La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Choses vues à Vals en août 2009

On voit l'église de Vals depuis notre vieille maison, située sur un coteau dans la vallée du Douctouyre. C'est dans la pièce que nous continuons d'appeler "la chapelle", bien que l'abbé Astrié, notre parent, l'ait quittée pour rejoindre l'autre monde il y a plus d'un siècle. L'église de Vals s'inscrit merveilleusement dans le cadre formé par la fenêtre de notre chapelle. La nuit, lorsque l'église est illuminée, c'est encore plus beau.
 
Hélas, trop vite poussé, un arbre, dont le feuillage déborde au bout de la rue, commence à masquer cette vue dont nous croyions pouvoir jouir toujours.  

Cherchez dans l'image où se trouve l'église de Vals. Elle est toute petite.

Depuis l'enfance, nous nous rendons à Vals chaque fois que nous sommes de retour dans la vieille maison, et cette visite a pour nous le sens d'un pèlerinage secret, chargé de souvenirs qui s'accumulent au fil des ans, empreint de nostalgie aussi. Mais plus que tout nous nous rendons à Vals parce qu'il s'agit d'un lieu qui a une âme, à la fois puissamment terrestre et mystérieusement autre, et qui a su la sauvegarder.

Nous sommes donc retournés à Vals dimanche dernier, et, remettant nos pas dans nos pas, nous avons refait le chemin qui mène du "château" à l'église, en passant par la ruelle où demeurait naguère l'abbé Durand et où la maison de cet homme d'exception abrite désormais une partie des collections rassemblées par ses soins.  

 

De gauche à droite : le "château", vaste maison forte qui fut au XVIIIe siècle la demeure de la comtesse de Lascaris Vintimille ; la maison de l'abbé Durand, préhistorien reconnu, découvreur des fresques de l'église de Vals. Datée de la fin du XVIIe ou du XVIIIe siècle, fort délabrée par la suite, restaurée depuis peu, la maison de l'abbé Durand accueille désormais le public dans le cadre d'un très chaleureux bar-expo. Outre une partie des collections de l'abbé Durand, celui-ci abrite, tout au long de l'année, des expositions temporaires, souvent dédiées à la peinture. Cf. A Vals, l'inauguration du bar-expo

Au pied de l'église, la stèle "en mémoire de l'abbé Julien Marie Durand, 1904-1976"

Après avoir dédié devant la stèle une pensée à l'abbé Durand, le préhistorien et le saint homme, auquel je compte bien consacrer prochainement un article, nous avons gravi le grand escalier, franchi la faille qui troue le rocher, et nous sommes entrés dans la nef obscure du Xe siècle, directement aménagée dans le rocher. Au sol, à peine visibles, la pierre tombale de l'abbé Durand et celle de la comtesse de Lascaris Vintimille, reproduite ci-dessous, en lumière naturelle, puis en lumière noire, – lumière des songes. 

Usée par le pas des fidèles, puis par celui des modernes visiteurs, l'inscription sur la pierre tombale de la comtesse est aux trois-quarts effacée. On la déchiffre cependant à la lueur d'une lampe de poche : 

DAME GER

MAINE DECA

SES COMTES

SE DE LAS

CARIS VINTI

MILLE DE CE

DEE LE 5 7bre

1760 

Dame Germaine de Cases, comtesse de Lascaris-Vintimille. Décédée le 5 septembre 1760. 

"Germaine de Cases, fille du Conseiller au présidial de Pamiers Jean de Cases, qui précéda de quelques semaines dans le tombeau sa mère Françoise de Serres, avait épousé le 3 mars 1729 Paul de Lascaris, capitaine d'infanterie dans le régiment du Blésois, originaire de Peyriac-Minervois" 1

Egalement conservée dans cette nef, une troisième pierre tombale porte le nom de Françoise de Serres, mère de la comtesse de Lascaris Vintimille.

CI GIT

DAME FRAN

COISE DE SE

RRES VEUVE

DE MRE JEAN

DE CASES

CONSer DECE

DÉE LE 17

9bre 1760

Je me suis demandé, sans connaître la réponse, où est enterré le conseiller Jean de Cases. Pourquoi ceux-là, père, mère, fille, ne sont-ils pas réunis dans la mort ? Pourquoi fille et mère sont-elles parties l'une après l'autre avant la fin du même automne 1760 ? Le château seul est resté, qu'elles habitaient toutes deux sans doute. Mystère des destinées oubliées… 

J'ai comme chaque fois longuement regardé les fresques peintes sur la voûte et les murs latéraux de la nef supérieure. Il y a toujours un détail auquel jusqu'ici l'on n'avait pas prêté suffisamment attention et que l'on redécouvre comme si c'était la première fois.

J'ai déja reproduit dans plusieurs articles précédents 2 quelques unes des très belles photos réalisées par Serge Alary, responsable de l'Association des Amis de Vals. Je me suis contentée hier de photographier pour la xème fois deux ou trois images qui m'intriguent ou m'obsèdent, deux d'entre elles parce qu'elles demeurent lacunaires, la troisième parce qu'elle me regarde chaque fois que je viens, d'une façon que je n'explique pas. Cette image qui me regarde, c'est celle de l'inconnu au regard intense que l'on voit ci-dessus. Le Christ sans doute. Egalement reproduit ci-dessus, le petit visage mutilé appartient à la scène de visitation de l'Enfant par les Rois Mages que le percement tardif d'une nouvelle fenêtre dans l'abside a fait disparaître hélas à tout jamais.   

Cette autre scène, gâtée par l'humidité, semble grandiose. Elle demeure cependant indéchiffrable. On y voit des ailes d'ange et… Le sentiment de la perte ajoute à l'inquiétude du message dont le sens échappe. La contemplation des fresques de Vals est faite aussi aujourd'hui de cette perplexité douloureuse, difficile à dire, mais que je serais tentée d'expliquer, conformément à la pensée de Walter Benjamin, par la nostalgie de l'aura et le constat d'un certain désenchantement du monde. 

Là-haut, sur la tribune qui surplombe la nef supérieure, nous avons tenté de mieux voir le grand tableau remisé dans l'ombre, derrière une statue toute blanche, héritée du XIXe siècle. La toile s'éclaire un peu lorsqu'on ouvre la porte qui donne sur la terrasse, suspendue au flanc du donjon de l'église. Serge Alary nous a confirmé qu'il s'agit d'un portrait de Saint Jean Baptiste. Le portrait semble beau, le mouvement, puissant. Il faudrait le restaurer, dit Serge Alary. Mais cette restauration coûte une fortune…  

Avant de gagner la terrasse, j'ai photographié l'un des vitraux offerts en 1887 par la marquise de Portes et sur lesquels figurent les armes de la donatrice, – tour et trois oies, ou, mieux disant, "d'azur à la fasce d'argent accompagnée en chef de trois merlettes d'argent et en pointe d'une tour d'argent maçonnée de sable" 3 -, ainsi que la devise de la famille de Portes : Per pla aïré (cliquez sur l'image pour l'agrandir). "Vals dépend en effet du doyenné du Pays d'Olmes-Mirepoix et du secteur paroissial de Rieucros" 4, comprenant entre autres Manses, fief attribué par Louis XV à la famille de Portes.

Alors que je me penchai sur la nef depuis la tribune réservée jadis à la famille de Portes, j'ai aperçu deux enfants bien sages qui considéraient silencieusement l'église. Nos regards se sont croisés. Il y a toujours une question qui se partage dans ce choc des regards, – Qui es-tu ? Où vas-tu ? – et qui renvoie chacun de nous à l'énigme de son propre chemin terrestre. 

Frappée par la lumière qui ourlait mystérieusement la porte de la terrasse, je l'ai photographiée aussi, avant de rejoindre les miens, sous l'horloge, dans l'éclat du grand jour.

Me voici maintenant sur la terrasse, au flanc du donjon qui surmonte l'église. L'heure affichée ici n'est pas celle de nos montres. Ce suspens des aiguilles répond au geste du Christ en gloire figuré plus bas sur la voûte de l'église.

Installée jadis sur l'un des murs d'enceinte du site, cette croix discoïdale, d'origine et de signification inconnues, a été transférée en altitude où elle se trouve soustraite à la convoitise des mystes et autres illuminés .

Les pierres du donjon sont de couleur ocre et rouge. Elles se trouvent rendues plus belles encore par le travail de l'érosion, qui révèle la matière et le grain, et magnifie de la sorte la couleur.

Pluie et vent, soleil et neige font ainsi qu'elles témoignent silencieusement du passage des saisons et des siècles. La nue patience des pierres illustre celle des hommes de foi, plus spécialement celle du Père Capelle qui a ici charge d'âmes, et d'une certaine façon aussi, celle des Amis de Vals, ou de toute autre belle église de campagne, qui déploient des trésors d'énergie pour aider à maintenir debout et vivant ce qui, sans le soin de tous, a pour triste destin de finir à l'abîme.

Ci-dessus : exposés dans la salle d'exposition qui fait face à l'église, fragments de verreries médiévales, trouvés au pied de l'église, à l'emplacement du château jadis attenant à cette dernière. Serge Alary souligne qu'il s'agit là de vestiges rares et précieux, car la verrerie médiévale a été presque totalement détruite et demeure à ce jour mal connue.

L'église de Vals, heureusement, demeure debout, ouverte, mystérieusement vivante toujours, même si la foi ardente des pèlerins de jadis revêt aujourd'hui le visage plus obscur de la curiosité qui se cherche et s'étonne, ou encore de la passion archéologique. L'essentiel est sans doute dans le pas que l'on fait vers l'ouvert de horizon, lequel comprend dans son déploiement chaque jour renouvelé à la fois le passé, le présent et l'avenir. Des verreries médiévales au bâton du pèlerin, de la curiosité à la passion archéologique, de la mémoire à la foi, il y a une continuité du pas, ou du sens, il me semble.    

Ci-dessus : virole et pointe de l'extrémité ferrée d'un bâton de pèlerin (XIIe ou XIIIe siècle). Egalement présentés dans la salle d'exposition qui fait face à l'église, ces vestiges ont été découverts à Vals contre le pied droit d'un squelette, à l'intérieur d'un caisson de pierres.

A lire aussi :

Les fresques de l'église rupestre de Vals
Sous le regard de l'ange Pantasaron
Quand Pantasaron et Pantagruel sont dans un bateau
L'inconnu de Vals
Autres images de l'inconnu de Vals
Le "vrai" visage du Christ
Une bien jolie confession de Raymond Escholier à l'abbé Durand
A Vals, l'inauguration du bar-expo

Notes:

  1. Séances générales tenues par la Société française d'archéologie, 1885 ↩︎

  2. Cf. A lire aussi. ↩︎

  3. Remarque et blason renseignés par Martine Rouche ↩︎

  4. Cf. Histariège, Vals ↩︎

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1 commentaire au sujet de « Choses vues à Vals en août 2009 »

  1. Martine Rouche

     » Le récent reclassement du dépôt de fouilles de Vals a été l’occasion d’un nouvel examen des verres découverts à la fin des années 1950 par l’abbé DURAND dans le petit réduit de 3 m2 attenant au Roc Taillat. Rappelons que ces verres étaient tous groupés, vers 1 mètre de profondeur et au niveau du sol d’habitation, dans une mince couche scellée par l’effondrement des murs dudit réduit.
    […]

    De qui sont ces lignes ? De Serge Alary.

    De quand datent-elles ? Du 1er septembre 1990 …. (Bulletin de l’association des Amis de Vals, n° 25, pages 7 à 18)

  2. Martine Rouche

     » Quand le visiteur pénètre dans l’église de Vals par la faille naturelle et l’escalier qui parvient au sanctuaire, il arrive dans un vestibule et ses pieds foulent deux pierres tombales, à même le sol, qui rappellent que Germaine de Cazes, comtesse de Lascaris Vintimille, fille de Jean de Cazes, Conseiller au Présidial de Pamiers, fut enterrée là, le 5 septembre 1760, ainsi que sa mère Françoise de Serres, le 17 novembre 1760. […]  »

    Ces lignes sont le début de l’article « Le mariage de Germaine de Cazes de Vals avec Paul de Lascaris de Peyriac Minervois  » , d’André Nouziès, in Bulletin de l’association des Amis de Vals, n° 32, 1er mars 1994, pages 2 à 5.

  3. Martine Rouche

    Dans son compte-rendu d’une excursion de la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts (1885), notre ami Jules de Lahondès parle « des pierres rougies et roussies de la Tour de Vals  » …