Souvenirs de famille – Pour la petite histoire…

 

Dans l’Annuaire administratif du Département de l’Ariège pour l’an 1852, j’ai retrouvé les noms de deux de mes ascendants.

La rubrique Clergé paroissial, arrondissement de Pamiers, canton de Pamiers, indique que le desservant de l’église d’Arvigna (p. 98) est en 1852 l’abbé Astrié. Cet abbé Astrié, c’est Laurent Astrié, mon arrière-arrière grand-oncle, mort en 1882. Comme on peut le lire sur sa tombe, il a desservi la paroisse d’Arvigna pendant 42 ans.

 

La rubrique Service vicinal, Personnel, Service cantonal (p. 149), fournit la liste des 16 agents voyers cantonaux. Parmi eux figure l’agent Belcikowski. C’est Léopold Belcikowski, mon trisaïeul, officier polonais réfugié en France après l’occupation de la ville libre de Cracovie par les troupes de l’Empire austro-hongrois en 1836 ((Cf. Souvenir de l’émigration polonaise – 1837 – Mirepoix)), entré dans l’administration le 10 janvier 1843.

Coiffé d’un canotier, on le voit ici dans l’exercice de ses fonctions. La photo a été prise lors de l’inauguration du pont de Lapenne.

Né en 1858, Stanislas Belcikowski, fils de Léopold Belcikowski, et ainsi mon arrière-grand-père, a également fait carrière dans l’administration vicinale. Une archive du Conseil général de l’Ariège indique qu’il a débuté à Oust ((http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5505140m/f639.texte.r=belcikowski.langFR)).

Un rapport de l’agent Stanislas Belcikowski a été récemment retrouvé à la mairie de Manses. En réponse à la réclamation d’un anonyme, il porte sur « l’état des chemins vicinaux ordinaires de Vals », et plus spécialement sur l’emploi de la somme de 100 francs, « distraite du rôle des prestations de l’année 1892 pour être affectée au chemin rural du hameau de Lagrange à Vals ».

[…]

 

Mon arrière-grand-père a la lettre et l’esprit pointus. Il laisse entendre qu’il y a ici du clochemerle… L’agent voyer d’arrondissement, dans un commentaire ajouté au bas du rapport, lui donne raison.

A lire aussi :
Souvenir de l’émigration polonaise – 1837 – Mirepoix
De 1834 à 1839, histoire de quelques réfugiés polonais assignés à résidence à Mirepoix

La légende du Bois de la Croix

Poète, philosophe, pionnier des études cathares, René Nelli publiait dans les années 1970 une importante anthologie des Ecrivains anticonformistes du Moyen Age occitan. L’ouvrage comporte deux volumes : 1. La Femme et l’Amour ; 2. Hérétiques et politiques. J’ai relu récemment le volume consacré aux hérétiques et politiques. Je me suis arrêtée sur l’extrait du Roman d’Arles ((Cf. Mario Roques, Sur le Roman d’Arles (partie 2), in Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 88e année, n°2, 1944, pp. 299-309 : « Le Roman d’Arles est le titre donné par des érudits du XVIIIe siècle à une composition provençale du XIVe siècle, qui n’est bien connue que depuis l’édition de Camille Chabaneau, établie et publiée en 1888. Les dernières parties du Roman racontent le long séjour en Arles de l’empereur de Rome, César [Tibère ou Constantin], et les expéditions de Charlemagne et de Louis, son fils, pour reprendre Arles aux envahisseurs sarrasins qui l’occupent avec leur roi Tibaut ».)) qui relate, dans une version reprise des Bogomiles, la légende du Bois de la Croix. Je résume ici les principaux épisodes de cette légende…
 
Avant de mourir, Adam met dans sa bouche trois graines du fruit de l’arbre du Bien et du Mal, qui ont été données à son fils Seth par un ange. Après la mort d’Adam et sa mise en terre, les trois graines donnent naissance à trois arbres. Deux de ces trois arbres peu à peu dépérissent. Le troisième en revanche prospère. Puis les hommes, au fil des générations, perdent le souvenir d’Adam, de sa tombe, et de l’arbre poussé sur cette dernière.

Ci-dessus : Taddeo Gaddi (circa 1300-1366), Histoire de l’Invention de la Vraie Croix, détail de la fresque peinte à Florence dans le réfectoire de l’ancien monastère franciscain, devenu aujourd’hui basilique de Santa Croce.

Seul un chevalier, à qui Dieu en a fait la révélation, reconnaît un jour l’emplacement de la tombe d’Adam et s’agenouille devant l’arbre. Interrogé par le roi, le chevalier prédit que « là doit mourir le Fils de la Divinité, certainement, pour la faute que fit Adam lorsqu’il mangea du fruit de l’arbre que Dieu lui avait défendu ».

Quar aqui deu morir lo fil de la deietat per cert,
Per la falha que fes Adam quant manjet
Del pom de l’aubre que Dieus li avie vedat.
((v. 262-264))

Furieux de cette prédiction, le roi fait abattre l’arbre et mande qu’on le jette au fleuve. Le fleuve emporte l’arbre près de Jérusalem, l’ayga va l’en portar, prop de Jherusalem. Le tronc d’arbre, le fust, s’y arrête, et il sert de pont aux gens qui veulent passer l’eau.

Bien du temps passe encore jusqu’à ce qu’un homme venu de Jérusalem en compagnie de sa fille entreprenne à son tour de passer l’eau. Mais la jeune fille refuse de le suivre sur le tronc de l’arbre. Dieu, dit-elle, ne le veut pas, « parce que sur le bois de cet arbre le Fils de Dieu sera crucifié », quar en aquel fust sera lo Fil de Dieu crucificat ((v. 279)). Furieux, le père se saisit du tronc, va penre aquel fust, et le jette dans un égout à l’intérieur duquel se déversent toutes les eaux de la cité de Jérusalem, en I cros lo va gitar, on s’agotavan totas las aygas de Jherusalem la sieutat. L’arbre reste dans ce trou, et il n’en ressort que le jour où « Dieu est arrêté et condamné à mort ».

 

Ci-dessus, premières vues des nouveaux restes du cloaque antique découverts le 24 janvier 2011 sous Jérusalem.

« Quand ils partirent en quête de quelque chose pour le crucifier, ils passèrent à l’endroit de l’égout, et ils virent le tronc d’arbre qui flottait sur l’eau ». Ils le prennent et l’emportent pour crucifier Jésus. « Et c’est bien sur cet arbre qu’ils vont crucifier et faire mourir » Jesu Crist :

Et sus en aquel fust lo (va) van crusificar
Et a mort lieurar…
((v. 288-289))

Ils passèrent à l’endroit de l’égout, ils virent un tronc d’arbre qui flottait sur l’eau sale, et c’est sur cet arbre que Jésus sera crucifié…

La légende est ici d’une portée confondante !

« Belle leçon d’humilité », observe René Nelli dans une note en bas de page : « le Christ avait été cloué sur un morceau de bois repêché dans un égout, tandis qu’à la cour de Rome, la Croix était devenue un objet précieux, symbole de richesse et de puissance » ((René Nelli, Ecrivains anticonformistes du Moyen Age occitan, II, Hérétiques et politiques,éditions Phebus,1977, p. 163))

 

Ci-dessus : Jérusalem, chapelle du Saint Sépulcre..

Il existe une version éthiopienne de la légende du Bois de la Croix ((Cf. André Caquot, La Reine de Saba et le bois de la Croix selon une tradition éthiopienne, in Annales d’Ethiopie, volume 1, année 1955, pp. 137-147.)). C’est dans cette version le roi Salomon qui a fait couper l’arbre poussé sur la tombe d’Adam à Jérusalem, et qui, après l’avoir destiné à la construction du Temple, l’emploie finalement à celle du pont de Siloé ((Shiloah, ou Siloma, ou Silwan – en français Siloé – : source près de laquelle s’est construite la ville de Jérusalem ; nom du village, puis du quartier éponyme, relié par un tunnel au centre de Jérusalem. Situé à l’extérieur des murailles de la Jérusalem antique, le site de Siloah abritait le bassin d’Ezéchias, où Jésus guérit plus tard un aveugle de naissance. Les fouilles menées en 2005 ont permis la mise au jour de ce bassin.))

Alors qu’elle vient visiter le roi Salomon, la reine de Saba, Bilqis de son nom éthiopien, s’agenouille devant la poutre qui – elle le sait, car, bien que païenne, elle croit déjà – servira un jour à fabriquer la croix sur laquelle Jésus sera supplicié.

Une variante de cette version éthiopienne dit que, le roi Salomon ayant fait de l’arbre coupé sur la tombe d’Adam le seuil de son propre palais, la reine de Saba, qui souffre d’une malformation au pied, se trouve guérie à l’instant même même où elle entre dans le palais du roi Salomon.

Une autre version dit encore qu’averti par la reine de Saba de ce que le Messie viendra un jour à partir de l’arbre poussé sur la tombe d’Adam, le roi Salomon fait retirer l’arbre employé à la construction du pont de Siloé et mande qu’on enfouisse l’arbre en terre. Une eau qui guérit sourd alors au pied de l’arbre, formant ainsi ce que l’on nommera plus tard la « piscine probatique ». C’est là, selon cette autre version de la légende, que la reine de Saba, lors de sa visite au roi Salomon, aurait été guérie de la malformation de son pied.

Ci-dessus : Piero della Francesca (circa 1410, 1420-1496), détail de la Légende de la Sainte Croix, fresque peinte dans l’église Saint François d’Arezzo..

La légende du Bois de la Croix connaît un dernier épisode en 325-327 après J.C., avec l’invention de la Vraie Croix par Sainte Hélène, mère de Constantin, premier empereur romain converti au christianisme. Hélène a déjà quatre-vingt ans lorsqu’elle s’embarque pour Jérusalem afin d’y visiter les Lieux Saints.

 

L’Esprit, rapporte Saint Ambroise de Milan ((Saint Ambroise, De obitu Theodosii, n. 43 et 35)), lui souffla de chercher le bois de la croix. Elle s’approcha du Golgotha et dit : – Voici le lieu du combat ; où est la victoire ? Je cherche l’étendard du salut et ne le vois pas. Elle creuse donc le sol, en rejette au loin les décombres. Voici qu’elle trouve pêle-mêle trois gibets sur lesquels la ruine s’était abattue et que l’ennemi avait cachés. Mais le triomphe du Christ peut-il rester dans l’oubli ? Troublée, Hélène hésite, elle hésite. Mue par l’Esprit-Saint, elle se rappelle alors que deux larrons furent crucifiés avec le Seigneur. Elle cherche donc la croix du milieu. Mais, peut-être, dans la chute, ont-elles été confondues et interverties. Elle revient à la lecture de l’Évangile et voit que la croix du milieu portait l’inscription « Jésus de Nazareth, Roi des Juifs ». Par là fut terminée la démonstration de la vérité et, grâce au titre, fut reconnue la croix du salut.

Hélène, dit la légende, retrouve aussi dans la terre les clous de la Passion. Lors de son retour, elle emporte avec elle des fragments de la croix et des clous. Elle meurt à Nicomédie en 329.

Ci-dessus : Agnolo Gaddi (1350-1396), Histoire de l’Invention de la Vraie Croix, détail de la fresque peinte à Florence dans le réfectoire de l’ancien monastère franciscain, devenu aujourd’hui basilique de Santa Croce.

Le fragment de la croix resté à Jérusalem tombe dans les mains de Saladin en 1187. Il disparaît par la suite et n’a jamais été retrouvé.

Le fragment acheté aux Vénitiens par Saint Louis en 1238 et installé à la Sainte Chapelle disparaît pendant la Révolution, à l’exception d’une relique et d’un clou conservés dans le trésor de Notre Dame de Paris.

Des autres fragments dispersés depuis le temps d’Hélène, il reste, entre autres, ce qui est renfermé dans le somptueux reliquaire de la basilique Saint Sernin à Toulouse.

Ci-dessus : reliquaire de Saint Sernin.

Une ancienne porte de Pamiers, Ariège, et aujourd’hui encore une place portent le nom de Sainte Hélène. Il ne s’agit pas de la mère de l’empereur Constantin, mais de Sainte Natalène, dont le nom initial s’est perdu au fil du temps. Sainte Natalène, jeune romaine de Pamiers, eut la gorge tranchée pour avoir refusé de renoncer à sa foi. Du sang versé par le bourreau a jailli la fontaine dite « de Sainte Hélène ». L’église Notre Dame du Camp à Pamiers conserve les reliques de la sainte.

Une approche de l’art contemporain – Capter – Archiver – Transformer – Enjeux de la photographie

 

 

Ci-dessus : photos perso, prises durant la conférence.

Jeudi 17 février 2011. Troisième épisode du cycle de conférences sur l’art contemporain proposé à Pamiers par l’association Mille Tiroirs : Capter – Archiver – Transformer. Julie Rouge évoque cette fois la place de la photographie dans l’art contemporain.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Nicéphore Niepce, Point de vue du Gras, 1826 ; Louis Daguerre, Le boulevard du Temple, 1838.

Capter – Archiver. Nicéphore Niepce et Louis Daguerre ont su les premiers capturer l’empreinte lumineuse des choses, puis celle des hommes. Nicéphore Niepce, qui enregistre ce qu’il voit par la fenêtre de sa maison du Gras, réalise ainsi la photo princeps, laquelle est aussi, remarque Matt Hilton dans l’assistance, la seule et unique « photo innocente », i. e. celle qui, à la fois pour la première fois et pour la dernière fois, a pu être prise sans prévision possible.

Louis Daguerre à Paris, depuis une fenêtre qui donne sur le boulevard du Temple, obtient quant à lui la première image « animée ». On distingue en effet sur le daguerréotype, au premier plan, un homme qui tend son pied à un cireur de souliers. Le reste du boulevard semble vide, car le temps de pose, extrêmement long, rendait impossible alors la captation du flux des passants. A noter par ailleurs que la daguerréotypie donne une image inversée.

 

Conformément à sa visée initiale, la photographie nous fournit aujourd’hui un flot sans cesse renouvelé d’images relatives à tous les paysages et à tous les événements du monde. Parmi ces événements, il y a le geste de l’art, que la photographie accompagne désormais dans chacune des étapes de sa mise en oeuvre.

Ainsi associée au geste de l’art, la photographie voit aujourd’hui son statut se brouiller. Anciennement assignée au seul rôle de complément documentaire, elle tend de plus en plus à constituer l’une des figures possibles de l’oeuvre, voire la figure ultime, spécialement dans le cas des oeuvres éphémères, dont elle demeure désormais l’unique expression visible.

 

Il se peut aussi chez certains artistes que la photographie constitue, au terme d’une installation ou d’une performance, l’enjeu de l’oeuvre, et l’oeuvre elle-même. Le rôle que joue la photographie dans le travail des artistes contemporains demeure difficile à trancher.

 

 

Les photographies reproduites ci-dessus témoignent de la diversité des enjeux e l’artiste leur assigne dans le cadre de sa démarche créatrice. On remarquera ainsi l’effet de pixellisation qui fait de la vue du Pentagone le 11 septembre 2001 autre chose qu’une image documentaire. On notera aussi le statut d’hapax auquel atteint la photo de la foudre tombant sur une installation de Land Art, conçue tout exprès pour cet effet unique. La photo d’une galerie de cloître dont la profondeur perspective se trouve contrariée par la superposition d’un plan vertical pavé de carreaux bleus donne à voir, en même temps que le conflit de la 3D et de la 3D, celui de la vision comme chose faite et de la vision comme chose pensée. La photo d’un intérieur dévasté par une forme organique monstrueuse résulte, quant à elle, qu’un accident du support sur lequel la matière argentique a fondu.

 

La photographie s’essaie également, dans l’art contemporain, à radicaliser ou à subvertir les enjeux du portrait. Le photographe joue ici avec les codes de la peinture classique.

 

Cherchant ici la nue vérité de l’expression insue, le photographe a installé à un carrefour un dispositif de prise de vue automatique. Le sujet révèle ainsi à l’oeil de l’automate le naturel de sa disposition du moment.

 

Les sujets photographiés ici ont accepté de poser à la fenêtre, la nuit,dans une pièce éclairée, sans voir le photographe qui se tenait dehors dans l’obscurité, et sans savoir à quel moment ils seraient photographiés. L’enjeu de la photographie, là encore, est d’atteindre à la révélation de l’invu.

 

Ci-dessus, à gauche : Guillaume Benjamin Duchenne, dit Duchenne de Boulogne (1806 1875), Déclenchement d’une expression de frayeur sous l’effet d’une impulsion électrique.

Là où le médecin neurologue Duchenne de Boulogne s’était appliqué à photographier, au XIXe siècle, les différentes modalités de l’expression « authentique » déclenchée par une stimulation électrique, le photographe contemporain use de moyens plus humains et traitables. Le saut reproduit ci-dessus, induit par exemple un relâchement du contrôle de soi qui libère d’une façon plus aimable le beau naturel de Marilyn.

 

Montée en bande à la façon d’un comic strip, la photo ici vire à la fiction. Elle amorce le récit d’un monde oblique, dans lequel tout bouge.

 

Empruntant ici ses codes au photo-journalisme, la photo raconte ici une performance. Embauchée comme femme de chambre dans un hôtel à Venise, et profitant ainsi de ses heures de ménage, l’artiste s’est attachée à photographier durant un mois le contenu de chacune des chambres auxquelles elle avait accès, lequel contenu constitue ici l’analogue de l’expression la plus « authentique », telle que la recherchait Duchenne de Boulogne.

Julie Rouge, l’autre soir, nous a passionnés. Des nombreux exemples proposés par ses soins, je n’en rapporte ici, faute de place, que quelques uns.

 

J’ai pris quelques photos autour du buffet qui a suivi la conférence, et je me suis amusée à les monter en kaléidoscope.

 

Parmi le public, il y avait des artistes, souvent photographes, dont Labaronne, qui après avoir dégusté un samosa, a déposé son empreinte sur la table. Je l’ai photographiée aussi.

Prochain épisode de ce cycle de conférences sur l’art contemporain :
Jeudi 24 mars 2011
Où est l’art aujourd’hui ?
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La mixité des territoires : scène nationale, espace public, patrimoine / art contemporain.

A lire aussi : Une approche de l’art contemporain – Cycle de conférences à Pamiers