Après deux mois de douces vacances, le Rameau musical de Dun entame une nouvelle saison de concerts. L’atelier de chant a repris ses activités ; les répétitions se précipitent ; le premier concert de la saison aura lieu le vendredi 2 octobre, à 20h30, à l’église des Issards. Colette Autissier, qui dirige d’un gant de velours le Rameau de Dun, m’a proposé de venir assister à une répétition. Comme "le maître a toujours raison", dixit Colette, j’ai accepté illico presto, en outre avec un plaisir non dissimulé. Cherchez dans l’image ci-dessus le chat qui s’y trouve caché. C’est le chat de Colette. Il est musicien, il assiste à toutes les répétitions.
Il fait bon et on se sent bien dans la thébaïde chantante de Colette. Je dis thébaïde, parce qu’il s’agit d’une maison des champs. Colette préfère le pizzicato des oiseaux au wah-wah des camions. Je suis arrivée à la nuit tombante. Les fenêtres rayonnaient dans la pénombre. Je suis entrée dans un vaste salon de musique dont la profondeur se trouve réfléchie en arrière-plan par une mosaïque de miroirs. Partout des classeurs, remplis de partitions. Un piano. Le synthétiseur de Christian, l’accompagnateur du Rameau de Dun, qui est venu brancher son instrument en avance. Rangées en demi-cercle, trois rangées de chaises, destinées aux chanteurs. Derrière les chaises, une grande cheminée. Confortablement installé sur une table basse, Monseigneur le chat attend qu’on lui donne concert. Encore une fois, cherchez dans l’image ci-dessus noble le Chat qui s’y trouve caché.
Avec l’arrivée des chanteurs, teint bronzé, mines réjouies, le salon s’anime, et bientôt fourmille et babille. Colette subito, de son gant de velours, trace dans l’air le signe qui marque la fin de la récréation, et de façon gourmande elle propose qu’on se livre là tout de suite, sur "deux petits canons amusants", au "chauffage des voix". Auparavant, on fait un tour de présentation, car il y a des nouveaux : une basse, un alto… Andrew, digne représentant de la communauté britannique, arrive en douce, sans sa cornemuse cette fois, – dommage, j’aime bien.
Et le chauffage commence…
Unissons nos secondes, nos tierces, nos quartes, nos quintes, nos sixièmes, nos septièmes, nos octaves,
Chantons nos intervalles,
Chantons-les en canon !
Chantons-les -z- en canon ! La liaison du "z-en canon" m’enchante. Elle est voluptueuse. Colette parle du tempo de ce canon comme d’un "rouleau qui avance toujours". Et elle mande qu’on ouvre – la bouche, et le son – sur le a de nos octaves ! Après un nouvel essai, elle invite chacun à "se concentrer sur ses propres sons", sur sa propre "résonance". Elle conseille à quelques uns de changer de place pour échapper, observe-t-elle, à "l’attraction des basses", i. e. des messieurs à fortes moustaches qui sont assis au fond du salon, sur le rebord de la cheminée.
Après ce chauffage canonique, le choeur répète d’abord l’Alleluia de Tim Brace. Colette distribue les exemplaires de la partition. "On n’a pas peur, on fonce !", dit-elle. Dont acte. Le choeur chante. "Il faut placer les mots au bon endroit, et commencer par un do à l’unisson", remarque-t-elle à la suite de ce premier essai. Nouvel essai, vite stoppé, – d’un gant de velours : "Dieu, que c’est triste ! C’est un alleluia !" Nouvel essai. Colette, d’une voix de velours : "On va se brûler les ailes ! Ça va être très, très bien !" D’une voix moins enthousiaste cette fois : "Mais le Amen ? ââââhhh… Il n’était pas joli, il était dans le gosier. Il fait l’ouvrir avant". Et d’ajouter : "Ne respirez pas entre le do et le mi. Il ne faut pas reprendre sa respiration avant le la de "Alleluia". Les petits nouveaux éprouvent, semble-t-il, une légère inquiétude.
Le choeur répète maintenant l’Alleluia en canon. "Aïe !", s’écrie Colette, "la tonicité du début est complètement perdue. Il ne faut pas écouter les autres…". Et, se tournant vers les basses : "Les hommes ! Du tonus, jusqu’au bout ! Là non, on pédale dans la semoule". Puis, s’adressant à tous : "Il faut mettre les paroles au bon endroit des notes. Et attention au la de Alleluia…"
Dernier essai et conclusion de Colette : "C’est au point rythmiquement, mais musicalement, pas trop. Tout le monde doit rentrer en force dans le A, ensuite chanter un peu piano pour laisser entrer les autres en décalé".
Le choeur répète ensuite le Da ispravitsa molitva moya de Dmitri Bortniansky (1751-1825). Colette demande à entendre d’abord séparément chacune des voix ; soprani 1, soprani 2, alti, ténors et basses. "Stabylez votre partition", conseille-t-elle au passage à ceux qui peinent à retrouver l’endroit où ils interviennent.
Les soprani déroulent ici comme un fil d’or les sublimes variations du chant orthodoxe. Colette hoche la tête, d’un air dubitatif : "Vous avez tendance à vous rejoindre… Laissez votre voix jouer avec le demi-ton. Ici, les demi-tons se frottent…" Pour illustrer ce frottement, elle égrène doucement les demi-tons sur le piano.
Revenant également sur le rythme, Colette insiste sur les triolets : "Pam", Pim". "Ne quittez pas le souffle pendant les triolets". Elle chante, et du doigt, elle scande, pam, pim… "Inscrivez trois bâtons sous les notes", ajoute-t-elle, – "pour ceux qui ne lisent pas bien la musique". "Trois bâtons : trois temps. Les yeux parlent ainsi aux oreilles".
Colette ensuite écoute "les hommes". Elle les taquine sur un "la-ré de contrebasse" et elle précise que "du ré des catacombes on remonte ensuite vers le sol".
Après un premier essai d’ensemble, Colette formule à l’intention de tous ces quelques impressions provisoires : "C’est bien de chanter piano, mais pas sans timbre ! Essayez d’entendre vos harmoniques. Et je voudrais entendre toutes les notes qui se décrochent, qui s’égrènent… comme en sourdine".
L’un des petits nouveaux pose alors la question qui l’inquiète si fort : "Où est-ce qu’on prend sa respiration… ? La réponse de Colette fuse, manifestement empreinte d’humour rentré : "On ne respire pas".
Le petit nouveau fait une drôle de tête : "On ne respire pas…. Mais jusqu’où ?" Il se demande en cet instant s’il a bien fait de venir. Tout le monde rit. Mais chacun se demande in peto comment faire pour tenir sans respirer jusqu’à… Jusqu’où, exactement ???
Colette, fine mouche, interpelle un autre chanteur, un habitué, et lui rappelle le bon principe : "Ne fais pas le geste d’appel d’air pour respirer, bohhh… arrrgh ! C’est là, dans le ventre : booo… ho ! Tout le travail, en somme, c’est le legato dans la voix".
Puis, s’adressant aux alti : "Pas besoin de contrebasses. Legato, legato… Là maintenant, booo… respirez un coup, – ho ! Vous en reprenez un coup comme une carpe".
Colette maintenant invite les carpes à répéter l’Agnus Dei de Luciani. Les carpes respirent à l’aise. L’Agnus Dei va bon train. Colette, enchantée, en redemande : "Ah, bon, vous voulez cavaler ! On y va". Et carpes de reprendre, sans bouder leur plaisir. La musique est là, soluble dans l’air.
Colette, pour finir, demande à Christian un petit "zinzin" d’introduction au synthétiseur et chante debout avec Danielle et Domi l’Agnus Dei de Bizet, puis avec Danielle a capella le Laudate Dio d’Ancina (1545-1604).
Colette a gardé le verre de l’amitié et les petits gâteaux pour la fin. Parce que chanter, bohhh… arrrgh ! la bouche pleine, ce n’est pas bon pour les carpes. L’amitié en tout cas, comme la musique, est ici soluble dans l’air. On chante, on apprend à respirer, mais aussi on rit beaucoup. Il y a des rieurs de toutes sortes, venus de Dun, de Mirepoix, d’Angleterre ou d’ailleurs, dont un couple de potiers qui a franchi les eaux capricieuses de l’Hers vif pour se joindre aux rieurs, et une agricultrice qui m’a dit qu’à son retour elle avait encore les bêtes à soigner. "C’est beau !", murmure-t-elle à mon oreille à propos du chant orthodoxe de Dmitri Bortniansky.
Le Rameau musical de Dun chantera pour nous, sous la direction de Colette, le vendredi 2 octobre, à 20h30, à l’église des Issards. "On va se brûler les ailes ! Ça va être très, très bien !"
Bienvenue à la nouvelle saison du Rameau musical de Dun !
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1 commentaires au sujet de « Le Rameau musical de Dun – Une répétition chez Colette »
Martine Rouche
Mais nous y serons !!