A Mirepoix – Le quartier de Lilo – 3. De la rue du Coin de Loubet à la rue Coin de la rue de Paraulettes

 

Ci-dessus, autrefois, aujourd’hui, noms des rues : rue du Coin de Loubet : rue Bayle ; rue Paraulettes et Saint Amans : rue Frédéric Soulié ; rue Coin de la rue de Paraulettes : rue Astronome Vidal ; la promenade du Rumat : cours du Rumat.

Le moulon ici n’est bâti que sur son front est, i. e. au bord du cours du Rumat. L’angle du cours et de la rue du Coin de Loubet et celui du cours et de la rue Coin de la rue de Paraulettes demeurent toutefois libres de constructions, puisque l’un est occupé par le jardin (n°66) de Bertrand Laporte, dit Capitaine, brassier, et l’autre par l’aire (n°51) des frères Sutra, marchands tanneurs. Les trois autres côtés du moulon demeurent eux aussi libres de constructions.

Le front bâti comporte en son milieu un étroit passage qui a fonction de traverse, puisqu’il permet de gagner la rue de Paraulettes et Saint Amans en circulant entre les jardins.

Voici la liste des propriétaires des parcelles :

51. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; aire à la rue de Paraulettes et Saint Amans
52. Andrieu Joui, brassier ; rue de Paraulettes
53. Jeanne Marie Senié, veuve de Jean Amouroux, tisserand ; hôpital de Mirepoix : jardin à la rue de Paraulettes
54. Germain Giret, ancien porteur de la ville ; jardin à la rue de Paraulettes
55. Jeanne Gouze, veuve de Jacques Carrière ; maison et jardin
56. Marie Savary, veuve de Jean Gayer ; maison et jardin
57. Maurice Bailhade, dit Jean de Jeanne, brassier ; maison
58. Joseph Vidal, brassier ; maison
59. Louise Vidal, veuve de Simon Vidal
60. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; maison
61. François Amouroux, tisserand de razet ; maison
62. Etienne Gailhard, voiturier ; jardin à la rue de Paraulettes
63. Marie Manent, veuve de Pierre Amouroux, tisserand ; maison et jardin rue de Paraulettes
64. Jeanne Saurel, femme de Pierre Taillefer dit Pierre Couzy, et veuve de François Arnaud ; jardin à la rue de Paraulettes
65. Jean Saint-Félix, brassier ; rue de Paraulettes
66. Bertrand Laporte, dit Capitaine, brassier ; maison et jardin.

Types de propriétaires : 6 veuves ; 5 brassiers ; 2 marchands tanneurs ; 1 ancien porteur de la ville ; 1 tisserand de razet ; hôpital de Mirepoix.

Le moulon accueille une majorité de brassiers, qui voisinent ici avec une partie de la riche propriété d’Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs, sachant que celle-ci comprend de l’autre côté du cours du Rumat plus de la moitié de la presqu’île formée par la dérivation du Countirou en aval du pont de Limoux.

La présence d’Etienne Gailhard, voiturier, concurrent d’autres voituriers installés dans les moulons avoisinants, témoigne ici encore des besoins que les activités du Rumat suscitaient jadis en matière de transport.

Parmi les 5 veuves, qui vivent probablement de la production de leur jardin, Jeanne Marie Senié, veuve de Jean Amouroux, tisserand, se distingue par l’indivision, sans doute charitable, qu’elle conserve avec l’hôpital de Mirepoix. Ce type d’indivision suggère un possible engagement confrériste, comme on voit aussi en 1766 dans le moulon voisin du Saint-Sacrement ((Cf. A Mirepoix – Le moulon du Saint-Sacrement)).

Le moulon concentre ici, avec Jeanne Marie Senié, veuve de Jean Amouroux, tisserand ; François Amouroux, tisserand de razet ; Marie Manent, veuve de Pierre Amouroux, tisserand, les partenaires et agents d’une activité familiale, dont le savoir-faire perpétué ici et sans doute enrichi par François, dit « tisserand de razet » ((Razet ou rase : étoffe croisée et unie à poils ras)), requérait pour s’exercer de façon optimale d’importantes ressources en eau. D’où l’installation à proximité du canal du moulin (aujourd’hui le Béal) et du ruisseau Countirou.

Les fils de chaîne, en particulier dans le cas du chanvre, devant être maintenus dans une ambiance humide, le tisserand de jadis s’appliquait à compenser par une émission continue de vapeur la sécheresse excessive de l’air. Il pouvait éventuellement par la suite se charger aussi de la parure et du foulage ((Cf. Histoire locale : Le tisserand : « La parure consistait à laver le tissu plusieurs fois en le tirant avec un chardon entre chaque bain pour retirer les petits nœuds et le faire feutrer. Le foulage consistait à battre le tissu dans un bain d’eau avec soit un peu de sable, soit un peu de lie de vin ».)), toutes activités requérant, elles aussi, la disponibilité d’importantes quantités d’eau.

La lecture des archives relatives à la période révolutionnaire montre qu’une trentaine d’années plus tard l’activité de François Amouroux, tisserand de razet, se perpétue dans sa maison sous l’égide de son fils, Antoine Amouroux, dit Credo. En 1797, celui-ci a pour voisin et éphémère « apprentif »… un certain Guillaume Sibra, dit Jean Dabail. La maison Amouroux, qui correspond à la parcelle n°61 sur le plan de 1766, porte désormais le n°188 de la section C. La famille de Guillaume Sibra habite au n°187 de la même section la maison qui correspond à la parcelle n°60 sur le plan de 1766, laquelle parcelle était en 1766 propriété d’Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs.

Voisins d’Antoine Amouroux, Guillaume et sa soeur Marie, enfants de pauvre, ont probablement bénéficié de la bienveillance, du soutien, ou de la charité de celui-ci et de son épouse. On sait, en 1776, l’engagement de Jeanne Marie Senié, veuve de Jean Amouroux, auprès de l’hôpital de Mirepoix. François Amouroux, dit Credo, perpétue à sa façon l’oeuvre de sa tante. Il engage en la personne de Guillaume Sibra un « apprentif » incertain, par ailleurs dangereusement livré à lui-même. Le surnom de Credo suggère que François Amouroux fait montre d’une conduite instruite par des valeurs ou des principes déclarés. En avril 1800, dans la chapelle des Trinitaires, où un prêtre insermenté célèbre une messe clandestine tandis qu’une battue générale se prépare à fin d’arrestation de Guillaume Sibra, alors évadé de la prison de Foix, condamné contumax à 25 ans de fer, l’épouse de François Amouroux se trouve présente aux côtés de Marie Sibra et elle la précède sans doute dans la prière pour la vie de son frère Guillaume. François Amouroux, lui, demeure absent de la chapelle. Il est en revanche identifié dans l’émeute qui aboutit le soir du 22 pluviôse an V (10 février 1797) au sac de la maison Clauzel. Franc catholique ou maçon, il élève ici la protestation du petit artisan contre Gabriel Clauzel, ancien maire jacobin de Mirepoix, complice en son temps de la politique de l’assignat, mais aussi contre Gabriel Clauzel, marchand de drap, qui a usé de sa position pour monopoliser le marché de l’étoffe et qui a par là ruiné les chances de tout un corps de métier. Débordant ce soir-là les consignes de son maître, l’apprentif Guillaume amorce à la faveur de l’émeute la carrière dissidente que l’on sait ((Cf. Dossier Jean Dabail.)).

La topographie particulière du moulon a servi sans doute le jeune homme dans ses allées et venues obscures. Le passage qui circule à l’intérieur du moulon et qui permet de passer sans être vu du cours du Rumat à la rue de Paraulettes et Saint Amans, ou vice versa, appartient en 1776 à Marie Manent, veuve de Pierre Amouroux. Il reste propriété d’Antoine Amouroux en 1797. Guillaume Sibra peut en user librement. Il dispose ainsi d’un espace à double entrée. La suite de l’histoire montre qu’il en a profité. La perquisition, puis la prise de corps ordonnées en 1798 par le tribunal de Pamiers ((Cf. Dossier Guillaume Sibra dit Jean D’Abail – 2. Chemins de traverse.)) ne donneront rien : l’oiseau, s’il était là, avait fui par le passage.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue du moulon, côté rue Bayle, avec au fond le cours du Rumat – aucune des maisons actuelles n’existait en 1766 – ; vue du moulon, côté rue Frédéric Soulié -aucune des bâtisses actuelles n’existait, là non plus, en 1766. Le vieux mur de taille inférieure à celle des bâtisses abrite le jardin (n*63 sur le plan de 1766) qui fut jadis, rue de Paraulettes et Saint Amans, celui de Marie Manent, veuve de Pierre Amouroux, tisserand.

 

Ci-dessus : vues du mur de l’ancien jardin de Marie Manent, veuve de Pierre Amouroux, tisserand, côté rue Frédéric Soulié, autrefois rue de Paraulettes et Saint Amans. La petite porte verte correspond à la sortie du passage qui permettait jadis de traverser directement le moulon à partir du cours du Rumat.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue du moulon, côté rue Astronome Vidal – aucune des bâtisses actuelles n’existait, là encore, en 1766 – ; jardin vague, qui constitue une partie relique de l’ancienne aire de Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue du moulon depuis le cours du Rumat, dans sa section rue de Lille ((Cf. A Mirepoix – Le quartier de Lilo – Description globale.)) ; en 1766, la parcelle actuellement occupée par l’immeuble à colonnes à l’angle du cours du Rumat et de la rue Bayle n’était pas bâtie. Seules les deux maisons à encorbellement demeurent depuis 1766 peu ou prou inchangées. Le passage qui s’ouvre en leur milieu est celui qui permettait jadis de traverser directement l’intérieur du moulon pour sortir rue de Paraulettes et Saint Amans, aujourd’hui rue Frédéric Soulié.

 

Ci-dessus : l’entrée du passage, cours du Rumat. La suite du passage se trouve condamnée à la hauteur d’un puits, postérieur à 1766 puisqu’il ne figure pas sur le plan correspondant. La parcelle n°60, qui était en 1766 la propriété d’Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs, et qui fut acquise en 1793 par Louis Sibra, père de Guillaumme Sibra, sans doute au titre de la vente des biens nationaux, se trouve à droite, au fond du passage. Le rôle des portes et des fenêtres indique que la maison acquise par la famille Sibra comportait alors une porte et une fenêtre.

 

Ci-dessus : l’ancienne maison de la famille Sibra : une seule pièce. C’est là qu’a vécu, avant de devenir casseur, puis voleur, puis déserteur, puis bandit, puis fantôme, l’apprentif tisserand nommé Guillaume Sibra, dit Jean Dabail.

A suivre… Prochainement : A Mirepoix – Le quartier de Lilo – 4. De la rue Coin de la rue de Paraulettes à la rue Coin de Caramaing et de Paraulettes

A lire aussi : Moulons de Mirepoix

Une réponse sur “A Mirepoix – Le quartier de Lilo – 3. De la rue du Coin de Loubet à la rue Coin de la rue de Paraulettes”

  1. Bien placée pour savoir l’énorme travail de transcription du compoix, de réflexion, de mise en association avec le plan aquarellé que représentent ces articles sur les moulons de Mirepoix, je suis quand même bluffée à la lecture de tes articles ! Tu redonnes vie et sens à chaque maison et parcelle, c’est vraiment magique ! Et en plus, tu as commencé le travail par des moulons  » fuori le mura  » , ce qui donne à l’histoire de la ville une couleur très particulière et très originale, et plaît donc d’autant plus aux mirepoises, tes amies ….

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