La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Amors, qui la semenès… – Si l’on pouvait semer l’amour…

Amors, qui la semenès,
Nasquera aitan espés
Que d’un grat n’agra hom trés
E d’un plazer mais de dès,
E vint d’un donnéi ;
E d’un jai verai
Nasqueran cent jai,
Tro-m disses : eu n’èi
Mil tanz que non semenèi.

 
Si l’on pouvait semer l’Amour, il pousserait de façon si drue que d’une simple grâce on en aurait trois, et d’un plaisir, bien plus de dix, et vingt faveurs pour une seule. D’une joie vraie naîtraient cent joies, au point, dira-t-on, que l’on a récolté mille fois plus que l’on n’a semé 1.

Pèire Cardenal, auteur de ces vers, a été de 1204 à 1249 le secrétaire, le troubadour, l’ami de Raimon VI, puis de Raimon VII, comtes de Toulouse. Il a soutenu par ses chants l’engagement de ces derniers dans la résistance aux armées de Simon de Montfort et à la mainmise des Franses sur le pays d’Oc. Mais il n’a partagé ni la foi ni les pratiques des Cathares. J’y reviendrai dans un prochain article.

Cf. :  le beau site Pèire Cardenal. ; A propos de Pèire Cardenal, poète occitan du XIIIe siècle 

Guillaume s’engagea le premier dans le souterrain. Des chandelles ardentes éclairaient la voie ; la chambre où ils arrivèrent était richement garnie de tapis, de banquettes, de précieuses étoffes, de verdure. Guillaume et Flamenca s’assirent sur un lit peu élevé tandis que Marguerite et Alis [dames de compagnie de Flamenca] se plaçaient sur des coussins. Guillaume leur fit bon accueil. Puis, s’adressant à Flamenca :

Douce dame, lui dit-il, longtemps j’ai souffert pour vous un grief martyre, mais maintenant que nous voici rapprochés, je vous en sais gré. Vous ignorez qui je suis, sinon qu’Amour vous disait que j’étais votre homme.

– Beau sire, je sais que vous êtes homme de haut parage ; je le reconnais au caractère chevaleresque que vous avez montré en voulant être mon ami ; moins preux et moins élevé vous n’eussiez point pensé à moi.

Guillaume lui conta donc qui il était, comment il vint, de quelle façon il se comporta depuis son arrivée à Bourbon. Quant elle sut quel homme était Guillaume, son coeur fut inondé de joie : elle se jeta dans ses bras, le baisant avec effusion. Ils se prodiguent de mutuelles caresses, s’abandonnant l’un à l’autre sans réserve, chacun s’efforce de récompenser l’autre des maux cuisants, des longs désirs qu’il a soufferts. C’étaient de vrais amants : on en trouverait peu maintenant de semblables ; et cependant je connais au moins un qui les vaudrait bien, pour peu qu’il trouvât bonne compagnie ! 

Pour les curieux du vieil occitan, voir en bas de la page l’original des vers 5931-5963. 

Guillaume ne se montra point trop impatient : il sut se contenter des faveurs que sa dame lui accordait, et l’entrevue se passa en baisers, en caresses et en ces jeux qu’Amour enseigne à ceux chez qui il reconnaît un sentiment délicat. Ils repassaient les mots qu’ils avaient échangés, et leur plaisir était si vif que la bouche ne saurait l’exprimer ni l’esprit l’imaginer  (v. 5982)

L’oeuvre de Pèire Cardenal et le roman de Flamenca feront à Mirepoix l’objet de la journée d’histoire locale du samedi 19 septembre 2009 : Chant de guerre, chant d’amour au XIIIe siècle

Conférence du matin : La chanson de la croisade de Pèire Cardenal, avec Jacques Gourc, de l’université de Toulouse.

Conférence de l’après-midi : Le roman de Flamenca, avec Dominique Luce-Dudemaine, de l’université de Montpellier.

Amors, qui la semenès…

NB : Toutes les enluminures reproduites ci-dessus sont empruntées au site de référence enluminures.culture.fr.

A lire aussi :

Pèire Cardenal – Vie et oeuvres complètes bilingues vieil occitan-français
A propos de Pèire Cardenal, poète occitan du XIIIe siècle
Le roman de Flamenca, texte établi, traduit, commenté, assorti d’un glossaire du vieil occitan, publié pour la première fois par Paul Meyer en 1865
Le roman de Flamenca – Quand le a l’emporte sur le i
Le roman de Flamenca – Musique et jongleries pour la fête de la Saint-Jean

O veramens l’us l’autre ama…

Adonsc a mot e mot comtat
Guillems qui es ni consi veuc,
Ni en qual guisa si captenc
Daus que fo vengutz a Borbo.
Quant il saup de Guillem qui fo
Tan gran gaug en son cor l’en dona
Que del tot a lui s’abandona ;
Prent s’a son coll, estreg lo baisa,
De nulla ren mai non s’esmain
Mas que lo paesca pron servir
E de baisar e d’acuillir
E de far tot so qu’Amors vol.
Oilz ni boca [ni] mans non col
Ans l’us l’autre bais es estrein ;
De ren l’us vaus l’autre non fein,
Ans es totz cels d’entrels eissitz,
Qu’estier non fora jois complitz.
Adonsc a mot e mot comtat
Guillems qui es ni consi veuc,
Ni en qual guisa si captenc
Daus que fo vengutz a Borbo.
Quant il saup de Guillem qui fo
Tan gran gaug en son cor l’en dona
Que del tot a lui s’abandona ;
Prent s’a son coll, estreg lo baisa,
De nulla ren mai non s’esmain
Mas que lo paesca pron servir
E de baisar e d’acuillir
E de far tot so qu’Amors vol.
Oilz ni boca [ni] mans non col
Ans l’us l’autre bais es estrein ;
De ren l’us vaus l’autre non fein,
Ans es totz cels d’entrels eissitz,
Qu’estier non fora jois complitz.
Cascus s’esforsa de grazir
Lo cochos mal et lonc desir
Que l’us a per l’autre suffert ;
Neguns per amor ren no i pert ;
Gen los envida el[s] somon
De far tot so que lur sap bon.
O veramens l’us l’autre ama ;
Amors los empren elz [a] flama,
E dona lur de plasers tanz
C’oblidat an tot lur affans
Ques an suffert entro aissi.
Aquist eron amador fi,
Petit ne son ara d’aitals,
Mais non l’en cal, car un sivals
Ne conosc eu c’aitals seria
Si trobes bona compainia.

Flamenca, vers 5931-5963

Notes:

  1. Pèire Cardenal, Oeuvres complètes bilingues, S’ieu fos amatz o amès, III ↩︎

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1 commentaires au sujet de « Amors, qui la semenès… – Si l’on pouvait semer l’amour… »

  1. Martine Rouche

    Y aura-t-il assez de place dans la salle Paul-Dardier si tous tes lecteurs viennent à cette journée ? … Quel rêve ce serait de faire salle comble ! Allez : je joins mon invitation à la tienne : venez nombreux pour remercier les conférenciers de leur présence, de leur travail, de leur amitié, et venez vous régaler avec ces textes du XIIIe siècle !