La dormeuse blogue

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A propos de Pèire Cardenal, poète occitan du XIIIe siècle

Né au Puy-en-Velay en 1180, filz de cavalier e de domna, Pèire Cardenal entre en poésie en l’an 1200, puis à la cour de Raimon VI, comte de Toulouse, en 1204. "Pendant un quart de siècle, le poète va vivre au plus près du pouvoir toulousain et se retrouver ainsi à un poste privilégié pour voir l’apogée de la civilisation occitane et sa ruine, les plus belles preuves de chevalerie mais aussi les pires félonies, les élans mystiques et les turpitudes, et sa verve s’épanouir en sirventès (couplets) enflammés" 1. A partir de 1209, il devient le chantre de la résistance "albigeoise" à la "croisade" menée par Simon de Montfort. Il ne semble pas que Pèire Cardenal eût été cathare. Il consacre en revanche une bonne part de sa production poétique à la dénonciation de la mainmise des Franses sur le pays occitan, et plus encore à celle de l’oppression exercée par un clergé dévoyé sur la société du temps. A ce titre, il a joui d’une réception toute particulière auprès de la communauté cathare, et certains commentateurs contemporains ont pu, forçant le trait, l’annexer à cette dernière. 

On approuve les Français et les clercs du mal qu’ils font 
parce qu’il leur réussit,
et les usuriers et les traîtres pareillement
sont les maîtres de ce temps,
car avec le mensonge et la tromperie 
ils ont tellement troublé le monde entier 
qu’il n’y a point de communauté (religïo)
qui ne sache d’eux sa leçon
2.

 

La vie et l’oeuvre de Pèire Cardenal font l’objet d’un site magnifique sur le Web : Pèire Cardenal. Outre une importante biographie qui mêle subtilement l’histoire de l’homme et les mots de l’oeuvre, on trouve sur ce site, en version bilingue (ancien occitan/français moderne), la totalité de l’oeuvre de Pèire Cardenal, telle que celle-ci nous est parvenue : 96 pièces, 4393 vers.  En appendice, un riche dossier d’études et jugements sur l’œuvre de Pèire Cardenal, téléchargeables au format .pdf. 

L’oeuvre poétique de Pèire Cardenal est très belle, poignée par les tourments et les désordres du temps, nourrie aussi par un lyrisme natif, en lequel chacun peut se retrouver. Le fait qu’une telle oeuvre soit rendue accessible dans sa totalité sur un site Web ne relève pas du miracle, mais de la passion et du travail désintéressés du ou des créateurs du site. Quelles que soient les critiques qu’on lui adresse, le Web peut être aussi lieu de partage de l’essentiel, lieu ainsi de profonde humanité. 

Ni de Dieu non tenc un pogés,
Mas un’ arma que li rendrai
3.

Notes:

  1. Pèire Cardenal ↩︎

  2. Franses e clerc an lauzor / De mal, quar ben lur en pren / E renovier e trachor  / An tot lo segl’ eissamen, / C’ab mentir et ab barat  / An si tot lo mon torbat / Que no-i a religïo / Que no’n sapcha sa leisso. Oeuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal, LXXIV, 2 ↩︎

  3. Oeuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal, XL, 2 : De Dieu je ne tiens pas le moindre denier, / il ne m’a donné qu’une âme, que je lui rendrai. ↩︎

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dans: Ariège, littérature.

1 commentaire au sujet de « A propos de Pèire Cardenal, poète occitan du XIIIe siècle »

  1. Martine Rouche

    Comme le Lapin Blanc d’Alice, je suis en r’tard, en r’tard !! Mais j’arriverai à rattraper !
    Tu nous fais découvrir des merveilles, sois-en remerciée ! Ton texte est synthétique et clair, comme toujours, et tu suggères d’aller sur un site effectivement extraordinaire. J’ai prélevé une citation qui me rappelle une formule sage que disait ma grand-mère ariégeoise …

    Je ne crois pas qu’à l’heure de la mort
    nul puisse emporter
    richesses ou parure,
    mais seulement les actions qu’il a accomplies.
    (XX)

  2. continuum

    Dites-moi, chère Dormeuse, connaissez-vous Rosina de Pèira, qui chante aujourd’hui la langue occitane et qui perpétue la tradition des troubadours ?
    Pour ma part, je prends de plus en plus de goût à découvrir votre territoire, à travers vos délicieux billets, qui me transportent autant par la grâce et la noblesse de votre écriture, que par les mille et une saveurs que vous savez y distiller.

  3. Martine Rouche

    Deuxième lecture, deuxième régal, et j’ai trouvé un petit zeugma !!