Analogies – Jungle

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Mirepoix, vue du clocher de la cathédrale derrière le vieux cimetière et la friche industrielle de la Copami ; Henri Rousseau, dit le Douanier Rousseau, Surprise, 1891.

Quel rapport y a-t-il entre une friche industrielle et la jungle du Douanier Rousseau ?

Outre les invariants d’une sorte de grammaire du foisonnement plastique, ne voit-on pas ici, d’une vue à l’autre, la mort à l’oeuvre, lente ou rapide, et le vif, le vert, qui ne s’en soucie ?

La démolition de la friche industrielle de la Copami a commencé. Il ne restera bientôt plus rien de cette icône dédorée.

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Métaphores

Analogies – Les portes du temps

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Mirepoix, rue du Béal ; Magritte, La victoire, 1939.

L’une est pleine ; l’autre à jours. L’une ouvre sur la terre ; l’autre sur la mer. L’une abrite la paix du bleu ; l’autre baille sur un nuage…

Deux portes. Qu’est-ce qu’il y a derrière : ce qui ne passe pas ; ce qui vient ? L’imminence est dans la durée comme le serpent est dans le paradis.

Analogies – Tu dis que la Plante médite ?

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Alexej von Jawlensky (1864-1941), Variation, circa 1918 ; Mirepoix, mars 2011.

Lucrèce
– Je ne sais si je puis mieux dire qu’une Fable… Je voulais te parler du sentiment que j’ai, parfois, d’être moi-même Plante, une Plante, qui pense, mais ne distingue pas ses puissances diverses, sa forme de ses forces, et son port de son lieu. Forces, formes, grandeur, et volume, et durée ne sont qu’un même fleuve d’existence, un flux dont la liqueur expire en solide très dur, tandis que le vouloir obscur de la croissance s’élève, éclate, et veut redevenir vouloir sous l’espèce innombrable et légère des graines. Et je me sens vivant l’entreprise inouïe du Type de la Plante, envahissant l’espace, improvisant un rêve de ramure, plongeant en pleine fange et s’enivrant des sels de la terre, tandis que dans l’air libre, elle ouvre par degrés aux largesses du ciel des milliers verts de lèvres… Autant elle s’enfonce, autant s’élève-t-elle : elle enchaîne l’informe, elle attaque le vide ; elle lutte pour tout changer en elle-même, et c’est là son Idée !… Ô Tityre, il me semble participer de tout mon être à cette méditation puissante, et agissante, et rigoureusement suivie dans son dessein, que m’ordonne la Plante…

Tityre
– Tu dis que la Plante médite ?

Lucrèce
– Je dis que si quelqu’un médite au monde, c’est la Plante.

Tityre
– Médite ?… Peut-être de ce mot le sens m’est-il obscur ?

Lucrèce
– Ne t’en inquiète point. Le manque d’un seul mot fait mieux vivre une phrase : elle s’ouvre plus vaste et propose à l’esprit d’être un peu plus esprit pour combler la lacune.

Tityre
– Je ne suis pas si fort… Je ne sais concevoir qu’une plante médite.

Lucrèce
– Pâtre, ce que tu vois d’un arbuste ou d’un arbre, ce n’est que le dehors et que l’instant offerts à l’oeil indifférent qui ne fait qu’effleurer la surface du monde. Mais la plante présente aux yeux spirituels non point un simple objet de vie humble et passive, mais un étrange voeu de trame universelle.

Tityre
– Je ne suis qu’un berger, Lucrèce, épargne-le !

Lucrèce
– Méditer, n’est-ce point s’approfondir dans l’ordre ? Vois comme l’Arbre aveugle aux membres divergents s’accroît autour de soi selon la Symétrie. La vie en lui calcule, exhausse une structure, et rayonne son nombre par branches et leurs brins, et chaque brin sa feuille, aux points même marqués dans le naissant futur…

Tityre
– Hélas, comment te suivre ?

Lucrèce
– Ne crains pas, mais écoute : lorsqu’il te vient dans l’âme une ombre de chanson, un désir de créer qui te prend à la gorge, ne sens-tu pas ta voix s’enfler vers le son pur ? Ne sens-tu pas se fondre et sa vie et ton voeu, vers le son désiré dont l’onde te soulève ? Ah ! Tityre, une plante est un chant dont le rythme déploie une forme certaine, et dans l’espace expose un mystère du temps. Chaque jour, elle dresse un peu plus haut la charge de ses charpentes torses, et livre par milliers ses feuilles au soleil, chacune délirant à son poste dans l’air, selon ce qui lui vient de brise et qu’elle croit son inspiration singulière et divine…

Tityre
– Mais tu deviens toi-même un arbre de paroles…

Paul Valéry, Dialogue de l’Arbre, 1943.