Retour au monde sauvage, à ses figures fantasques, c’est la recommandation que m’adresse chaque année le printemps. J’y cède plutôt deux fois qu’une. Et, ô joie ! les figures fantasques sont au rendez-vous. Entre le hanneton géant et le nounours laineux, voyez ce drôle d’animal qui se baigne. On distingue ses yeux sous les antennes. Son regard est difficile à interpréter. Il tourne sa tête vers la rive. Il se croyait seul. Nous l’avons surpris, sans doute dérangé. Mais un jour plus tard, il est encore là. Il nous tolère. Nous nous faisons discrets. Je sens bien toutefois que nous lui gâchons un tantinet son plaisir. En tout cas, nous ne lui avons pas coupé l’appêtit. Il a mangé. Cherchez bien sur l’image : on voit ce qui reste de son casse-croute, – la boîte de conserve bleue.
Derrière lui, sur la rive en face de laquelle nous sommes assis, un petit chevalier s’exerce au javelot dans les branches. Bizarrement, tandis qu’il se concentre sur le geste du bras, ses jambes dansent, façon funambule. Quel étrange exercice ! Il s’entraîne sans armure, mais coiffé de son heaume. A y regarder de plus près, je crois bien que ce chevalier des rives arbore un casque de récup. Il a trouvé bon de se coiffer d’une boîte de conserve. Eh quoi ! Don Quichotte, lui, fait bonne salade d’un plat à barbe.
Plus loin encore, vers l’aval, alors que le soir tombe, de noirs oiseaux tiennent colloque sur un tas de bois. On dirait des conspirateurs. Ils ont laissé une barque, arrimée au bord des rochers. On dirait qu’ils se préparent à débarquer sur l’autre plage. La distance et la différence d’échelle font que nous ne saurons rien du secret de leur entreprise.
Il se trame ainsi tant de choses mystérieuses dans le monde sauvage. Le comique de la situation, mais aussi le sentiment d’inquiétante étrangeté que celle-ci soulève à l’heure du couchant, c’est que les êtres du monde sauvage vaquent à leurs affaires, comme ces drôles d’oiseaux, sans se laisser détourner de leurs résolutions par notre présence. Ils ne nous voient pas, nous n’existons pas, ou alors nous comptons pour du beurre. Seul le nounours-hanneton nous a jeté un regard las, un peu triste, de ceux qu’on réserve aux fâcheux, aux pique-assiettes, lesquels finiront ici par se lasser de l’humidité des rives. Il y a entre le monde sauvage et nous l’insigne indifférence des mondes parallèles. Pourquoi cette indifférence m’intrigue-t-elle ? Il ne s’agit pas forcément d’une question déjantée…
1 commentaires au sujet de « Le monde sauvage 6 »
Martine Rouche
Badger and company, vous avez oublié de vous coiffer, les amis !