Analogies – Guitare

 

Ci-dessus, de gauche à droite : estampe de Marc Chagall, sans date ; affiche vue en juin 2011 à la mairie de Lagarde.

Couleur Ariège…

Dans le parc du château de Sibra

 

Le château de Sibra est une demeure privée. Edifié au XVIe siècle par le chevalier de Saint-Georges, il demeure la propriété de la famille Saint-Georges jusqu’à la Révolution. Il est ensuite racheté par les frères Espert, maréchaux d’Empire, natifs du hameau de Sibra ; puis par Alcide Villary de Fajac, promoteur de la ligne de chemin de fer Pamiers-Bram/Lavelanet. Alcide Villary de Fajac entreprend à la fin du XIXe siècle la restauration complète du château, dans le style composite d’un Moyen Age et d’une Renaissance réinventés par la fantaisie romantique, bref, dans le style dit « troubadour ». Il crée également le vaste parc, entièrement ceint d’une muraille de pierre, qui s’étend sur 15 hectares au pied du château.

Ce parc, dimanche dernier, faisait l’objet d’une ouverture exceptionnelle. Je dois à cette dernière les photos que je rapporte, éclairées par les commentaires de Claire Fournier, spécialiste des jardins au Conseil régional de Midi-Pyrénées, qui accompagnait la visite.

 

Vu de la balustrade qui borde la terrasse du château, le parc ne se distingue en rien du moutonnement forestier qui monte à l’assaut d’une longue prairie en pente. Créé à la fin du XIXe siècle, oeuvre d’un architecte paysagiste dont le nom n’a pas été conservé – Edouard André peut-être, ou les frères Bühler -, ce parc est tombé peu à peu en déshérence. Les moyens nécessaires à son entretien, note Claire Fournier, ont cruellement manqué. Il conserve toutefois de beaux restes de sa splendeur ancienne, et l’imagination, pourvu qu’elle s’invite, aide à concevoir la nature du projet initialement mis en oeuvre ici.

 

Le parc présente aux abords immédiats du château un aspect tristement déliquescent. Il abrite cependant, comme ci-dessus, de petits pavillons, faits pour l’ornement plutôt que l’usage, souvent agrémentés de détails baroques, dont la fantaisie surprend, ainsi surgie des herbes folles, sur fond de délabrement. On la remarque par exemple dans ce ce soupirail géminé, cerné d’un entour en rocaille.

 

Toujours aux abords du château, dans une zone située à l’arrière de ce dernier, autre surprise, d’annonce nouvelle, une sorte de château d’eau inachevé, de style qu’on ne sait pas dire… Renseignée plus tard par des lecteurs qui ont connu le domaine à une date antérieure, j’ai appris que le supposé château d’eau était en réalité un poulailler ! Pour d’autres précisions, je recommande les intéressants commentaires publiés ci-dessous.

 

Ailleurs, d’annonce plus charmante, une maison d’oiseau au bord d’une haie qui peine à contenir la poussée de la forêt…

 

Un peu plus loin,dans la même haie, une vasque brisée. Un buste tragiquement abandonné…

 

Un peu plus tard, une gargouille réinventée, vue au contour d’un mur du château. Puis une fontaine en rocaille, vue au contour d’un autre petit pavillon, sis à l’orée de la grande allée perspective aménagée sous une voûte de verdure dans le prolongement de la terrasse du château.

 

 

 

 

La voûte de verdure qui surplombe la grande allée, a perdu au fil du temps, faute de taille, la parfaite ciselure de son dessin antérieur. Moins dense qu’autrefois, le feuillage verse moins d’ombre sur le tunnel de fraîcheur qu’il abrite. L’effet perspectif s’en trouve affaibli ; l’éclat de la lumière qui point au bout de l’allée, pâtit de l’atténuation du contraste. Jalonnée de loin en loin par des vasques qui orientent le regard dans la direction de la trouée lumineuse et qui accusent dans le même temps la profondeur de l’espace, l’allée demeure toutefois un lieu puissamment esthétique, propice au vague de la rêverie ou au vide de la méditation.

L’obélisque qui s’élevait naguère encore au bout de l’allée, sur fond de trouée lumineuse, est tombé en 2003. Il demeure là, renversé, au centre d’un petit salon de verdure, meublé de deux bancs de pierre, de forme demi-circulaire, qui se font face sous la ramée. Dans ce lieu centré sur un objet symbolique fort, hérité tout à la fois de l’ancienne Egypte, de la tradition néo-classique et de celle des Lumières, la chute aujourd’hui fait mystérieusement image.

 

Passé la trouée lumineuse, cette vasque nichée dans le feuillage signale, dirait-on, l’entrée dans une autre dimension du parc. Une fenêtre miroite dans le mur d’un bâtiment qu’on ne voit pas, car masqué ici par une forêt de ronces.

 

Le même bâtiment, une fois contourné, déploie côté soleil une façade radieuse. C’est la miellerie, aménagée à la fin du XIXe siècle, par M. et Mme Villary de Fajac. Mus par une passion personnelle heureusement partagée, les époux le sont aussi, en leur temps, par le souci de promouvoir l’apiculture comme une alternative possible à la culture de la vigne, déjà touchée par la crise du phylloxéra. Ils créent à cette fin une miellerie qu’ils veulent modèle.

La création de cette miellerie modèle constitue également pour le couple, là encore, l’occasion de satisfaire son goût de la fantaisie architecturale. Traité à la fois dans le style de la cabane de rondins et dans celui des hospices bourguignons, le bâtiment marie de façon éclectique la pierre, le ciment, le bois, l’ardoise. Le ciment a été moulé de façon à revêtir, par effet de trompe-l’oeil, l’apparence noueuse du bois.

La fantaisie de l’apparence extérieure n’exclut pas toutefois le souci de parfaite ergonomie dans l’aménagement intérieur. La longue partie basse a été conçue pour faciliter à la fois le va-et-vient des abeilles à partir des ruches installées dans le bâtiment, et la circulation des hommes à côté de la population hyménoptère.

 

L’orifice que l’on voit ici dans la fenêtre grillée est destiné aux abeilles. Ménagé de place en place tout au long de la miellerie, il a pour fonction de canaliser le flux d’abeilles engendré par 80 ruches.

 

La miellerie abrite par ailleurs nombre de vestiges naïfs ou curieux d’un artisanat rural qui plaisait à la famille Villary de Fajac et qui témoigne là encore de sa curiosité éclectique.

 

Mme Villary de Fajac a laissé sur les murs de la miellerie des peintures de sa propre main.

 

Le charme de cette miellerie réside aussi dans la grâce modeste des matières et des formes – médaillon pieux, papillons peints, noeuds du bois de lambris sous la toiture – qui voisinent poétiquement, ainsi rapprochés à l’échelle du détail.

 

 

Au-delà de la miellerie, le parc se déploie à la mesure d’un vaste territoire en pente, dans les plis duquel on éprouve rapidement le sentiment de se perdre. Le plaisir du parc, remarque Claire Fournier, tient ici justement ici au fait qu’on se perd dans un paysage immense, plaisir de la désorientation que l’architecte paysagiste a favorisé en habillant le mur d’enceinte d’un manteau de verdure qui le masque, et en veillant à l’échelonnement perspectif des arbres, lequel, fondé sur l’implantation de sujets de plus en plus petits au fur et à mesure que l’on s’éloigne du château, suggère que le parc est à l’échelle du monde, qu’il s’étend au-delà de l’horizon et qu’il s’y perd dans sa propre illimitation.

L’infini du parc, toutefois, ne laisse pas de comporter dans son déploiement le possible de l’ennui. L’architecte paysagiste a souhaité conjurer ce risque en semant sur le chemin du promeneur des « fabriques », i. e. de petites constructions pittoresques, faites pour la surprise et le plaisir de la vue seulement.

La charmante colonnade à l’antique qui se reflète dans l’étang, fait partie de ces fabriques, très nombreuses dans le parc, dont un amusant pavillon de chasse, plusieurs grottes artificielles, et même une mini-grotte de Lourdes ! L’architecture de ces fabriques assume ostensiblement son caractère de pastiche. Les colonnades à l’antique ont été construites en ciment de facture grossière, et la pauvreté de la facture suscite justement le plaisir un peu interlope qui accompagne toujours la vue du fac-similé.

 

Ailleurs encore, dans un autre esprit, l’architecte paysagiste a créé sur le pourtour d’une clairière un théâtre d’arbres. On peut y contempler sous le grand ciel une superbe forêt de géants, qui balancent muettement leurs corps séculaires et qui se diaprent sans cesse du frisson des couleurs versatiles fournies jour après jour par la variété des essences et par le passage des saisons. Tout petit face aux géants dans la prairie, le promeneur se sait invité ici au respect et à la célébration des Grandeurs naturelles.

L’implantation de certaines essences, mal adaptées au sol argileux du parc, a nécessité beaucoup de temps et d’efforts. Les arbres exotiques, et aussi les sapins, ont peiné à s’acclimater. Mais efforts et longue patience ont permis finalement l’acclimatation de spécimens très rares. Ils font ainsi de ce parc un lieu exceptionnel, qui peut prétendre au statut de « jardin remarquable ».

 

L’un des spécimens très rares mentionnés plus haut est ce frêne pleureur (photo de gauche) qui s’élève à proximité du lac.

Le lac, quant à lui, dépérit, suite à la détérioration du système hydraulique qui assurait naguère encore son alimentation ainsi que le fonctionnement des deux moulins. L’eau croupit désormais, les roseaux gagnent du terrain, et le lac se referme peu à peu.

 

L’architecte paysagiste a voulu que l’ultime perspective offerte au promeneur après sa longue déambulation dans les profondeurs du parc, soit celle du château qui se mire dans l’eau du lac. Le mirage, hélas, a déserté une eau devenue trouble. Le château, seul, demeure, témoin d’un âge depuis longtemps révolu. Les grands parcs créés pour le plaisir de riches particuliers revêtent désormais le statut de reliques. Ils illustrent de façon mélancolique la beauté d’un art finissant.

A Lagarde, au pied des ruines

 

5 juin 2011, 11 heures du matin. Vues à contre-jour, les ruines du château de Lagarde, ancienne résidence des seigneurs de Lévis Mirepoix, revêtent, sur fond d’orage, l’apparence de modernes Erinyes, sombrement habitées par le souvenir d’un désastre. Elles font peser sur le village une sorte de commination pétrifiante. Saisissant raccourci de l’histoire locale, le paysage se donne à voir ici comme une figure de la Révolution accomplie, dans sa dimension spécifiquement vengeresse. La vengeance toutefois, ici comme ailleurs, échoue à faire du passé table rase. Le village demeure acculé aux ruines, par là sans cesse rappelé au souvenir d’un passé violent dont la seule image que l’on puisse désormais faire valoir est malheureusement celle des effets de la violence destructrice.

 

 

Je me trouvais encore sous l’emprise de cette vision du village acculé aux ruines, lorsque j’ai visité, non loin de la mairie, la petite église de la Nativité de la Sainte Vierge. J’y ai sans doute transporté mes impressions du dehors. J’ai revu là, sous le signe riant de la Vierge à l’Enfant et des anges, les effets de la destruction. Les sculptures du XIVe siècle installées au dessus et de part et d’autre du portail ont été rongées par le temps, puis martelées à fin d’oblitération, de la figure du Christ peut-être, des armes de la famille de Lévis sûrement.

 

 

 

J’ai vu en revanche à l’intérieur de l’église que l’esprit des châteaux a soufflé ici derechef au XIXe siècle. Une noblesse d’ascendance nouvelle a repris le flambeau du mécénat déployé naguère par la noblesse ancienne. L’histoire a son ironie, qui se confond avec celle du sort. Rescapé de la Révolution, un grand lustre du XVIIIe siècle voisine dans l’église avec le bel ensemble de vitraux du XIXe siècle, don d’Alcide Villary de Fajac, promoteur de la ligne de chemin de fer Pamiers-Bram/Lavelanet, moderne « seigneur » du château de Sibra, près de Lagarde.. Peprpétuant ainsi les habitudes de la noblesse d’antan, le nouveau châtelain et généreux donateur a voulu figurer en médaillon sur l’un des vitraux, commandés par ses soins à l’atelier toulousain du maître verrier Saint-Blancat. Chassé de Lagarde sous la Révolution, le style des châteaux revient à Lagarde sous la Troisième République, via le décor de la petite église de la Nativité de la Sainte Vierge. Ironie de l’histoire, ou du sort…

 

 

Avant de quitter l’église, je me suis laissé attirer par le jeu d’ombres projeté sur le faux marbre d’une niche formant chapelle à l’abri d’une superbe ferronnerie, dans un mur latéral. J’ai vu dans ce jeu d’ombres une figure de la native conjointure qu’entretiennent le présent et le passé, la vérité et l’illusion.

 

Dehors, comme muselée dans sa cage de protection, une Vierge ancienne considère d’un oeil peu amène le monde comme il va.

 

Insoucieuses du jeu des ombres contingentes, les ruines tutoient sous le ciel incertain les croix du cimetière.

 

Vues de plus loin, elles se fondent finalement dans la vaste rumination d’un paysage viride, habité, sous les nuages gonflés de vent, par la paix des vaches.