Philippe de Lévis, la Résurrection et le Minotaure

Belles pierres de Mirepoix – Les anges de Philippe de Lévis

Philippe de Lévis, vingt-quatrième évêque de Mirepoix (1497-1537), à qui nous devons entre autres la restauration de la cathédrale, l’édification du palais épiscopal et l’embellissement du château de Mazerettes, ne s’est pas contenté d’être un prélat bâtisseur et esthète. Contrairement à d’autres évêques de la Renaissance, il s’est pleinement adonné aux devoirs de sa charge épiscopale, et il cultivait l’amour du prochain avant celui des pierres et des livres.

Villard de Honnecourt, le labyrinthe et l’évêque

Villard de Honnecourt, maître d’oeuvre qui a vécu et travaillé au XIIIème siècle, consigne dans son carnet de dessins [1]Cf. http://classes.bnf.fr/villard/feuillet/ le tracé d’un labyrinthe circulaire, semblable à celui de la cathédrale de Chartres, de la chapelle de la prévôté de Toulouse, et de la cathédrale de Mirepoix. Il s’agit d’une chose vue, relevée par Villard de Honnecourt lors de ses pérégrinations à travers la France. Le labyrinthe se trouve associé ici à diverses représentations animales. Telle association, de prime abord, surprend. Elle s’éclaire au regard des analogies que l’on repère peu à peu dans la composition de l’ensemble. Il s’agit d’analogies de type plastique, liées au jeu des formes circulaires, que Villard de Honnecourt décline en variations annelées, ainsi qu’à la répétition des lignes segmentées ou brisées qui arment la géométrie des figures. D’où vient que la géométrie semble travaillée ici par quelque arrière-pensée, quelque préoccupation fantastique ? D’où vient le sentiment d’inquiétante étrangeté que suscite la vue de tels dessins ? Il vient, selon moi, d’un excès de sens. Villard de Honnecourt, en effet, figure là more geometrico autre chose qu’un superbe jeu de formes. Il délègue à la géométrie le soin de signifier ce qu’il ne montre pas. Villard de Honnecourt reproduit ici le tracé du labyrinthe de Chartres, lequel tracé est aussi celui du labyrinthe de la prévôté de Toulouse, et, dernier de la série, celui du labyrinthe de Mirepoix. Le tracé ménage un centre vide. L’ensemble des figures dessinées par Villard de Honnecourt semble s’organiser en forme de réponse à la question qui n’est pas posée, mais plastiquement signifiée, relativement au vide qui demeure béant au coeur du labyrinthe. L’exploration des formes animales précipite la manifestation d’un effet de sens qui culmine avec la forme du chat représenté, à gauche du labyrinthe, dans une pose circulaire, laquelle se laisse mentalement superposer au centre laissé vide au coeur de ce dernier. Le chat, au Moyen-Age, passait pour un animal malin. Une bulle de Grégoire IX, en 1233, stipulait que les chats noirs étaient les serviteurs du Diable… Au centre du labyrinthe, ce qui, symbolisé par le chat, menace de s’ouvrir, c’est l’Enfer. Les formes d’insectes ou d’arthropodes semblent figurer l’angoisse des tourments infernaux. De façon paradoxale, la géométrie, ici, ne conjure pas l’angoisse ; elle l’accuse. Barres et cercles, annelés ou concentriques, signifient, dans la perspective des fins dernières, l’angoisse de l’inexorable. L’ensemble de figures reproduit ci-dessus montre que l’inquiétude métaphysique constitue la source et l’horizon sous le rapport desquels Villard de Honnecourt déploie more geometrico son art du dessin. Il montre aussi que la figure du labyrinthe se trouve associée, dans l’imaginaire collectif, à des représentations possiblement autres que celles de la Résurrection, par là pré-modernes, dans la mesure où elles témoignent de l’incertitude du Salut ou des mouches… Philippe de Lévis, commanditaire d’un labyrinthe dont le tracé est identique à celui du labyrinthe de Villard de Honnecourt, choisit, quant à lui, d’installer au centre du tracé la figure de l’antique Minotaure. On ne connaît pas les raisons d’un tel choix. Il s’agit, en toute hypothèse, d’un choix éclairé, certes possiblement assorti de considérations qui relèvent du secret de l’intime, mais nécessairement déterminé par le dogme, dans le cadre duquel l’évêque a vocation d’agir et de penser en témoin de la divine Espérance. Né de la pente du dessin, et, plus originairement, du démon de l’analogie, le chat qui, chez Villard de Honnecourt, vient habiter, comme en rêve, le centre laissé vide au coeur du labyrinthe, témoigne, quant à lui, d’un tour obsessionnel de la pensée imageante, et, via la géométrie conçue comme forme causative, d’un songe de la raison qui enfanterait des monstres. Il y a loin, de la folle pensée du dessinateur à la noble méditation de Monseigneur de Lévis. Villard de Honnecourt portait, semble-t-il, un regard tout particulier sur les personnages d’évêques.

Notes

1 Cf. http://classes.bnf.fr/villard/feuillet/
2 L. Foulques-Delanos, Manuel héraldique ou Clef de l’art du blason, 1816