Datée du 13 mai 1681 à "Toloze", sobrement signée "Calages", la lettre reproduite ci-dessous 1 est adressée à Françoise de Plos, veuve d’Henri de Calages, receveur du sel à Mirepoix. Du "Calages" signataire de la lettre, nous savons qu’il s’agit de Pierre Pol Calages, né à Mirepoix en 1657, fils aîné d’Henri de Calages, issu du mariage de ce dernier avec Marie de Pech, dite Marie de Calages, auteur de Judith ou la délivrance de Béthulie. Pierre Pol Calages a pour parrain Pierre Pol Riquet, dont il porte le prénom. Marie de Pech meurt en 1661. Resté veuf avec deux fils et une petite Marie 2, Henri de Calages en 1665 se remarie avec Françoise de Plos. Six enfants naissent de cette nouvelle union. Henri de Calages meurt en 1680. Pierre Pol Calages, qui était âgé de 4 ans lors du décès de sa mère et qui a été élevé par Françoise de Plos, s’adresse ici à sa mère d’adoption. Il a 23 ans et s’apprête à devenir prêtre. A l’approche de son ordination, il s’exprime désormais dans les formes qui conviennent à l’homme d’église. D’où l’usage du terme "Mademoiselle", qui marque avec retenue le respect dû en la personne de Françoise de Plos à la fois à la mère d’adoption et à la femme de condition.
A Toloze le 13 mai 1681
Mademoisele
L’importance de la
chose en est si grande que ie m’imagine
que vous m’accorderez la grace que ie vous
ay demendee il n’y a plus dordinaire
que dimanche prochain car il faut
partir de samedi en huit pour aller
a l’odination i ay chargé Mr le
curé de Beziers de vous representer
la chose, ie nay aucune nouvele de
provence depuis 10 ou 12 jours si vous
en avez donnes me sil vous plaist mes
respects a toute la famille ie viens
daprendre d’un home de limoux que ma soeur
languit fort et se chagrine vous devriéz
la mettre en ville ou elles sont bien nourries
avec des personnes de qualité japrehende
qu’elle y viendra malade come les autres
deux tirés la si vous me croyez de cet
hospital et de chez les nigaudes consultés
dieu pour toutes choses et offrez moy dans
vos prieres a dieu esperant toujours pleinement
convaincre qu’il ny a personne au monde qui soit avec plus damitié et de respect que moy
Mademoisele
Vostre tres humble et tres
obeissant serviteur Calages
ie ne say pourquoy Mr Vidal ne ma pas fait response ie le salue sil vous plaist et le prie de la mesme chose que dans ma lettre
De façon juste et touchante, Pierre Pol Calages hésite dans cette lettre entre le style un peu solennel de l’adulte, soucieux d’honorer la personne qui l’a élevé, et le naturel du fils qui a encore besoin de l’aide de sa mère d’adoption, laquelle constitue au demeurant le seul parent qui lui reste. Proche du moment de son ordination, il va obtenir "mercredi ses demissoires", i. e. les lettres par lesquelles un évêque consent qu’un de ses diocésains soit consacré par un autre évêque. On peut supposer que cette consécration d’un jeune homme formé au séminaire de "Toloze" aura lieu dans le diocèse de Béziers, puisque "i ay chargé Mr le curé de Beziers", dit Pierre Pol Calages, "de vous representer la chose". La "chose" en question, qui nécessite l’aide de Françoise de Plos, c’est sans doute le règlement des frais relatifs à la cérémonie de l’ordination. Je pense à l’achat des vêtements sacerdotaux. Pris par l’urgence du calendrier, émotionnellement travaillé par la proximité d’une ordination qui décide de son histoire personnelle mais aussi de son établissement dans le monde, le jeune homme exprime son attente de façon insistante :
"L’importance de la chose en est si grande que ie m’imagine que vous m’accorderez la grace que ie vous ay demendee il n’y a plus dordinaire que dimanche prochain car il faut partir de samedi en huit pour aller a l’ordination"
Françoise de Plos a tardé, semble-t-il, à envoyer les fonds nécessaires, puisque le jeune homme réitère ici sa demande d’aide :
"Come il y a toutes les apparences du monde que j’auray mercredi mes demissoires ie vous fay la mesme prière que ie vous fy par le sieur Carrière"
On sait par ailleurs 3 qu’après la mort de son époux, qui, outre des affaires en désordre, a laissé derrière lui un certain nombre de dettes, Françoise de Plos s’est trouvée dans une situation financière difficile. Cette situation explique cruellement le retard dont s’inquiète le jeune homme.
Nonobstant les soucis de son ordination, le jeune homme, qui est l’aîné des enfants Calages et qui a perdu sa première petite soeur en 1675, demeure attentif au sort de ses nombreux frères et soeurs survivants, sans faire aucune différence entre les enfants de Marie de Calages et ceux de Françoise du Plos. On remarque ainsi qu’à propos de la fillette dont il parle dans la lettre, laquelle fillette est l’enfant de Françoise de Plos, il parle de "ma soeur", non de "ma demi-soeur", ou autre qualificatif du même ordre. Cette fillette, c’est Marguerite de Calages, la petite "Margotton", âgée de 9 ans, dont Françoise de Plos dit dans une lettre de 1684 4 qu’elle a "unne fluction sur les nieux depouis dix ou douse iours qui lanpesche de voir ansorte quele ne sauret sortir".
Pierre Pol Calages donne ici de sa petite soeur Margotton des nouvelles affligeantes. Margotton est hospitalisée à Limoux, et, loin de sa maman, dans ce qui reste de l’hôtel-dieu après l’incendie du 21 juin 1673 et qui continue d’accueillir indifféremment, sous l’auspice des dames religieuses dites Augustines de la charité Notre-Dame ou sœurs de la Croix, malades ordinaires, incurables, indigents, lépreux, malades mentaux 5, la fillette se trouve fort mal :
"ie viens daprendre d’un home de limoux que ma soeur languit fort et se chagrine vous devriéz la mettre en ville ou elles sont bien nourries avec des personnes de qualité japrehende qu’elle y viendra malade come les autres deux tirés la si vous me croyez de cet hospital et de chez les nigaudes"
On devine que la petite Margotton souffre de problèmes chroniques ou d’une infirmité que son frère ne dit pas, peut-être d’une cécité commençante, puisque Françoise de Plos en 1684 parle "d’unne fluction sur les nieux depouis dix ou douse iours qui lanpesche de voir ansorte quele ne sauret sortir". On écartera l’hypothèse d’un retard mental, puisque Pierre Pol Calages se soucie qu’on tire sa soeur de "chez les nigaudes". J’ignore qui sont "les autres deux" dont parle le jeune homme. De façon intéressante, le propos de Pierre Pol Calages fournit nombre de détails concernant l’organisation des soins dispensés aux malades dans une ville de province, à la fin du XVIIe siècle. Il révèle l’existence d’une médecine "à deux vitesses", dont l’une intéresse à l’hôpital plutôt les pauvres, et l’autre "en ville" les malades qui, moyennant finances, sont "bien nourris" et assistés par "des personnes de qualité". Il révèle aussi la commune déconsidération dont souffrent, même aux yeux d’un futur prêtre, les malades mentaux, ici "les nigaudes".
Le jeune homme qui, nonobstant les soucis de son ordination, s’inquiète du sort de sa petite soeur et rapporte avec des mots de tendresse qu’elle "languit fort et se chagrine", apparaît ici comme un personnage attachant, qui endosse dans la famille un rôle tutélaire, alors même qu’il demeure encore financièrement dépendant de Françoise de Plos. On remarque qu’il s’adresse à elle en confiance, comme le fils qu’elle a adopté sans faire de différence avec ses propres enfants. Ce trait de confiance confirme ce que nous savons du caractère de Françoise de Plos par la lettre du 13 février 1684, reproduite ici. Il s’agit d’une femme remarquable, courageuse dans l’épreuve, tendre et bonne. On sait par la dite lettre du 13 février 1684 que, suite aux observations alarmées de Pierre Pol Calages, Françoise de Plos a retiré sa petite Margotton de l’hôpital de Limoux. Margotton est auprès de sa maman lorsque celle-ci écrit à son frère Jean Plos qu’elle ne viendra pas au carnaval de Limoux à cause "d’unne fluction que margotton a sur les nieux depouis dix ou douse iours qui lanpesche de voir ansorte quele ne sauret sortir".
La lecture de cette correspondance familiale, au fur et à mesure qu’elle ressurgit du fonds Calages conservé aux archives de Carcassonne, m’inspire un sentiment de proximité émouvante. On s’attache à de tels personnages. On se soucie douloureusement du sort de la petite Margotton. De quel mal souffrait-elle ? Qu’est-elle devenue ? J’imagine que Pierre Pol Calages a exercé son ministère avec le coeur qu’on lui trouve ici. Je pense à Françoise de Plos avec tendresse, sachant la femme simple et résolument généreuse qu’elle a été. La lecture des archives est ainsi celle de l’histoire invisible, celle qui s’entretient via la relation transpersonnelle qui fait de nous tous, indépendamment de l’époque à laquelle nous appartenons, des contemporains, des semblables.
1 commentaire au sujet de « A propos de la famille Calages – Une lettre de Pierre Pol Calages à Françoise de Plos »
Martine Rouche
C’est pour moi à la fois un devoir, un honneur et un plaisir de laisser un comment après ton nouveau travail sur une lettre de la famille Calages. Tu as donc décidé de nous faire pleurer ? …
Je ne sais s’il est possible d’être ému intellectuellement ET affectivement. Pourtant, c’est bien mon cas. Je suis heureuse que, toi aussi, tu trouves ces lettres d’un intérêt majeur et que tu y appliques ton esprit et ton talent d’écriture. Mais il n’y a pas que ça. Comme tes deux amies » mirepoises « , tu es touchée par les personnages qui revivent dans ces lettres, soit qu’ils les écrivent, soit qu’ils les reçoivent, soit qu’ils soient évoqués. Nous nous posons les mêmes questions que toi, en particulier concernant cette petite Margotton, et nous non plus, nous n’avons pas les réponses. Mais qui sait ? Les archives doivent encore garder pour nous des documents riches à transcrire et analyser. Pour l’instant, nous n’avons pas d’autre lettre à rattacher à cette période de la vie des Calages, mais regarde tout ce que tu as su tirer de ces trois lettres ! Et surtout, tu l’as écrit ! Alors que Claudine (qui doit elle aussi avoir les cils humides …. sans avoir le temps de te l’écrire !) et moi nous sommes longtemps contentées de réfléchir et questionner à haute voix. Peu importe. Tu as ton rôle majeur dans la triade. Merci infiniment.
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