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La maison de Lévis Mirepoix

L'histoire de la famille Lévis Mirepoix 1 est indissociable de celle de la ville de Mirepoix. Curieusement, elle ne fait l'objet d'aucune étude d'ensemble. On trouve sur Internet quelques informations éparses. Les plus circonstanciées figurent sur le site Château de Lagarde, créé par le Comité de Défense du Château de Lagarde, ainsi que sur l'excellent site de Robert Faure, intitulé Du côté de Tréziers.

En 1229, suite à la signature du traité de Paris, Gui de Lévis, originaire de Lévis-Saint-Nom en Seine-et-Oise, prend le nom de Guy I de Lévis Mirepoix. Lieutenant de Simon de Montfort, il s'est distingué durant la croisade contre les Albigeois, i. e. contre l'hérésie cathare. Il obtient à titre de récompense le fief (50km x 46km) de Mirepoix et de Lagarde ainsi que le titre héréditaire de Maréchal de la Foi. Il meurt en 1233. A droite, statue tombale de Gui I Abbaye Notre Dame de la Roche, paroisse de Lévis (aujourd'hui Lévis-Saint-Nom), Yvelines

Gui II, en vertu de divers legs et alliances, hérite d'un fief considérablement agrandi. Celui-ci comprend Mirepoix, Lavelanet, Montségur, Fanjeaux, Limoux, Castelnaudary, et Béziers, ainsi que Florensac, Pomerols, Sévignan, Villeneuve le Grenade, Salvina, Terrolles, Thérane, Thézan, Solinian, Portiragues. Il meurt en 1261. A droite, statue tombale de Gui II Abbaye Notre Dame de la Roche

Gui III s'engage d'abord dans la VIIIe croisade. Il survit à la peste en Terre Sainte. Il est nommé ensuite Gouverneur du Languedoc. En 1289, suite à une crue de l'Hers et à la rupture du barrage de Puivert, la ville de Mirepoix, située alors sur la rive droite de la rivière, est complètement détruite. Seul subsiste, sur une colline, le château de Terride, résidence de Gui III. "Pas une maison, pas un édifice ne résista à cette terrible inondation. Les habitants durent se réfugier en grande hâte dans l'enceinte du château fort dont les tours dominaient la colline au pied de laquelle l'Hers semait tant de ruines"2. Gui III fait reconstruire la ville, en forme de bastide, sur la rive gauche de l'Hers. Soucieux de fixer la population, il assigne à la ville nouvelle le statut de sauveterre, ou zone franche, et accorde aux habitants le droit d'élire leurs propres Consuls (administrateurs). Il meurt en 1299, laissant derrière lui neuf garçons, trois filles. Le partage entraîne le démembrement du fief en plusieurs seigneuries (Mirepoix, Lagarde, Lapenne, Léran), d'où la division de la famille en plusieurs branches, dites Lévis Mirepoix, Lévis Lagarde, Lévis Léran. A droite, statue tombale de Gui III Abbaye Notre Dame de la Roche

Jean I de Lévis Mirepoix hérite d'un fief réduit aux seules seigneuries de Mirepoix et de Lavelanet. Contrairement à ses prédécesseurs, il demande à être enseveli dans la chapelle des Cordeliers de Mirepoix, qui devient dès lors la nouvelle nécropole familiale. Il ne reste plus, à ce jour, que le porche de la chapelle des Cordeliers, plus connu sous le nom de "fontaine des Cordeliers", le couvent ayant été totalement ruiné au moment de la Révolution. Compris dans une propriété privée, ce porche, que j'ai pu admirer lorsque j'étais enfant, ne se visite plus. Jean II récupère la seigneurie de Lagarde par voie de mariage, en 1344. Partisan de Gaston Phoebus, comte de Foix, il se trouve en 1360 dépossédé de la seigneurie de Mirepoix-Lagarde au profit de son propre fils, Roger Bernard I, partisan de la maison d'Armagnac. Roger Bernard I, en 1380, se trouve à son tour dépossédé de la seigneurie de Mirepoix-Lagarde au profit de son propre fils, Jean III, partisan de Gaston Phoebus.

En même temps qu'elle est déchirée par des dissensions internes, la maison de Lévis Mirepoix doit faire face à la peste noire, qui sévit à Mirepoix, de façon endémique, de 1348 à 1453, ainsi qu'aux attaques des Routiers et des Grandes Compagnies, qui nécessitent d'importants travaux de fortification. Roger Bernard I, puis Jean III, Jean IV, Philippe II, Roger Bernard II, Jean V, faute de revenus suffisants, peinent de plus en plus à exercer leurs prérogatives et à honorer les devoirs de leur charge. Roger Bernard II, en 1410, se voit même imposer un conseil de tutelle, présidé par un marchand de Laroque d'Olmes…

Né en 1466, troisième fils de Jean IV de Lévis, voué à la carrière ecclésiastique puisqu’il a deux frères plus âgés, François, seigneur de Lavelanet, mort prématurément avant son père en 1485, et Jean V, seigneur de Mirepoix de 1493 à 1533, Philippe de Lévis s'illustre dans l'histoire en tant que 24ème évêque de Mirepoix :

"Lorsque l’évêque de Mirepoix, qui lui a conféré les ordres mineurs, est transféré à l’évêché de Nantes, le chapitre de Mirepoix élit Philippe évêque, le 19 décembre1493. L’archevêque de Toulouse refuse de reconnaître cette élection et il faut l’envoi de l’évêque d’Hippone comme commissaire apostolique pour le mettre en possession de son évêché. Toutefois, il n’obtiendra ses bulles que le 22 mai 1497 et ne sera consacré évêque que le 17 septembre de cette même année. il reçoit du pape Alexandre VI successivement le prieuré perpétuel de Camon, le 3 novembre1498, et l’abbaye de Lagrasse, le 27 décembre1500. Il reste évêque de Mirepoix jusqu’à sa mort le 29 août 1537".

"Contrairement à la majorité des évêques de la Renaissance, Philippe de Lévis réside dans son diocèse et y réalise de grands travaux de construction ou d’aménagement, tant à la cathédrale et à l’évêché de Mirepoix qu’au château épiscopal de Mazerette ou au prieuré de Camon, sans oublier le magnifique clocher de l’abbaye de Lagrasse. Il dote son église cathédrale de vitraux, de statues, d’objets d’orfèvrerie religieuse, de tapisseries et de livres pour le chapitre"3. Voir également La dormeuse blogue/Choses vues au Palais Episcopal de Mirepoix

De 1559 à 1629, durant les Guerres de Religion, la famille de Lévis Mirepoix, contrairement à celle de Lévis Léran, demeure fidèle à l'orthodoxie ainsi qu'au pouvoir royal. A ce titre, Philippe III de Lévis Mirepoix participe, entre autres, au sac de Léran et à celui de Laroque d'Olmes. La famille se trouve dès lors récompensée par de hautes charges :

"La fonction de sénéchal de Carcassonne, Béziers, Limoux, se transmet de père en fils comme un bien héréditaire. Certains des Lévis Mirepoix sont pourvus de la charge de gouverneur du pays de Foix ou du Languedoc, quelquefois ambassadeurs. Ces honneurs ne font qu'ajouter de la substance aux titres déjà prestigieux de "Maréchal héréditaire de la foi", marquis, puis duc en 1751". "Au XVIIe siècle, les Lévis-Mirepoix s'appliquent à donner à ces attributs une superbe apparence sans laquelle nul pouvoir ne s'affirme vraiment : le château de Lagarde. Devenu, sur son socle de terrasses et de jardins, la superbe demeure que l'on peut imaginer aujourd'hui, il est la représentation de la domination"4.

Manuscrit de d’Aguesseau (1674) : "Il y a un beau château, séjour ordinaire des seigneurs de Mirepoix, sur une éminence et une très belle terrasse et belle vue sur la rivière de l’Hers. Dans ce château, il y a un beau degré fait en vis où il y a deux cents et tant de marches qu’un homme à cheval peut monter jusqu’au bout ; duquel bout l’on voit le commencement du degré. En montant, on voit une très belle chapelle, qu’on n’a voulu faire peindre ni dorer pour faire paraître la symétrie d’un si beau travail"5.

C'est à Louise de Roquelaure, veuve d'Alexandre, marquis de Lévis Mirepoix (1595 – †1637), que l'on doit les grands travaux d'embellissement du château de Lagarde :

"Louise de Roquelaure se retrouve seule à la tête du Marquisat durant la tutelle de son fils Jean VII". "Elle devient l'une des figures marquantes de Lagarde. Femme de caractère, vouée au nom des Lévis Mirepoix, elle assure la gestion du château et sait faire respecter, voire imposer ses décisions, [comme c'est le cas dans la querelle dite "des honorifiques", qui l'oppose à l'évêque de Mirepoix, Louis de Nogaret, concernant les honneurs dus au titre de Maréchal de la Foi et le droit de justice dévolu au seigneur qui est bénéficiaire d'un paréage". Voir La dormeuse blogue/Pour en savoir plus sur le nom des rues de Mirepoix].

"Louise de Roquelaure est, durant toute sa vie, une grande modernisatrice du château. Elle démarre ainsi d'imposants travaux qui s’étaleront sur des années, ce qui fera porter le nom à ce château de Petit Versailles, de nombreuses fois cité dans l’histoire de France". "On lui doit la modification des parties hautes des bastions. Elle ajoute un niveau à la courtine Nord. Elle fait poser des statues monumentales sur les bastions et la tour de l’escalier, (découverte de 46 morceaux en terre cuite, provenant de ces statues qui représentent des soldats romains)". "Elle crée la grande esplanade ceinturée de fortifications gigantesques du côté de l’Hers au Sud-Est. Elle supprime le pont-levis de l’entrée principale pour le remplacer par un pont en pierre avec un portail monumental et un blason des Lévis sur le flanc gauche. Elle fait ajouter balustre et main courante sur le pourtour des deux côtés du fossé et une magnifique rampe d’accès montant du village, formée d’arches en pierre. Elle fait mettre en place les grandes baies avec balcons"6.

Egalement créatrice de l'hôpital de Mirepoix (actuellement transformé en maison de retraite), elle meurt le 4 mars 1674 à l’âge de 63 ans. Elle est ensevelie, à son tour, dans la chapelle du couvent des Cordeliers de Mirepoix.

Suite au testament de Jean V de Lévis Mirepoix, en 1531, la transmission de la seigneurie se fait désormais conformément à la règle de la primogéniture mâle, à charge pour le bénéficiaire de payer en argent, et non en terres, les parts et dots de ses frères et soeurs. La pérennité de la seigneurie se trouve ainsi assurée. Mais l'argent faisant régulièrement défaut, il s'en suit une kyrielle de procès. Alexandre de Lévis Mirepoix doit finalement rétrocéder à son frère Jean la seigneurie de Lavelanet. Jean de Lévis Lomagne, qui a hérité de sa mère le château de Terride, doit l'abandonner au profit de ses filles, puis de François de Béon. C'est le dernier membre de la famille Lévis qui ait habité ce château.

La "Terre du Maréchal", telle que constituée au XIIIe siècle par Gui I, se trouve finalement reconstituée en 1774 au profit de la branche Lévis Léran, par voie d'héritage et en vertu des fortunes et infortunes de la généalogie :

"Après le décès sans postérité de Gaston Jean Baptiste II de Lévis Mirepoix en 1699, puis de son neveu Gaston Pierre Charles de Lévis Lomagne, duc et maréchal de France, en 1757, les terres et les titres de la branche aînée sont réunis par testament sur la tête de Louis Marie François Gaston de Lévis Léran qui, en 1774, complète son domaine en devenant propriétaire de l'ensemble des seigneuries de Queille Belloc et de Saint Quentin"7.

Après une brillante carrière militaire, quittant le château de Léran, le marquis choisit en 1759 de vivre à Lagarde. Au roi qui lui reproche son absence à la cour, il répond : "Sire, on voit bien que votre majesté ne connaît pas Lagarde !". En 1789, lui et son fils, Charles Philibert, sont élus députés de la noblesse. Charles Philibert se rend à Paris. Louis Marie François Gaston demeure à Lagarde. Contestée par le petit peuple, qui se trouve écrasé de taxes, puis par la bourgeoisie montante, qui aspire au pouvoir politique, l'autorité du marquis se trouve de fait invalidée par les événements de la Révolution. Dés octobre 1789, Louis Marie François Gaston transporte ses archives à Toulouse et quitte la France pour Rome, d'où il lègue ses biens à son fils. Il meurt à Venise, le 23 février 1800.

Charles-Philibert tente, depuis Paris, de sauver l'héritage familial. Mais les habitants de Lagarde, pendant ce temps, saccagent et pillent le château. D'abord converti en fabrique de poudre, puis en grenier à fourrage, celui-ci est vendu comme bien d'émigré en 1794 et sert, pendant plus d'un siècle, de carrière sauvage. Tardant à rejoindre sa famille qu'il a dépêchée en Angleterre, Charles Philibert est guillotiné le 28 mai 1794. Les armoiries de la maison Lévis sont martelées dans tout Mirepoix. Voir également La dormeuse/Mirepoix An II

Emigré en Angleterre puis en Allemagne, Léopold de Lévis Léran revient en France en 1796. Mort en 1804, il n'a pas eu le temps de travailler à la récupération du bien familial.

Athanase Gustave Charles Marie de Lévis Léran († 1851), en revanche, s'attache à racheter en 1805 les châteaux de Lagarde et de Léran ainsi que l’Abbaye de Notre-Dame de la Roche, nécropole de ses ancêtres. Mais il n'habite pas Léran, et, rebuté par l'état du château de Lagarde, il en revend les ruines à Charles Vigarozy, maire de Mirepoix. Adrien Charles Marie Gui de Lévis Léran († 1889) se réinstalle au château de Léran et entreprend de retrouver un à un tous les objets et ornements disparus du château de Lagarde afin de faire revivre le souvenir de ce dernier, dans le cadre du château de Léran, nouvellement restauré.

Antoine Pierre Marie François Joseph de Lévis Léran, né à Léran le 1er août 1884, mort à Lavelanet le 16 juillet 1981, autorisé par le Général de Gaulle à porter le titre courtois de duc de Lévis Mirepoix, historien et écrivain, mainteneur de l'Académie des Jeux floraux de Toulouse à partir de 1924, maire de Mirepoix par délégation spéciale pendant les années noires, admis à l’Académie Française en 1953, restaure pleinement le lien qui a uni, durant des siècles, sa famille à l'Ariège. En 1919, il rachète aux descendants de Charles Vigarozy le château de Lagarde et le conserve en l'état jusque dans les années 1970. Après la vente du château de Lagarde, puis la mort du vieux duc, le château de Léran est vendu à son tour et loti par son nouveau propriétaire en appartements de standing.

Marie Escholier évoque de façon savoureuse, dans Les Saisons du Vent, le duc de Lévis Mirepoix tel qu'elle l'a rencontré dans le salon familial, sous le portrait de son grand-père, le député républicain Louis Pons-Tande. Voir : La dormeuse/Raymond et Marie-Louise Escholier. On reconnaîtra également Antoine Pierre Marie François Joseph de Lévis sous le nom de Marquis de Sénabugue dans Quand on conspire, roman de Raymond Escholier, publié en 1925. Voir : La dormeuse blogue : Raymond Escholier – Quand on conspire.

L'actuel duc de Lévis Mirepoix est Antoine Joseph Marie de Lévis Léran, petit-fils de Antoine Pierre Marie François Joseph de Lévis Léran, duc de Lévis Mirepoix, académicien. Antoine de Lévis Mirepoix, qui partage sa vie entre la France et l'Argentine, ne manque pas de revenir chaque année à Mirepoix. Ecrivain de race, auteur de récits mystérieusement habités par le sentiment que "la mort n'existe pas", il a reçu pour Le Passeur, en 2009, le prix spécial du jury du Salon du Livre d'Histoire Locale à Mirepoix, et il publie en 2011 Le crabe et l'aube, l'histoire d'un homme qui se rencontre lui-même sur fond d'éternité.

Bibliographie utile :

Wikipedia : La maison de Lévis

Du côté de Tréziers : Seigneurs de Mirepoix

Jeanne Bayle, Les livres liturgiques de Philippe de Lévis, évêque de Mirepoix de 1497 à 1537, in Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, Bulletin de l’année académique 2002-2003

Histariège, Histoire et Patrimoine de l'Ariège : Mirepoix, Lagarde, Léran Site Château de Lagarde

Pyrénées-biz : Le château de Lagarde

Ariège News : Château de Léran, une histoire de famille vieille de huit siècles !

Site de l'Académie Française : Antoine de Lévis Mirepoix

François Descuns, Mirepoix, reprise de l'édition de 1902, éditions Lacour/Rediviva, Nîmes, 1995

Jean Cazanave : Le canton de Mirepoix – Le pays et son histoire des origines jusqu'au XXe siècle, in Histoire et Patrimoine en pays de Mirepoix, édition Communautés de Communes du Pays de Mirepoix et de la Vallée Moyenne de l'Hers, deuxième édition, 2006

Notes:

  1. François Descuns, Mirepoix, reprise de l'édition de 1902, éditions Lacour/Rediviva, Nîmes, 1995, p. 31 ↩︎

  2. Jeanne Bayle, Les livres liturgiques de Philippe de Lévis, évêque de Mirepoix de 1497 à 1537, in Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, Bulletin de l’année académique 2002-2003, p. 241 ↩︎

  3. Jean Cazanave, in Histoire et Patrimoine en pays de Mirepoix, p. 30 ↩︎

  4. cité par Histariège, Lagarde ↩︎

  5. Site Château de Lagarde ↩︎

  6. Jean Cazanave, in Histoire et Patrimoine en pays de Mirepoix, p. 32 ↩︎

  7. en haut, à gauche : d'or à trois chevrons de sable, le blason de la maison de Lévis ↩︎

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