Il s’agit d’une industrie ancienne, aujourd’hui disparue. Situées à la Bastide de l’Hers, les deux dernières fabriques ont fermé en 1930. Les gisements de jais, vers 1900, sont pratiquement épuisés. Le travail de la galalithe, polymère (dérivé de la caséine) dont le brevet est déposé en 1900, ne parvient pas à sauver les entreprises survivantes. Restent dans les familles et dans les musées, dont celui de Mirepoix qui en possède une riche collection, de magnifiques bijoux, témoins du travail admirable, réalisé, principalement par des femmes, dans les fabriques de La Bastide-sur-L’Hers, du Peyrat, de Léran et de Sainte-Colombe-sur-L’Hers, ou à domicile.
Le jais, ou jayet (du grec. gagates, pierre originaire des bord de la rivière Gagas, en Lycie, aujourd’hui Syrie), est une variété de charbon, ou lignite, proche du carbone pur (70 à 75%). Matériau fossile, il provient comme l’ambre de la décomposition des substances propres aux arbres des premiers âges du monde1. On le nomme aussi, dans les pays anglo-saxons, black amber. Comme l’ambre, le jais est une matière dure, susceptible de polissage. On trouve, ou trouvait, des gisements de jayet en France (Vilhac, Dreuillhe, Camon, en Ariège), en Espagne (Aragon, Galice, Asturies, Valence), en Grande Bretagne (Yorkshire) et aux Etats Unis (Massachussets, Californie). En France, on ramasse encore parfois du jais lavé (roulé par les flots) sur les plages du Pas de Calais.
Morcelé en petits fragments, susceptible de fractures conchoïdales, le jais n’est pas facile à travailler. Les escapoulaires taillent et dégrossissent les fragments, à l’aide de couteaux, sur des billots de bois. Les femmes percent ensuite les dits fragments avec des forets, montés sur des tours à bobèche mus par un archet. Elles polissent les grains ronds à l’aide d’un tour à main, les pièces à cannelures et à filets guillochés à l’aide d’une lime, les pièces à facettes (de 6 à 18) à l’aide de meules arrosées d’eau. Elles terminent le polissage avec du blanc d’Espagne et du charbon de saule. Le polissage nécessite un travail minutieux, fatiguant pour la vue. D’autres femmes encore enfilent les perles, par 10 ou par 12, sur des fils de coton, les stockent sur des paillassous, les cousent sur des cartons pour l’expédition, ou confectionnent des colliers et des chapelets. Le travail reste mal payé, mais il fournit aux agricultrices, qui travaillent le soir à domicile, un précieux complément de ressources.
Détail qu’on ignore souvent, l’industrie du jais est une spécialité protestante :
« Ce sont les protestants qui ont industrialisé la vallée de l’Hers. Ils ont construit le barrage sur l’Hers pour faire tourner les usines. Puis sont arrivées les dynamos qui fabriquaient de l’électricité pour l’éclairage ».
« Les fabricants de jais étaient tous protestants, ainsi que nous-mêmes. Autrefois, on les appelaient les Huguenots »2.
Paul Cathala, arrière-petit-fils d’un des principaux fabricants de jais installés dans la vallée de l’Hers, indique lui aussi que ses ancêtres étaient protestants.
« J »ajouterai », observe-t-il, « que tous les fabricants de peignes l’étaient aussi, tels que Bez (300 ouvriers en 1900), Courtois et Coste (avec une centaine d’ouvriers chacun), mais encore Corneil. Cela faisait des centaines d’ouvriers qui se croisaient chaque jour dans les rues de ce village d’un millier d’habitants, qui s’appelait, avant la Révolution, La Bastide de Congoust, aujourd’hui La Bastide du Peyrat ».
Vous vous demandez certainement pourquoi. Eh bien, tout simplement parce qu’au cours de l’histoire, de nombreuses familles protestantes s’étaient fixées aux deux bouts de la chaîne du Plantaurel. On les retrouvait aussi bien au Mas d’Azil (qui eut aussi ses usines de peignes) qu’à La Bastide, au Peyrat, et à Léran »3.
C’est la reine Victoria qui, à la mort du prince Albert, en 1861, impose l’usage du jais au titre des bijoux de deuil. Le duc de Lévis-Mirepoix fait régulièrement présenter des bijoux de jais à ses invités :
« Mon arrière-grand père [Doris Escot] recevait de temps à autre un émissaire du château de Léran, lui demandant de venir présenter les bijoux en jais à ses invités. Mon père m’a souvent raconté que mon arrière-grand-père et le duc de Lévis Mirepoix ne manquaient pas, à l’occasion, de s’affronter, car les opinions de mon ancêtre étaient celles d’un Républicain d’avant-garde et celles de Monsieur le Duc, bien différentes »4.
De façon plus courante, le jais sert jusqu’en 1930 à la fabrication des boutons. A partir des années 1890, en même temps que les gisements s’épuisent, le goût de la couleur entraîne le remplacement du jais par le verre de Bohème coloré. Puis vient la galalithe, ensuite remplacée par le plastique.
Donnés par des familles ariégeoises, de magnifiques bijoux de jais sont exposés au Musée Patrimoine et Traditions de Mirepoix. Ils témoignent du remarquable savoir-faire développé par une population pauvre, isolée, dure à la peine :
« Ce sont ordinairement des enfants qui font les ouvrages les plus fins, et lorsque ces enfants, de l’âge de 6, 7 à 8 ans, sont assez adroits pour bien polir les facettes du jayet, ils gagnent 12 et 15 sous par jour. Dans les dernières années de disette, la plupart, à cet âge, fournissaient à l’entretien de toute leur famille »5.
L’industrie du jais, ouvrage édité et publié par Arlette Homs, fournit bien d’autres renseignements ainsi que de nombreux et rares documents d’archive. J’y ai puisé la substance de cet article. Je formule ici à l’intention d’Arlette Homs toute la gratitude que je lui dois.
1 commentaires au sujet de « L’industrie du jais en Ariège »
Carrières de Silice
Merci pour ces informations. 🙂