Ci-dessus : située al Bascou, sur la rive du Countirou, la maison de l’écorcheur, matérialisée par un carré rose isolé ; à gauche sur la carte, le Countirou ; en dessous à gauche, le point de départ de la partie mirapicienne du canal du moulin, et, entre le Countirou et le canal du moulin, l’Isle ; au centre, plantée d’arbres, la promenade du Rumat, aujourd’hui cours du Rumat ; en haut à droite, la rue du Coin de Cambajou, qui a connu plusieurs autres noms, dont celui de rue Courlanel ; en dessous, la rue del Bascou et la rue de la porte del Rumat, aujourd’hui nommées rue des Pénitents blancs ; plus bas encore, la rue du Coin de Loubet, aujourd’hui rue Astronome Vidal.
Carte établie sous l’Empire. Cliquez sur la carte pour l’agrandir.
Les documents conservés aux archives de Mirepoix indiquent que le quartier du Rumat a été durant des siècles le siège de l’affachoir, de l’écorchoir, ou encore de la tuerie, autrement dit de l’abattoir. Etablissement nécessaire, mais effrayant, l’affachoir se trouvait ainsi repoussé hors les murs de la bastide et assigné à un quartier réservé. Installé au bord du Countirou, à la hauteur de l’actuel pont de Limoux, il bénéficiait là d’une eau abondante, et, regardant sur la place où se tenait le foirail, il assurait portes ouvertes la réception des bêtes, qui, conformément à la charte de la boucherie, édictée par Jean de Lévis Ier en 1303, arrivaient bien vivantes, à pied.
Ci-dessus : carte postale des années 1900 ; celle-ci représente la vente des boeufs sur le foirail, cours du Rumat ; on distingue à droite une partie de l’espace de dégagement, aujourd’hui nommé place du Rumat, qui s’ouvrait devant la maison de l’écorcheur.
9. Item volumus et statuimus et ordinamus quod illa animalia, que dicti carnifices occidere voluerint et vendere in dicto marcello, sint talia quod suis propiis pedibus veniant ad dictum macellum, vel ad domos carnificum predictorum, dumtaxat de carnibus bovinis, mutoninis et porcinis.
9. De même nous voulons et statuons et ordonnons que les animaux que les dits bouchers se proposent d’abattre et de vendre dans leur boucherie, soient tels qu’ils puissent entrer sur leurs propres pieds dans la dite boucherie ou dans la demeure des dits bouchers, s’agissant indifféremment des bovins, des moutons ou des porcs.
Siège d’une activité repoussante, mais essentielle à la vie de la communauté, la tuerie fait l’objet de toutes les attentions du conseil municipal. Un document daté du 1er juin 1746 permet de mesurer la portée d’une telle attention. Il s’agit du Devis de la Maçonnerie, charpente et ferrure qui doivent etre mis en oeuvre pour la contruction de l’écorchoir de la ville de Mirepoix, sans doute en remplacement d’un affachoir plus ancien. Le devis comporte six longs articles. Il porte la signature, laborieuse, de "mastuit aymon macon habitant de la ville de mirepoixqui a vu le devis cy contre le dessus huis de Lecorchoir"., et la griffe, illisible, d’un représentant de la ville. J’en reproduis ici quelques extraits, assortis de leur orthographe et de leur ponctuation originales.
Art 1er
Le lieu destiné a ce bâtiment est un vacant appartenant à la communauté qui est hors la ville du costé de Levant lieu dit al Bascou près le ruisseau Countirou on placera cet ecorchoir a laquilon a deux toizes du chevet du vacant du costé du Levant laissant du costé daquilon un terrain de quatre toises pour la largeur de la rue qui conduit au ruisseau
Sur cette carte qui date de la seconde moitié du XIXe siècle, on constate que, suite au développement du trafic routier, le quartier du Bascou a changé d’affectation. Courriers et auberges ont remplacé l’ancienne activité d’abattage. La maison de l’écorcheur a été convertie en courrier de Castelnaudary. On distingue toujours derrière l’édifice "du costé daquilon (au nord) un terrain de quatre toises (occupé par une "aire") pour la largeur de la rue qui conduit au ruisseau". C’est par cette rue que l’écorcheur menait boire les bêtes, sur la rive du Countirou. Comme indiqué sur la carte postale reproduite ci-dessus, l’activité du foirail s’est maintenue jusqu’au début du XXe siècle.
Art 2
Cet ecorchoir aura quatres quanes de longueur et trois canes de largeur sans oeuvre Les murs des cottés auront trois canes de longueur et les murs de face seront de quatre quanes longueur ils auront dix-huit pouces de hauteur au dessus du terrain Leur épaisseur sera de vingt pams ils seront fondés sur un terrain neuf qui soit ferme, ils seront construits avec du bon moilon cimenté a chaux et sable Les fenestres et portes seront faites avec de la pierre bien parementée
Fascinée par cette suite d’indications métriques, j’ai eu envie d’aller voir sur place si, nonobstant les modifications ultérieures, la maison de l’écorcheur existe toujours. J’ai d’abord révisé les unités de mesure sous l’Ancien Régime : toise : environ 1,949 m ; canne toulousaine : 1,60 m ; canne de Carcassonne : 1,785 m ; pams, ou empans : 24 cm ; pouce : 2,707 cm. Je me suis livrée ensuite à quelques calculs (forcéments approximatifs) :
On placera cet ecorchoir a laquilon a deux toizes du chevet du vacant du costé du Levant : à un peu moins de 4 mètres du chevet du vacant…
laissant du costé daquilon un terrain de quatre toises pour la largeur de la rue qui conduit au ruisseau : un terrain d’un peu moins de 4 mètres pour la largeur…
Cet ecorchoir aura quatres quanes de longueur : entre 6,4 m et 7,14 m
et trois canes de largeur sans oeuvre : entre 4,8 m et 5,3 m
Les murs des cottés auront trois canes de longueur : entre 4,8 m et 5,3 m
et les murs de face seront de quatre quanes longueur : entre 6,4 m et 7,14 m
ils auront dix-huit pams de hauteur au dessus du terrain : environ 4,8 m
Leur épaisseur sera de vingt pouces : 54,14 cm.
Sur chacune des deux cartes, à gauche celle de l’Empire, à droite celle du Second Empire, considérez la forme rose, carrée ou trapézoïdale, située au centre : c’est sur la carte de gauche l’affachoir, sur la carte de droite le courrier de Castelnaudary, i. e. la bâtisse qui nous intéresse.
Voyez maintenant ci-dessus la place du Rumat, dite anciennement "al Bascou", et la bâtisse aux fenêtres blanches qui s’élève à l’emplacement de l’affachoir ou du courrier de Castelnaudary.
Je ne suis pas allée mesurer avec mon centimètre de couturière les dimensions au sol de la bâtisse, mais les dimensions actuelles de cette dernière me semblent supérieures à celles du devis de 1746. S’agit-il encore de l’ancien affachoir, plus tard reconverti en courrier de Castelnaudary, ou s’agit-il d’une reconstruction ultérieure ? L’édifice en tout cas, s’il s’agit bien du même, a été surélevé, puisque le devis de 1746 prévoyait une hauteur de 4,8m seulement, dont 48 cm de comble.
Art 4e
Lorsque les murs de cet ecorchoir auront été élevés a la hauteur de dix huit pams on fera un plancher au milieu bien bon Le plancher n’aura que quatre quanes longueur et douze pams largeur […].
Art 5e
Au dessus de ce plancher on placera un comble a deux eaux […].
Côté pont de Limoux, l’édifice, dans son état actuel, se trouve flanqué d’une extension, sorte de remise au toit plus bas, qui mord sur l’espace de circulation jadis largement ouvert entre l’affachoir et le pont. Lorsqu’on s’engage dans cet espace, on remarque, derrière l’extension susdite, que l’ex-affachoir, ex-courrier de Castelnaudary, a été aussi un débit de bière.
De l’autre côté de la grande bâtisse, ou, comme dit le devis mentionné plus haut, "d’aquilon", le "terrain de quatre toises pour la largeur de la rue qui conduit au ruisseau" a conservé sa fonction. Mais un mur bloque l’accès à la rive du ruisseau.
Art 3e
La porte d’entrée qui sera placée au milieu du bastiment du costé daquilon…
Engagée dans "la rue qui conduit au ruisseau", je considère le grand mur que l’on voit ci-dessus, et je ne retrouve pas à l’endroit indiqué ce que décrit minutieusement le devis de 1746 : placée "au milieu du bastiment", une porte de cinq pams de largeur et de dix pams de hauteur : 1,20 m de largeur sur 2,40 m de hauteur ; placées "a sept pams de distance de la porte de chaque costé", deux fenestres, de trois pams de largeur et de cinq pams de hauteur : 72 cm de largeur sur 1,20 m de hauteur…
La porte d’entrée qui sera placée au milieu du bastiment du costé daquilon aura cinq pams de largeur et dix de hauteur Les deux fenestres qui seront placées a sept pams de distance de la porte de chaque costé auront trois pams de largeur et cinq de hauteur La porte d’entrée doit etre faite a deux ouvrants d’un bois de chene bien sain et bien sec d’un pouce et demy d’eppaisseur doublé par trois traverses d’un bois de meme espece dont l’aipaisseur sera de trois quarts de pouce et la largeur de douze pouces Les traverses seront bien chevillées a la porte et serviront a porter les pantures qui auront de longueur au moins les deux tiers de la traverse et seront au nombre de trois de chaque costé avec leurs gonds a … bien scellés dans le mur on garnira cette porte d’une bonne ferrure et un verrouit en dedans Louvrant ou lon natachera point de ferrure sera fermé avec une barre de fer a crochet arrettée avec un anneau de fer qui sera scellé au mur Les fenestres seront fermées par des barres de fer quarrées qui auront un pouce de quarissage et distantes de quatre pouces lune de lautre elles seront encore fermées par une fermeture de bois de chene chacune bien sain et bien sec d’un pouce d’eppaisseur laquelle sera doublée par deux traverses d’un pouce depaisseur et de huit pouces de largeur ces deux traverses seront bien clouées a la fermeture et serviront a porter les pantures qui seront au nombre de deux a chaque fermeture avec leurs gonds a … elles auront de longueur les deux tiers des traverses il y aura encore un bon verrouit a chacune.
Toujours au bord du mur d’aquilon, levant la tête, j’ai remarqué un fenestrou, juste sous le toit. Le devis de 1746 parle d’un "comble à deux eaux". S’agit-il de l’une des deux "eaux" ? Signalées dans le même devis, les "tuilles canal" en tout cas sont bien là. Mince correspondance. La tuile canal reste d’usage courant dans tout Mirepoix.
La petite investigation que je raconte ici ne permet pas de conclure quant à la conservation de l’affachoir sous les dehors de la bâtisse actuelle. L’intérieur de cette dernière recèle peut-être d’autres indices. Mais il s’agit d’une demeure privée. La configuration générale du site, avec "d’aquilon" "la rue qui conduit au ruisseau", demeure en tout cas inchangée depuis le XVIIIe siècle. Elle participe de l’historicité de Mirepoix tout autant que les couverts et les cours aménagés à l’endroit des anciens fossés. La recherche de ce qui reste de l’ancien affachoir a ceci de passionnant qu’elle fait revivre ou tout du moins imaginer tout un pan de la vie ordinaire, de la vraie vie, celle des vrais gens, autour d’un lieu d’activité peu prisé par les âmes délicates, pourtant représentatif du Mirepoix essentiel.
Quant al Bascou du Rumat, le Basque, c’était peut-être l’écorcheur, ou de père en fils une lignée d’écorcheurs, ou encore l’éleveur lambda, qui venait chaque fois du pays basque. Personne, dirait-on, n’en sait plus rien.
1 commentaire au sujet de « Al Bascou, la maison de l’écorcheur »
La rêveuse
Pour mon plaisir, continuez vos promenades à la fois familières et insolites, c’est tellement (re)vivant! La maison de l’écorcheur les marchés de bestiaux – carte postale à l’appui – c’était hier et c’est tellement lointain. Il est vrai qu’à l’époque il n’y avait pas de cimetières de voitures…
racamg
Les indications « métriques » d’avant l’invention du mètre (1791) sont en effet fascinantes. Mes recherches sur des mots comme « cane, destre » etc. m’ont fait découvrir la « Siensa de destrar » de Bernard Boysset (1355-1415), fameux arpenteur d’Arles. Vous trouverez une image de l’arpenteur au travail tiré du manuscrit de Carpentras, dans le site de Pierre Portet,
http://palissy.humana.univ-nantes.fr/CETE/TXT/boysset/index.htm
La « Siensa de destrar » commence avec un poème, où Dieu s’adresse à l’arpenteur:
DIEU:
Fhil e nostra creatura
Lo destre nos vos baylarem
La terra e l’ayga endestrares
A quascun son dreg donares
Toujours d’actualité.
Je vous suivrai dans vos promenades sur les marchés de bestiaux.
Martine Rouche
» Bon écorcheur choisit sa peau » .
Vieux proverbe, toujours d’actualité aussi …