La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Pour saluer Rabelais, dans le texte

Gargantua, chapitre XXIII : Comment feut meue entre les fouaciers de Lerné, & ceulx du pays de Gargantua le grand debat, dont furent faictes grosses guerres.

En cestuy temps, qui feut la saison de vendanges au commencement de Automne, les bergiers de la contrée estoient à guarder les vignes, & empescher que les estourneaux ne mangeassent les raisins. En quel temps les fouaciers de Lerné passoient le grand quarroy menans dix ou douze charges de fouaces à la ville.

Lesdictz bergiers les requirent courtoisement leurs en bailler pour leur argent au pris du marché. Car notez que c'est viande celeste, manger à desieuner des raisins avecq la fouace fraiche, mesmement des pineaulx, des fiers, des muscadeaux, de la vicane, & des foyrars pour ceulx qui sont constipez de ventre. Car ilz les font dasler long comme un vouge : et souvent cuydant peter ilz se conchoyent, dont sont nommez les cuidez de vendanges. A leur requeste ne feurent aulcunement enclinez les fouaciers, mais (que pys est) les oultragèrent grandement en les appellant Trop d'iteulx, Breschedens, Plaisans rousseaulx, Galliers, Riennevaulx, Rustres, Challans, Hapelopis, Trainegeines, gentilz Floquetz, copieux, Landores, Malotruz, Dendins, Baugears, Tezez, Gaubregeux, Gogueluz, Clacledens, Boyers d'etrons. Bergiers de merde, & aultres telz epithetes diffamatoyres, adioustans que poinct à eulx n'apartenoit manger de ces belles fouaces : mais qu'ilz se debvoient contenter de gros pain ballé, & de tourte.

Génial Rabelais, à lire sans modération, à haute voix ou en laissant parler la voix intérieure.

De quoi rafraîchir son dictionnaire de mots, les gros, les hardis, les foutraques, les foireux ; ceux qui pètent de santé, de primesaut, et même autrement…

On se lâche.

Et lorsqu'un mot ne parle pas, on passe. De la musique avant toutes choses. Du son. La lettre suivra.

Source des illustrations reproduites ci-dessus : Gallica/BnF.

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dans: littérature.

1 commentaire au sujet de « Pour saluer Rabelais, dans le texte »

  1. Martine Rouche

    Si nous reprenons les derniers textes : silènes, chèvrepiés, merveilleux, incroyables, muscadins, muguets, gandins, brechedens, riennevaulx, clecledens, inconcevables, ET QUAEDAM ALIA …
    Effectivement, quel riche vocabulaire tu nous rappelles, du plus précieux au plus cru, ou du plus artificiel au plus naturel …

  2. Anne-Marie Dambies

    Truculence, gras des mots, évocation de sensations et de visions  fortes et grâces au ciel, l'utilisation de tous ces subjonctifs, tombée en désuétude