La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Un petit théâtre d’ombres

"On dirait le Sud, le temps dure longtemps, et la vie sûrement plus d’un million d’années, et toujours en été…"

C’est le Sud ici. Du moins, c’était le Sud la semaine dernière. Il faisait beau. Je me suis souvenue de la chanson de Nno Ferer. Assise sur le puits, je regardais les ombres projetées sur la façade de la maison par les feuilles de la treille. J’y voyais diverses figures, dont celle d’une sorte d’être mythologique – chèvre-pied, faune, satyre, sylvain – qui, je ne sais pourquoi, me rappelait l’Orphée de Cocteau…  

Heurtebise

Primo : vous êtes accusé d’innocence, c’est à dire d’atteinte à la justice en étant capable et coupable de tous les crimes, au lieu de l’être d’un seul, apte à tomber sous le coup d’une peine précise de notre juridiction. Secundo : vous êtes accusé de vouloir sans cesse pénétrer en fraude dans un monde qui n’est pas le vôtre. Plaidez-vous coupable ou non coupable ?

Le poète

Je plaide coupable dans le premier et dans le second cas. J’avoue être cerné par la menace des fautes que je n’ai pas commises et j’avoue avoir souvent voulu sauter le quatrième mur mystérieux sur lequel les hommes écrivent leurs amours et leurs rêves.

Jean Cocteau, Le testament d’Orphée, 1960

Ombres, mouvement, choses vues sur le mur, choses rêvées, j’étais au théâtre ou au cinéma.

Puis j’ai vu deux petits personnages en costume du XVIIIe siècle, dont l’un, coiffé d’une sorte de bicorne, marchait sur une branche, ou s’engageait sur une passerelle, tandis que l’autre s’apprêtait à le suivre, ou tentait de rappeler son maître, car celui-ci avait oublié quelque chose. Or, marchant droit vers son destin, le maître ne l’entendait pas… Je ne connais pas la suite de l’histoire. Je sais seulement que j’ai déjà vu ailleurs une silhouette analogue à celle du maître. Chez Caspar Friedrich 1. Le rapprochement demeure en quelque façon anachronique. Il y a cependant entre "ma" silhouette et celle des personnages de Caspar Friedrich un air de famille. La forme, la pose…  

Plus loin sur le mur, j’ai vu aussi un minuscule acrobate qui exécutait sans filet une figure au trapèze volant, ou bien un mignonnet fildefériste, perdu tout là haut dans les cintres. Je rêve de cirque depuis que j’ai assisté, à Toulouse, au spectacle de la troupe australienne Acrobat 2.

Plus tard, alors que, sous la treille, le théâtre des ombres pâlissait, j’ai photographié sur le mur un drôle de fantôme aux yeux tristes. Puis je suis entrée dans la maison, et là, j’ai vu d’autres ombres encore. Les derniers rayons du soleil couchant tombaient sur le poêle du salon. Réfléchis par la surface métallique du poêle, ils faisaient courir sur le mur des ondes aveuglantes. Le soleil baissait de plus en plus. Les ondes se sont taries. Plus bas sur le poêle, une chouette a paru, toute pâle, figée dans une pose oblique. L’oiseau de Minerve… A côté de la chouette, une forme étrange, ceinte d’une écharpe fuligineuse, ou d’une étole de fourrure.  La forme du moment dit entre chien et loup… Fin de la féerie lumineuse. 

Notes:

  1. Caspar Friedrich, Soleil couchant, 1830, détail ↩︎

  2. Cf. La dormeuse blogue : Acrobat, smaller, poorer, cheaper ↩︎

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1 commentaires au sujet de « Un petit théâtre d’ombres »

  1. Martine Rouche

    Dans la violence de cette première averse d’automne, merci de ces fulgurances, de ces évidences, je ne vois pas de meilleurs mots, merci de cette promenade en poésie pure.