Manuel Martinez – Sculptures

C’est le moment, comme chaque été, d’aller au Carla-Bayle arpenter la Rue des Arts. Les lieux d’exposition sont partout. Dans les belles maisons anciennes. Dehors, au pied des remparts. On flâne. Peintures, sculptures, photos, autres techniques mystérieuses, l’art s’expose ici dans tous ses états. L’après-midi n’y suffit pas. Le soir, depuis la terrasse d’un café situé au bord du rempart, le paysage est si grand qu’on voit l’or du couchant sur la terre entière.

 
J’ai remarqué cette sculpture-bidon chez Manuel Martinez. D’autres sculptures, de facture analogue, s’élèvent parmi les toiles de l’artiste. Elles ont la pure présence des colonnes, ou celle des fétiches d’Océanie et de Guinée. On ne sait si l’inspiration est ludique ou sérieuse, si Manuel Martinez s’est souvenu de l’esthétique de Hergé dans Le Trésor de Rackham le Rouge, ou s’il entreprend d’explorer ici, façon Roland Barthes, les figures curieuses d’une possible mythologie moderne. Pauvreté du matériau, rigueur de la forme et de la couleur, indécidabilité du sens, font ensemble la force étrange de ces sculptures-bidons.

 

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Constance de Mauvaisin, responsable de la communication de l’association Mille Tiroirs ; Manuel Martinez.

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Manuel Martinez – Peintures – Sculptures

Land Art – Claire Dournier et les arbres

Je me trouvais la semaine dernière au Vernet d’Ariège afin de voir dans le parc d’Accrobranche une installation de Land Art. L’auteur de cette installation est Claire Dournier. Elle présentait l’an dernier, à Pamiers, une exposition intitulée Entre la parenthèse. Elle passe ici, en fantôme, dans le parc.
 
Elle dit qu’une installation de Land Art constitue pour elle l’aboutissement d’un travail intérieur, qui implique la participation du corps, et qui se donne pour enjeu le franchissement d’une limite obscure, en tout cas difficile à dire. L’installation, telle qu’elle se présente dans sa mise en oeuvre effective, figure, sans volonté de représentation, l’invu d’un autre possible de la réalité, d’une surprise de soi et du monde.

Sensible à la beauté des grands arbres qui peuplent le parc d’Accrobranche, l’artiste doit à ces derniers la forme causative de l’action qu’elle imagine, laquelle suppose ici d’avoir le corps de l’accrobranche afin d’aller en altitude figurer dans les arbres le possible d’une réalité invue. Cette figure de l’invu, l’artiste entreprend d’être le lieu et le moment de son devenir visible. L’installation peut être considérée comme la mémoire éphémère de cette aventure sans pourquoi.

Les accents d’un jazz oriental s’élèvent en cet instant sous les arbres. Un petit groupe de musiciens donne concert, dans un halo rouge. Autres figures du jeu partagé de l’art et des puissances de la terre et du ciel, de l’heure, des choses. Land Art.

 

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Entre la parenthèse – Claire Dournier et Gertrudis Vercauteren exposent

Nicolas Gouzy, Le Chevalier assis et les clandestins de Dieu

Jamais je n’avais vu un curé y remettre de l’eau, je ne me souvenais pas non plus de l’avoir vue verdir en été, comme le font les eaux stagnantes… Enfant, j’avais demandé au prêtre si les chauves-souris que j’avais vues y boire, pirouettant au-dessus de la surface pour laper quelques gouttes, étaient bénies elles aussi, tout comme la chouette effraie qui y prenait son bain, ébouriffant ses plumes et fermant de plaisir ses yeux d’or. Ce qui m’avait valu une gifle. J’en avais conclu qu’il y avait des clandestins de Dieu dont il ne fallait pas parler. De petits voleurs de bénédiction, les souris qui rongeaient les cierges consacrés, les mouches qui assistaient aux messes en tournant en rond dans les rais de lumière qui jaillissaient des minces baies ouvertes dans le choeur de l’église. Peut-être les poux du curé et les puces de son chien. Ils étaient plus proches de Dieu, du moins ils habitaient Sa maison. Je me sentais moi-même à cet instant un clandestin de Dieu ; un pauvre glanant dans Son champ quelques épis de vie, quelques grains de vérité, exclu de la moisson peut-être, mais sachant trouver, dans la paille laissée par la famille des ouvriers, un peu de bien, de quoi moudre une once de farine de Sa bonté pour en cuire un petit pain d’espoir. ((Nicolas Gouzy, Le Chevalier assis, p. 125, éditions Privat, 2009 ; Prix spécial du Jury au Salon 2010 du Livre d’Histoire Locale à Mirepoix.))

J’ai reçu ce matin un petit message de Nicolas Gouzy. Nos chemins de pensée se sont croisés, car après avoir relu Le Chevalier assis, je me proposais de reproduire ici un passage, drôle et magnifique à la fois, dans lequel, à propos du bénitier de son village de l’Aude, Guilhem, le chevalier, dit des choses essentielles. Dont acte.

On remarquera que si l’humanité se mesure à l’amour du prochain, elle conserve en la personne de Guilhem sa mesure d’enfance, qui est toute d’illimitation, car insoucieuse de la différence ontologique, d’où étrangère au préjugé de la raison quant à la dispensation sélective de la Grâce.

Puisqu’il y a quelque chose plutôt que rien, comme dit Leibniz dans ses Principes de la nature et de la Grâce, c’est qu’il y a toujours au coeur de la vie comme elle va, i. e. au fil de ses moissons violentes, de quoi moudre une once de farine de Sa bonté pour en cuire un petit pain d’espoir.

Outre qu’il est d’une grande beauté, ce passage du Chevalier assis dit ou rappelle en quoi consiste l’humanité véritable et l’espoir. J’ai admiré que Nicolas Gouzy sache dans le cadre d’un roman âpre et cruel nous en faire si lumineusement souvenir.

Illustrations : détails de deux initiales filigranées, in Marguarita martiniana de Martinus Polonus, XIVe siècle, Aix-en-Provence – BM – ms. 1807 ; source : Enluminures-Culture.fr (recherche experte : chouette).