La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Marionnettes, marionnettes !

Mirepoix fêtait, la semaine dernière, le 20e festival des arts de la marionnette. Je me suis mêlée à la fête, et j’ai glané quelques images. L’atmosphère de Mirepoix durant le festival de la marionnette, c’est celle du Petit Cirque de Fred. Poésie modeste, fastes de l’illusion, bonheur champêtre. Ci-contre : une image empruntée au Petit Cirque de Fred. Bienvenue au pays des rêves…

Ci-dessus : allée des Soupirs, au pied d’un chapiteau, avant le spectacle.

J’étais avec des amis, spécialement venus de Toulouse pour le festival. Esbaudis comme larrons en foire, nous sommes allés voir, à 22 heures 30, Peur(s) du noir, un film d’animation, conçu et réalisé en noir et blanc par Blutch, Charles Burns, Marie Caillou, Pierre di Sciullo, Lorenzo Mattotti, Richard McGuire, produit par le studio Prima Linea Production. Synopsis Le frôlement rapide de pattes d’araignées sur une peau nue… Des bruits inexplicables que l’on entend la nuit, enfant, dans une chambre close… Une grande maison vide dans laquelle on devine une présence… L’aiguille d’une seringue qui se rapproche inexorablement… Une chose morte emprisonnée dans un bocal de formol… Le regard fixe d’un grand chien qui montre les dents… Autant de frissons…

"Six grands auteurs graphiques et créateurs de bande dessinée ont animé leurs cauchemars, griffant le papier de leurs crayons affûtés comme des scalpels, gommant les couleurs pour ne garder que l’âpreté de la lumière et le noir d’encre de l’ombre. Leurs récits entrelacés composent une fresque unique, où phobies, répulsions et rêves prennent vie, montrant la Peur sous son visage le plus noir…" 1 "Comme d’habitude, ça a voir avec le sexe… et les insectes" 2.

Ci-dessus : image Richard McGuire

Raah ! C’est grinçant, et ça fait vraiment peur ! Malaise garanti. Je suis sortie, les yeux de travers. La bande-son, superbement gore, me poursuivait encore, une heure plus tard, dans la nuit. Le film est très réussi dans son genre : rires nerveux à la sortie ; puis âpre controverse entre amis. Nous avons tous mal dormi.

Ci-dessus : image Charles Burns

Le lendemain, nous sommes allés voir, un peu au hasard, deux des onze spectacles proposés dans le cadre du festival on. Difficile de choisir sur la foi des maigres indications fournies par le dépliant-programme. Nous nous sommes rendus d’abord au Kiosque de Lucy, une réalisation du Théâtre de la grande rue, de et avec Darlène et Bruno Frascone.

Darlène et Bruno Frascone, magiciens de la lumière, jouent avec des marionnettes à fil, dont Madame Teapot, une drôle de théière, qui vient en dansant servir le thé sur la scène. Ils ont pour partenaire Lucy, la marchande de rêves. Sur proposition de cette dernière, qui parle dans son kiosque lorsqu’on tourne le bouton, ils s’appliquent à réaliser les rêves de leurs marionnettes. Les rêves du marin, de l’astronome, du peintre, les rêves des petits fantômes. Puis le soleil vient dissiper les ombres de la nuit…

De gauche à droite : la barque du marin trace un sillage dans la nuit ; la lune, descendue du ciel, veille sur le sommeil de l’astronome.

Le spectacle est d’une beauté féerique. Concentrées dans un rond de lumière, des images surgissent, mouvantes, radieuses : la barque du marin sur l’océan, le cabinet de l’astronome, le ciel étoilé, l’atelier du peintre, le ballet des fantômes…

De gauche à droite : l’atelier du peintre ; le ballet des fantômes.

Hormis les quelques propos échangés entre le marionnettiste et Lucy, puis la musique de Chostakovitch, qui rythme le ballet des fantômes, l’ensemble du spectacle se déroule en silence. Le public retient son souffle. L’entrée des fantômes suscite soudain cris et rires chez les petits enfants. Le soleil se lève alors, en un dernier tableau flamboyant. Poésie de la nuit, magie de la lumière. Invitation à poursuivre d’autres songes vers le réveil…

Prenant congé du Kiosque de Lucy, nous nous sommes promenés sous les platanes, dans l’allée des Soupirs. Puis nous sommes allés voir, sous un petit chapiteau, A la santé des oubliés, un spectacle forain proposé par le théâtre de La sirène à deux queues et Alcazar marionnettes. Le chapiteau est si petit qu’à l’enseigne de la sardine, on s’entasse forcément comme font dans une boîte les sardines ! On ne risque pas d’avoir froid. Un des deux comédiens referme soigneusement la porte de toile du chapiteau. Le silence se fait instantanément. Horror et voluptas, le frisson du théâtre traverse le public ! Les bancs touchent la scène. Le castelet, les rideaux de scène, tout se trouve à la hauteur du public. Il s’agit là d’un théâtre de proximité, inspiré des spectacles de foire qui ignorent la distance nécessaire à la révérence, et bravent par là les usages propres au théâtre de cour 3.

Le Pitre monte en scène le premier. Il appelle à grands cris son Patron. Il chante, éructe, déblatère, entrelarde son propos de tirades à l’ancienne, noblement versifiées. Le titre de la pièce, A la santé de oubliés, indique pour le moins qu’il s’agit d’un discours d’ivrogne. L’ivrogne a quelque chose de Falstaff. Une belle santé. De la gueule, de la tripe, de l’humanité aussi. Puis, le Patron paraît. C’est, relativement au Pitre, un sombre avatar du clown blanc. Moins de gueule, moins de tripe, moins d’humanité aussi. Les deux, en tout cas, font sournoisement la paire, comme on voit dans les comédies de Molière, dans Jacques le Fataliste ou dans En attendant Godot.

Tandis que le Pitre et son Patron s’apprêtent à ouvrir leur petit théâtre de marionnettes, on apprend que le Pitre est né d’une mère cantinière, qu’il a fait ses premiers pas sur le théâtre de la guerre, et qu’il a un peu détroussé les cadavres afin de mettre du beurre dans les épinards de sa Maman. Au Patron qui lui reproche son passé et sa conduite inqualifiables, le Pitre répond noblement : "Laisse Maman en dehors de la question".

Le Pitre et son Patron mettent en scène, sur leur théâtre de marionnettes, un Philosophe qui se rend à l’auberge pour oublier la Mégère qu’il a épousée, et qui, une fois sur place, accepte de trinquer avec la Mort. Le Philosophe s’enivre. La Mort aussi. Ce moment de soulographie induit, de façon baroque, un effet de renversement dans la relation qu’entretiennent marionnettes et marionnettistes. Dédaignant de satisfaire à la requête du trop docile Philosophe, la Mort, qui a un coup dans le nez, repart en quête de victime afin d’exécuter derechef sa besogne. Elle songe, dirait-on, aux marionnettistes… Je n’en dis pas plus. Le dénouement sidère.

D’esprit typiquement baroque flamand, la pièce mêle, de façon complexe, effets de théâtre dans le théâtre, parodie des genres, références secrètes (Le Roman Comique (1651-1657) de Scarron, Les aventures de Simplicius Simplicissimus (1668) de Grimmelshausen, Candide de Voltaire), philosophie de l’absurde et lait de la tendresse humaine. Le résultat est superbe, servi par des comédiens et/ou marionnettistes prodigieux.

Ci-dessus : Les "idiots" ne sont pas toujours ceux qu’on croit. Dessin emprunté encore une fois au Petit Cirque de Fred.

Vue d’un petit théâtre pittoresque, installé au pied de la cathédrale.

Je n’ai pas eu le temps de visiter ce Musée des Petites personnes. Je n’ai pu assister non plus à aucun des spectacles du festival off. On m’en a dit des merveilles. J’en conclus qu’il faut que je m’organise pour assister, l’année prochaine, à trois fois plus de spectacles, donc que j’y consacre quatre jours entiers. Mes amis de Toulouse en redemandent aussi. En attendant mieux, j’aime à me souvenir de la formule du Pitre : "Laisse Maman en dehors de la question" 🙂

Notes:

  1. Peur(s) du noir, synopsis ↩︎

  2. Interview de Charles Burns ↩︎

  3. Major e longinquo reverentia, "plus grande est la distance, proportionnelle est la révérence" disent les tragiques, d’une formule empruntée à Jean Racine, dans une lettre à l’abbé Le Vasseur ↩︎

Cette entrée a été publiée .
dans: Ariège, art, Mirepoix.

1 commentaires au sujet de « Marionnettes, marionnettes ! »

  1. Martine Rouche

    Life is but a walking shadow, a poor player that struts and frets his hour upon that stage and then is heard no more.

    Macbeth, V, 5.