame Clauzel qui veille à la plantation des arbres.

 

Après la mort de Bertrand Clauzel, le domaine connait divers changements de main, et au fil de ces changements, le toit et la façade du château font l’objet de modifications et d’ajouts plus ou moins heureux, tandis que le parc, trop coûteux à entretenir, tourne peu à peu à l’abandon.

 

Le parc du Secourieu aujourd’hui est classé, mais non le château. Il bénéficie en raison de ce classement d’un jardinier employé à l’année. Le travail de restauration a permis de rétablir une bonne partie du plan initial et de reconstruire les murs qui encadrent la pièce d’eau. Il se poursuit bien entendu. La documentation, spécialement quant à la supposée glacière, reste à étoffer. Le parc constitue dans son état actuel un merveilleux exemple de cette élégante -et si savante – simplicité dont le XVIIIe siècle possédait le secret et dont notre siècle a, semble-t-il, presque partout perdu le goût. Mais au diable le déclinisme ! Rendez-vous en 2014 dans le parc du château du Secourieu.

A lire aussi :
La dormeuse blogue 2 : Dans le parc du château de Sibra
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La dormeuse blogue : Frédéric Soulié et l’auto-fiction – La Maison n° 3 de la rue de Provence – 1. Mères et marraines
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