J’ai passé la semaine à Pau. Je me faisais une joie d’aller revoir, au Musée des Beaux-Arts, la Sphinge d’Antoine Bourdelle. Il s’agit d’une tête de femme, réalisée en 1903. Le femme est dotée d’un profil altier, d’une lourde coiffure à l’antique. Elle ferme les yeux. Elle sourit. Evidente, pourtant difficile à décrire, l’étrangeté de cette tête a de quoi fasciner. Le port souverain, l’arc du nez, les grandes paupières closes confèrent valeur d’énigme au sourire, qui anime, ici, un visage ou un masque mortuaire ?




Crédit photographique : Photo RMN – © Maryse El Garby
Chacun interprétera comme il l’entend le rapport qu’entretiennent ce sourire et ces paupières closes. L’énigme tire sa force d’être énigme. Elle n’a pas besoin d’être formulée. Celle qui fut un jour proposée à Oedipe, ne se laisse dire, remarque Platon, que comme conte que l’on murmure à l’oreille des enfants. Ce qui fait la force de l’énigme, c’est nous, qui, de façon physiquement déterminée, sommes sensibles à la dite force.


Je me suis donc rendue au Musée de Pau, et je n’y ai pas trouvé la Sphinge de Bourdelle. Pour une raison que j’ignore, la Sphinge n’est plus exposée. Déçue, j’ai erré un moment parmi les tableaux, pour une fois sans désir de voir. J’ai cédé toutefois à la mystérieuse intensité du Saint François recevant les stigmates, une toile dont la noirceur laisse entrevoir, comme un rideau qui se déchire, l’horizon numineux au regard duquel se déploie, dans le secret de l’intime, l’aventure créatrice du Greco. J’ai cédé aussi au charme vénéneux du Barbe Bleue d’Eugenio Lucas1. Il y a ici dans le traitement du clair-obscur quelque chose de puissamment interlope. Quand le romantisme joue avec les effets de masque et l’imaginaire du crime…
J’en reviens à ma déception. Qu’est-il advenu de la Sphinge de Bourdelle ?