La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Jean-Pierre Pourtier expose à la galerie 113

C'est à Castelnaudary, au bord de la RN 113. Installée dans une ancienne dépendance de la station Avia, la vitrine de la galerie 113 reflète au soleil couchant un paysage étrange, comme un décor de road movie. Jean-Pierre Pourtier expose à la fois dehors et dedans. Un ensemble de sculptures se dresse ainsi, géant, muet, à la lisière du monde comme il va, sur fond de mobilier urbain et de grand ciel.  

Effet de la dramaturgie du couchant, les reflets figurent dans la vitrine de la galerie un peuple des confins qui s'assemble mystérieusement aux abords des villes.  

Effet de la dramaturgie du couchant, disais-je, les reflets augurent dans la superposition progressive des plans le réveil de puissances obscures, le soulèvement de forces latentes. 

Rattrapée par le crépuscule, la peinture se laisse marquer au front par la lettre la nuit.

Tandis que la nuit tombe sur la route, la lumière s'attarde dans la galerie comme le bruit d'un coquillage au fond de la mer. 

Deux espèces, dans la crudité du jour électrique, se rencontrent. De dos, l'artiste et ses invités. De face, équipée de béquilles ou de pilons métalliques, la cohorte de ses créatures. Rêvant que, là tout de suite, de telles créatures se mettent en marche, que le martèlement des pilons se fasse entendre, je me suis laissé surprendre par l'afflux de deux images incidentes, celle de la Grande Galerie de l'Evolution et celle des Aveugles de Brueghel.    

Des deux règnes qui se côtoient, l'un se berce de sa propre rumeur, l'autre se tait, ou plutôt, comme font les bêtes, il parle en silence, et c'est ainsi qu'il nous atteint, sans que nous sachions comment ni pourquoi, ni même que nous nous attendions au possible d'une telle atteinte.  

L'oeuvre de l'art, dans sa découpe sans pourquoi, s'emporte ici à même la matière de la nuit qui vient. 

L'oeuvre de l'art, dans son phrasé sans commencement ni fin, s'emporte là à même la disparition élocutoire de l'artiste, tandis qu'une traîne de mots inarticulés s'attarde sur la toile, comme autant d'indices épars de cette disparition première. 

Disposées ici dans une relation de vis-à-vis qui les rapporte l'une à l'autre comme la forme au fond, peinture et sculpture impriment à l'espace une tension rythmique, un pas, ou un pouls, dont la perception intrigue et inquiète tout à la fois.

Chaque forme est vide pourtant, mais ce vide constitue le possible d'un être, tout entier réduit aux seuls plis de la peau qui, étrangement, lui tient lieu de corps, de corps-manteau.

Fugitivement, l'imagination des formes éveille ici le souvenir des espèces déjà vues au muséum d'histoire naturelle, et plus encore celui des visions de la fièvre et du rêve.

A propos de son oeuvre, l'artiste dit qu'elle procède d'une pulsion, que la pulsion requiert le geste, et que le geste, ainsi requis, et pour autant qu'il se laisse requérir, devient "parole", i. e. parle en langue, sa langue. La matière de cette langue, c'est le papier journal, dans lequel l'artiste, à partir du croquis esquissé comme en rêve, modèle le geste, le révèle à son pouvoir-être propre, partant, à sa vérité dans l'espace et dans le temps. La vérité du geste s'inscrit ainsi dans les plis et les replis d'une matière transformée au point qu'elle ressemble à la peau, douce au toucher, vaguement animale, translucide ou brillante, et, comme on le verra plus loin, de couleur superbement changeante en fonction du lieu et de l'heure.    

J'ai demandé à l'artiste comment il procède pour passer de l'immédiateté du geste à des sculptures de si grande dimension. Il m'a désigné le groupe que l'on voit ci-dessus. Il s'agit là du modelé initial, celui qui résulte du geste source. La réalisation des grandes sculptures, par la suite, est le fruit d'un travail plus technique d'agrandissement.   

Ces créatures de la nuit se dressent au bord de la RN 113, devant la Galerie 113, à côté de la station Avia. Jean-Pierre Pourtier expose à la Galerie 113 peintures et sculptures jusqu'au 20 décembre 2009.   

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1 commentaire au sujet de « Jean-Pierre Pourtier expose à la galerie 113 »

  1. A Marie Dambies

    Cela me fait plutôt penser à des flamands roses sur un étang de Camargue!!!

  2. Martine Rouche

    Modeste analogie : Don Quichotte et Sancho Pança esquissés par Picasso …

  3. Pourtier

    Je ne parviens pas vraiment à saisir l’identité de la personne qui à écrit ce texte, je profite donc du blog pour vous contactez
    En tout cas merci pour l’inattendu, cela me touche particulièrement
    Votre approche me plait beaucoup, car vous êtes du regardeur qui se laisse imprégner par les états visuels du non sens, laissant le corps à la circulation de la roche et de la nuit , où l’air prend le dessus sur l’essence du mental. C’est ce que j’en attends de l’exposition.
    Je trouve cet écrit particulièrement sensible pour en crypter l’incohérence du geste.

    Le non sens de la parole vacante, prends finalement du sens
    C’est cela que je nomme ‘du vivant’
    L’exposition pour moi se doit non pas de nous révéler un sens de transposition ou le regardeur serait en posture de dialoguer avec l’œuvre qui lui est soumise, sous quelques formes que ce soit, mais bien l’inverse, l’œuvre doit transporter le regardeur dans un tourbillon de ‘non parole’, hors de ses usuels schémas mentales et émotionnels.

    Pourtier