What about performance à la grotte de Niaux

Jeudi 7 octobre, 18 heures. Nous venons d’arriver au village de Niaux. La soirée s’annonce extraordinaire. Venue de Toulouse, une navette passera à 18h30 afin de nous conduire à la grotte.
 
L’ombre nous enveloppe déjà dans ses plis. Un dernier rayon s’attarde, là haut, sur le porche de la grotte et sur les ailes de fer de Massimiliano Fuksas ((Cf. Grotte de Niaux – Fuksas)).
 
En attendant le passage de la navette, nous nous dirigeons vers l »écluse de l’ancien canal d’alimentation des forges, et, franchissant le dos de l’écluse, nous descendons au bord du Vicdessos.
 
Dans la perspective qui s’ouvre en amont du ruisseau, je repère en altitude les ruines du château de Miglos. Nous avons devant nous l’original de la gravure de Schrader ! ((Cf. La dormeuse blogue 2 : Hommage aux Pyrénées 2 – 14e journée d’automne de l’histoire locale à Mirepoix))

Devant nous, tout là-haut, le château de Miglos. Derrière nous, tout là-haut, la grotte de Niaux. Nous en bas, dans les plis de l’ombre, nous sommes petits. Avant nous, il y a eu ici le grand Schrader. Avant le grand Schrader, il y a eu là-haut, en face de nous, la seigneurie de Miglos :

A la même époque [XIe siècle] se constituent de puissantes seigneuries féodales, vassales plus ou moins dociles des comtes de Foix, et protégées par des forteresses presque inaccessibles, bâties comme des nids d’aigles sur des rochers escarpés. Alors naquirent les maisons de Lagarde, de Miglos, de Lordat, de Pailhès, de Rabat, de Léran, de Mirepoix… ((Adolphe Joanne, Géographie du département de l’Ariège, Hachette, 1880))

Avant la seigneurie de Miglos, il a eu là-haut, derrière nous, les Magdaléniens :

L’Ariège est, de tous les départements pyrénéens, celui qui possède le plus grand nombre de grottes sépulcrales et de monuments mégalithiques. Les peuplades d’origine inconnue qui occupèrent, aux temps préhistoriques, les vallées de cette contrée, ont laissé comme témoins de leur passage, des foyers, des armes, des instruments en pierre, des bois de renne travaillés, de grossières poteries, dans les grottes devenues célèbres… ((Ibidem.))

C’est là-haut derrière-nous, chez les Magdaléniens, que nous avons rendez-vous. La navette arrive. Elle nous embarque. Nous remontons le temps ce soir, en bus !

Le bus se gare au pied de la grotte. Ambiance festive. De mon fauteuil, j’aperçois, suspendue au-dessus du vide, la proue du navire Fuksas. Là-haut, dans le reste de jour, quelque chose se prépare. Des gens s’affairent autour d’une forme blanche.

Le bus a déchargé sa cargaison joyeuse. Il redescend dans la vallée. Debout sous le porche de la grotte, je regarde se découper dans le ciel la nuit qui vient. Déjà les lampes s’allument dans la vallée.

Le porche de la grotte est vaste comme la nef d’une cathédrale, ou plutôt comme un bassin de radoub à ciel fermé. Au pied des pilotis qui soutiennent le navire Fuksas, on a installé un bar. Tirée d’un cubi préhistorique, la piquette est bienvenue. Puis, entraînée par le mouvement général, je gravis la rampe qui donne sur la proue du navire ; il y a quelque chose à voir sur ce balcon de nuit ; je me case comme je peux, parmi la foule. Assise par terre, derrière quelqu’un de plus grand que moi, je vois son dos, sa nuque. Au-dessus de nos têtes, une forêt d’élastiques, sortes de drisses ou d’écoutes, que des personnes, désignées parmi nous, font coulisser dans une suite d’anneaux. Lorsque le dos, devant moi, s’écarte, j’entrevois fugitivement de quoi il retourne. Quand on tire sur l’élastique, on actionne une mécanique. La mécanique n’est pas forcément celle qu’on croit

– C’est L’Origine du monde de Courbet ! souffle mon voisin de droite.
– N’empêche, elle a du courage ! remarque ma voisine de droite.

Lorsqu’à mon tour je peux m’approcher de la belle mécanique ainsi exposée, je constate que lorsqu’on tire l’élastique, la jambe tressaute. De quoi retourne-t-il ici ? D’une variation sur le thème de la poupée mécanique ? d’un hommage à la théorie des machines désirantes ? d’une séance de catharsis anti-voyeuriste ? Le risible des yeux que nous faisons tous, me fait souvenir du mot de Bergson, « du mécanique plaqué sur du vivant » ((Henri Berson, Le rire. Essai sur la signification du comique, 1900)). Il y a ici deux figures du mécanique : primo la figure du diable à ressorts : c’est la femme nue, exposée sur la proue du navire Fuksas ; secundo la figure du pantin à ficelles : celle-là, pour le coup, c’est nous. Quand je disais que la mécanique n’est pas forcément ici celle qu’on croit…

Le reflux de la foule me dépose maintenant en dessous de la rampe d’embarquement que nous avions gravie tout à l »heure, dans une zone accidentée qui jouxte la paroi de la grotte. Perché sur un chaos de roches éboulées, quelqu’un nous hèle. Il est, dit-il, la voix de Maya, qui raconte son métier de guide à la grotte de Niaux. Maya répète tous les jours ce qu’il faut savoir, « Le Magdalénien est la dernière phase du Paléolithique supérieur européen… La grotte de Niaux renferme un très riche art pariétal… Les œuvres seraient des représentations de scènes de chasse… Ou bien des figures chamaniques… ». Maya, guide à la grotte de Niaux, voudrait pouvoir ici maintenant se laisser couler dans le temps du rêve, être ce dont elle parle, être l’empreinte d’un pas sur le sol de la grotte, être le geste d’un homme qui peint, être le cheval qui court sur le mur, surtout le cheval !

Temps du rêve oblige, la lampe est bleue, l’homme-voix qui parle ainsi sous la voûte est un chaman.

De la parole au geste, l’homme ainsi visité s’emballe soudain, et muni d’un poireau pour peindre, il entre dans le jeu de l’homme et de l’invu. Action painting. L’action est rythme, qui fait monter l’invu à partir de la matière couleur sous le couvert de quoi il se réserve. Il y a de la transe dans ce rythme.

Le chaman d’un soir, l’homme du poireau a de l’humour. Ceci, dit le poireau par-dessus le drap, n’est pas une résurrection du Salon Noir, ni même un méchant remake, mais une comédie moderne, celle de l’illusion transhistorique, et pourquoi pas ? de la piété patrimoniale.

Une autre paroi de la grotte vient de s’éclairer, découvrant le rituel d’une cérémonie rouge, qui a déjà commencé. Au pied de la paroi, une longue, longue série de boîtes remplies d’oeufs. Deux jeunes femmes transportent les boîtes, une à une, jusqu’à l’étrange réceptacle grillagé auprès duquel, en altitude, veille une troisième jeune femme. Celle-ci reçoit les oeufs dans sa jupe, puis les verse dans le réceptacle. L’étrange va-et-vient se poursuit sans relâche. Des voix de femmes, invisibles dans l’air, disent avec des mots roses les rêves d’amour – et ils se marièrent, et ils eurent beaucoup d’enfants. L’impression est celle d’un culte à mystères. Nous nous tenons devant ce mystère bouche bée.

Passe alors au milieu de nous une lumière qui va seule, suivie d’une jambe, puis d’une femme toute entière, grande et belle, munie d’une laisse…

Au bout de la laisse, court la dite lumière, ou plutôt, un squelette de chien, ou de loup, dont la mâchoire se trouve éclairée de l’intérieur par une forte lampe.

Ainsi distraits de la cérémonie rouge, nous entrons illico dans le sillage de la dame au chien.

La dame s’installe au bord d’un feu qui rougeoie faiblement dans la pénombre. La bête pose tendrement sa tête sur les genoux de la belle. La belle sort une boîte de maquillage et elle commence à se peindre sous nos yeux.

La belle dame considère la croix qui règle l’ensecret de son chien. Puis elle se lève, arrime le corps du chien à une croix plus grande suspendue au plafond de la grotte, et arrime ensuite son propre corps à la même croix.

Jouant alors avec l’effet de traction induit par ses mouvements, on ne sait pas si la belle entreprend une séance de dressage ou si elle danse avec son amour.

Moment de fascination. Ce que l’on voit ici perdrait de son charme à être expliqué.

On nous hèle du côté de la cérémonie rouge. Le rituel atteint ici son moment décisif. Jupe rabattue sur la tête, la jeune femme entre dans le réceptacle, et, d’abord assise, puis en pied, foule les oeufs.

La substance des oeufs s’écoule en une somptueuse glaire d’or.

Commentaires chagrins : – Quel gaspillage ! Commentaires militants : – C’est bien vu. Rien n’a changé depuis les Magdaléniens. Commentaire philosophico-chic : – On t’a reconnu, Schopenhauer !

Mystère de l’homme qui regarde couler le fleuve, assis tout seul, dans la position du Boudha.

Plus haut, sur la rampe Fuksas, des images tourbillonnent, et sous ce maelström d’images, quelqu’un parle, ou plutôt sa voix parle, son corps parle. Les mots courent, se poursuivent, se bousculent, jouent à la marelle, à saute-mouton, à qui-va-à-la-chasse… sans jamais ralentir, sans perdre le souffle. Le rythme change sans cesse tout en se déployant de façon continue. Et il enfle, il enfle ! Les mots sont en italien. On n’a pas besoin de comprendre, seulement d’entendre. Les mots, ici, parlent d’eux-mêmes. Ils sonnent. La vocce, la vocce, la vocce… Le monde tout entier bruit dans cette voix-là. Le nom de Berlusconi passe, à la façon d’un ressort de sommier qui grince. Plus tard, celui de Pinocchio, et il pousse à la vocce des oreilles s’allongent…

Les images ci-dessous serviront, je l’espère, d’acousmates, puisqu’il s’agit en la circonstance de convoquer les fastes de la poésie sonore.

[Damned, je viens d’épuiser la batterie de mon appareil photo !]

La vocce musique ici par le truchement de Nicola Frangione. La cérémonie rouge procède d’une rêverie d’Edwood (Edwige Mandrou). La dame au chien est Saskia Edens. Le chaman au poireau se nomme Jocelyn Bonnerave. L’origine du monde emprunte le corps de Catherine Froment. Il manque à cette soirée Nyan Lin Htet, qui pour des raisons politiques s’est trouvé retenu en Thaïlande.

La soirée What about performance a été conçue et organisée par la Casa d’oro, dans le cadre du Festival de Septembre à Toulouse, et en association avec Connivences et le Sesta. Nous avons assisté à 5 performances d’artistes, i. e. à 5 interventions éphémères, auxquelles l’artiste se prête en corps et dans desquelles il joue de façon diverse avec les catégories de l’espace et du temps.

Pour en savoir plus :
Jocelyn Bonnerave
Saskia Edens
Nicola Frangione
Catherine Froment
Edwige Mandrou

Une réponse sur “What about performance à la grotte de Niaux”

  1. Chouette compte-rendu qui donne bien le ton de cette intéressante « soirée à la grotte ». Les performances étaient inégales, mais bon, elles tentaient quelque chose, et dans ce lieu impressionnant, ce n’était pas si simple. Merci encore pour la balade !
    (juste un petit rectificatif, je crois que la dernière performance annulée était birmane et non thaï)

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