Voir le labyrinthe…

 

Cette façade aujourd’hui mal à point, c’était, à l’époque de la Renaissance, celle d’un palais brillant, siège d’une vie intense. Maître d’oeuvre de l’édifice, Monseigneur de Lévis, évêque de Mirepoix de 1497 à 1537, a exercé ici les charges de son épiscopat et connu les riches heures d’une existence très pleine, dédiée tout à la fois au service de Dieu et à la promotion des arts. Ouvriers, architectes, serviteurs, moines, chanoines, simples paroissiens, indigents, mendiants, tout un peuple se pressait ici, sous la suite d’arcades qui font galerie au pied du bâtiment…

La vie aujourd’hui s’est retirée de ce lieu où battait jadis le coeur de la ville. L’édifice a triste mine. Dirait-on qu’il a pu s’agir ici d’un palais ? Le nom, les armoiries, le souvenir même de l’oeuvre de Philippe de Lévis ont déserté le champ de la mémoire urbaine. Où voit-on dans la ville la moindre plaque, le moindre cartel relatifs à l’épiscopat du grand homme ?

Le Pays d’Art et d’Histoire, dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, et au titre des « curiosités » ((Le terme est emprunté au dépliant Laissez-vous conter… le Pays des Pyrénées Cathares, publié par le Pays d’Art et d’Histoire, disponible à l’Office de tourisme de Mirepoix)), proposait, il y a peu, la visite exceptionnelle des deux chapelles privées de Philippe de Lévis, dont l’une, dite chapelle Sainte Agathe abrite le fameux labyrinthe, et celle de l’étonnant escalier intérieur qui relie invisiblement le palais épiscopal à la cathédrale.

Catherine Robin, animatrice du Pays d’Art et d’Histoire, nous attendait au pied de la cathédrale, pour une courte synthèse consacrée à la vie et à l’oeuvre de Philippe de Lévis.

Catherine Robin, ci-dessus à gauche, évoque l’évêque bâtisseur, qui entreprend de restaurer et d’embellir la cathédrale, le château de Mazerettes, le prieuré de Camon, l’abbaye de Lagrasse, et qui mène à bien dans le même temps l’édification du palais épiscopal.

Catherine Robin évoque également le prince humaniste, grand lecteur, grand bibliophile, qui constitue une bibliothèque prestigieuse, aujourd’hui dispersée, et qui commande aux meilleurs ymagiers du temps les illustrations des précieux antiphonaires (livres de chant) offerts par ses soins à la cathédrale.

Catherine Robin évoque enfin l’amateur d’art, le prince esthète, qui, faisant appel aux principaux artistes du midi languedocien, ébénistes, sculpteurs, peuple la cathédrale, les divers bâtiments, les jardins épiscopaux, de meubles fastueux, aujourd’hui, eux aussi, disparus ou dispersés.

Marina Salby, guide-conférencière du Pays d’Art et d’Histoire, nous accueille ensuite à l’entrée du palais épiscopal.

Après nous avoir conduits au premier étage du palais, Marina Salby nous invite à découvrir quelques vues des rares pages réchappées du démembrement des antiphonaires. Les pages reproduites ci-dessus sont conservées aux archives départementales, à Foix.

Depuis l’étage où nous nous trouvons, une pièce à balcon offre une vue sur une petite chapelle gothique, située en contrebas, comme abîmée dans la profondeur du temps. C’est l’une des deux chapelles privées de Monseigneur de Lévis. Quoique bariolée des rehauts de couleur ajoutés au XIXe siècle, elle a conservé la grâce aérienne de la croisée d’ogive et des arcs, qui sont au principe de l’architectonique gothique.

Philippe de Lévis entre dans sa carrière de bâtisseur à la fin du XVe siècle et il la termine dans la première moitié du XVIe siècle. Héritier du style de son temps, il emprunte d’abord au répertoire de formes propre à ce dernier. Sensible aux influences nouvelles venues d’Italie, il introduit par la suite au sein du palais épiscopal les premiers caractères architecturaux du style « renaissant ».

Le motif de rose figuré ici les clés de voûte gothiques, plus loin, sur le plafond à caissons de l’escalier privé qui relie les appartement épiscopaux à la cathédrale, témoigne du goût qui porte Philippe de Lévis vers les formes et motifs dits « à l’antique » et qui fait de lui un précurseur de l’esthétique renaissante.

Remettant nos pas dans ceux d’un évêque du XVIe siècle, nous nous dirigeons maintenant vers la porte qui donne sur l’escalier privé de Monseigneur de Lévis.

Choc des putti, nuée d’enfants ailés figurée sur les chapiteaux qui ornent les différents paliers et demi-paliers de l’escalier Renaissance. Hormis quelques griffons, un cheval, une silhouette de femme, il y a surtout une collection de petits anges fessus dans cet escalier. Qui a dit que les anges n’ont pas de sexe ! Ils en ont un ici, bien visible lorsque le temps et l’humidité ambiante n’ont pas trop cruellement oblitéré les détails de la sculpture.

Plus encore que l’architecture proprement dite, la volée en ligne droite, et la surface de révolution ménagée entre chaque volée par des repos et des paliers à angles droits, c’est l’imaginaire de l’escalier ici qui est renaissant. Témoins de l’influence italienne qui ravive le goût de l’antique, les représentations qui fleurissent dans cet escalier froid et sombre sont celles de la nudité innocente, de la chair heureuse, des roses de la vie, qu’on voit partout reproduites dans les caissons de pierre des plafonds. Quelque souvenir des mythes de l’antiquité païenne informe, dirait-on, le décor de ce lieu dédié à la procession de l’évêque vers la chapelle haute, i. e. vers le siège de la prière que cet homme de foi mûrissait ici longuement chaque jour, sous le signe obscur du labyrinthe et du Minotaure.

Voici la porte de la chapelle Sainte Agathe, qui abrite un très ancien pavement de carreaux illustrés de motifs variés, et, au centre de ce pavement, le fameux labyrinthe. Ces carreaux, que l’on aperçoit dans l’entrebaillement de la porte, datent du début du XVIe siècle. Ils sont si usés que l’on hésite à s’engager dans la chapelle.

A l’entrée de la chapelle, creusé dans le mur, un bénitier s’inscrit dans un reste de fresque figurant, semble-t-il, un décor de rinceaux.

Les couleurs des carreaux se sont mieux conservées sur les bords de la chapelle et dans les angles, ou encore à l’emplacement de l’autel aux colonnes torses, qui a été déplacé et oublié depuis lors dans l’une des chapelles latérales de la cathédrale, sur le flanc gauche de la nef.

Sous nos pieds, les fragiles carreaux du XVIe siècle, et, au centre du cercle que nous formons, le labyrinthe, ou du moins sa trace disparaissante.

Il ne reste plus en effet du labyrinthe qu’une ombre à peine visible. La destination de cette figure était toutefois, dans la pensée de Philippe de Lévis et par sa volonté expresse, qu’elle fût foulée aux pieds et par là sacrifiée, ainsi néantisée ou conjurée.

On ne sait rien de plus sur l’intention qui a présidé jadis au choix d’une telle figure. On ignore tout de la raison pour laquelle Philippe de Lévis a voulu qu’au centre du labyrinthe se dresse le Minotaure. Si le labyrinthe, comme symbole du chemin spirituel, appartient à la tradition chrétienne, le Minotaure demeure une figure païenne.

Cet ange enfant, qui pleure, soutient la piscine liturgique dans laquelle, après avoir célébré les « saints mystères », Monseigneur de Lévis se lavait les mains.

A côté de la piscine, sur le pan de mur qui précède la balustrade d’où l’on aperçoit la profondeur de la nef, un discret blason a échappé au martelage révolutionnaire.

Il me semble que chacune de ces deux figures entretient volens nolens quelque rapport difficile à dire avec l’histoire du Salut et celle des hommes, ou, plus originairement encore, avec le Minotaure et le labyrinthe. Le sens de ces histoires se déploie sans se dire dans la vie de chacun de nous.

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2 réponses sur “Voir le labyrinthe…”

  1. Merci pour ce commentaire avec les photos bien réussis. C’est un beau souvenir d’un matin vraiment intéressante: Le Pays d’Art et d’Histoire nous proposent souvent les choses à ne pas manquer. Malheureusement, c’était seulement grâce à votre blog que j’avais la possibilité de visiter, cette fois, les églises romaines en Pays d’Olmes. Merci pour ça aussi!

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