Curieuse des plaisirs que goûtaient jadis les sauvages Oreillons, j’ai mangé un jour du jésuite, – non le jésuite en chair et en os, lequel au demeurant ne devait pas avoir la chair bien floride, vu la devise de sa Compagnie, perinde ac cadaver, mais le jésuite pâtissier -, et, vu que le jésuite, c’est bon, j’ai continué. J’aurais souhaité aussi pouvoir manger des oublies, qui, comme l’oreille du mot ne l’indique pas, n’ont pas le goût de l’oubli, de l’eau d’oblivion, mais celui de l’hostie, de l’oblia, modeste offrande qui oblata erat sur les autels par les fidèles d’un temps aujourd’hui révolu. Les oublies hélas ne se font plus, depuis longtemps déjà. Il y a, je le concède sans pouvoir l’expliquer, un penchant bizarrement catholique dans ces curiosités cannibales du jésuite et de l’oublie. Ces curiosités demeurent malgré tout agnostiques. La pente de la curiosité se confond ici avec celle de la rêverie substantielle, rêverie de la substance des corps, rêverie de la transsubstantiation, souvenir sans doute d’une lettre de Leibniz au Père Des Bosses, que j’ai eu à commenter dans une vie antérieure :
"Même si le pain et le vin ne sont pas des vivants, ils sont comme tous les corps des agrégats de vivants, et les liens substantiaux des singuliers les composant composent leur substance. Mais le corps du Christ a un lien substantial total, puisqu’il est un corps vivant ; enfin s’il y a quelque chose qui constitue la substance corporelle, c’est là que vous pouvez chercher la possibilité de la transsubstantiation ; mais s’il n’y a rien de tel et si les corps sont de simples phénomènes, on devra chercher la substance du corps dans les seuls phénomènes. Mais non point dans les nôtres, qui gardent les apparences premières, mais en ceux qui se présentent à l’esprit divin et à ceux auxquels Dieu les révèle 1.
Ci-dessus : en-tête du chapitre XVI de Candide, 1857 : "Ce qui advint aux deux voyageurs avec deux filles, deux singes, et les sauvages nommés Oreillons".
"Mon cher maître, répartit Cacambo, vous êtes toujours étonné de tout ; pourquoi trouvez-vous si étrange que dans quelques pays…"
Dernièrement, la libido gustandi va où elle veut, j’ai mangé à Mirepoix un Guillaume Tell. Que vient faire ce héros suisse dans une boulangerie-pâtisserie sise cours du Colonel Petitpied, anciennement cours Saint-Antoine ? La vendeuse n’a pas su le dire.
Entre deux couches de pâte délicatement feuilletée et caramélisée façon palmier, un entre-deux de succulente confiture de framboises…
Que vient faire Guillaume Tell bis repetita dans cette amusette pâtissière ? Le bon air des montagnes suisses est, dit-on, bénéfique aux framboises. Héritier de Zénon, dont la flèche se meut paradoxalement sans avancer jamais, Guillaume Tell n’en finit pas de décocher ici une flèche de sucre glace sur le fond aérien d’un feuilletage caramélisé.
[Mais qu’est-ce qu’elle raconte ???]
Je narre ici la surprise d’avoir mangé, ce jour, un Guillaume Tell à Mirepoix, cours du Colonel Petitpied, lequel colonel est, comme on sait, un héros de la guerre de 70. Dans la ville, dit le poète, le hasard bat les cartes. Drôle de donne !
1 commentaires au sujet de « Guillaume Tell à Mirepoix »
Martine Rouche
A Mirepoix, nous pouvons donc consommer un jésuite, un Guillaume Tell … Il est aussi possible d’assouvir notre gourmandise avec un Prince Noir … (mousse au chocolat noir, crème brûlée [forcément !!] à la vanille avec des griottes, biscuit aux amandes et glaçage miroir au chocolat noir ! )