Ci-dessus : Vue de l'écluse octuple dans les années 1900.
Source : canaldumidi.com : Ecluses de Fonserranes
Lors de ma récente escapade à Béziers 1, outre que j'ai assisté à une superbe représentation du Théâtre Dromesko 2, je n'ai pas manqué d'aller admirer à Fonséranes 3 les 9 écluses, ou l'écluse octuple, chef d'oeuvre de "nostre Riquet" comme disent les Mirapiciens 4, – dont je suis, même d'adoption.
La petite difficulté a été de déterminer le chemin qui mène aux 9 écluses. Les passants presque toujours n'en savent rien, et le dépliant fourni par l'office de tourisme ne situe pas le site des 9 écluses de façon précise. A l'office de tourisme même, la personne que nous avons consultée à l'accueil, nous a dit que c'était bien trop loin pour que nous envisagions d'y aller à pied !
– Trop loin comment ? Deux heures ? Quatre heures ?
La personne ne savait pas. Elle nous a indiqué vaguement la direction de Fonserranes.
Pariant que les 9 écluses ne se trouvaient sans doute pas si loin qu'on nous le disait, nous avons pensé qu'il suffisait de descendre vers l'Orb. Ensuite, nous verrions…
Au coeur du Jardin des Poètes, parc imaginé par Eugène Bülher, également créateur du Parc de la Tête d'Or à Lyon, deux vues du Titan, oeuvre spectaculaire, due au grand sculpteur Jean Antoine Injalbert.
Quelques figures de poètes : Victor Hugo par Injalbert ; Emile Barthe, félibre, par J.G. Roustan ; épouse ou fille d'Emile Barthe.
Logés à l'Hôtel des Poètes, au bord des allées Riquet, nous traversons le beau Jardin des Poètes, dont la pente incline rapidement vers l'Orb, et, après avoir dévalé une petite rue dominée par une belle maison de style orientaliste, puis traversé un boulevard bordé d'immeubles en chantier, nous arrivons au quai de l'Orb. Là, après avoir franchi sous la voie du chemin de fer un tunnel sombre, puis longé sous les platanes la gracieuse villa Saint-Félix…
Nous voici à l'écluse de Béziers, au bord du Canal du Midi.
Nous empruntons le chemin de halage, et, toujours cheminant au bord de l'eau verte, nous partons en direction des 9 écluses de Fonséranes.
Le parcours commence, ô surprise, par le franchissement du fleuve Orb via le Canal devenu pont. Le canal en effet passe par-dessus le fleuve, ou le fleuve par-dessous le canal ! On éprouve une impression très curieuse à cheminer ainsi à la fois au bord de l'eau et au-dessus de l'eau.
On voit sur la photo-ci contre les piles du pont-canal et alentour les rides de l'Orb.
Bien que Vauban eût formé dès 1684 l'idée d'un pont-canal, l'édification de ce pont date de 1857 5. Le canal, initialement, traversait l'Orb, fleuve irrégulier, mal navigable. Il est ensuite surélevé par une digue, censée maintenir le tirant d'eau nécessaire à la navigation. Mais l'effet de la digue se révèle insuffisant en raison du sable qui s'accumule alors dans le lit de l'Orb. Confiée en 1854 à l'ingénieur Jean Magues, la réalisation du pont-canal nécessite trois ans de travaux fort coûteux.
Depuis le pont-canal, on voit le Pont Neuf et, plus loin, plus haut, reconnaissables à leur air de forteresse, la cathédrale Saint Nazaire et l'évêché de Béziers 6.
Nous marchons maintenant au bord du Canal qui s'écoule ici entre deux grandes haies de cyprès. La présence de ces arbres de tradition millénaire, le ciel céruléen, le calme des eaux, tout inspire ici le sentiment du temps immobile, de telle sorte qu'on ne sait plus si l'on marche dans un paysage du XXIe ou du XVIIe siècle, voire au bord d'une via de l'antiquité romaine.
Une heure environ après avoir quitté l'hôtel des Poètes, nous arrivons au site dit "des 9 écluses". Plutôt que de "9 écluses", il s'agit en fait d'une écluse octuple, i. e. composée de 8 bassins successifs et de 9 vannes, nécessaires aux navires pour franchir une dénivelée de 25 mètres. Nous nous trouvons ici en face du bassin inférieur.
25 mètres plus haut, nous voici parvenus en face de la vanne supérieure. Celle-ci se trouve coiffée d'un petit pont en forme de dos d'âne qui permet de gagner l'autre rive de l'écluse.
Voici l'écluse octuple, vue du haut des 25 mètres de dénivellation qu'elle ménage. Elle forme ainsi, de bassin en bassin, un escalier d'eau. La découpe ovoïde des bassins ajoute à la spectaculaire harmonie de l'ensemble. Lorsque demain matin les vannes, une à une, s'ouvriront, l'eau descendra majestueusement vers la ville, qui apparaît en gloire au loin, dans une perspective légèrement oblique. Pierre Pol Riquet a construit ici le plus beau des hommages à sa ville natale.
Sur l'autre rive de l'écluse, une étrange machinerie, installée en 1984, aujourd'hui hors service, témoigne de la courte période d'utilisation d'une pente d'eau. Equipé d'un bac rempli d'eau, le dispositif permettait de transporter les navires 25 mètres plus bas via un engin monté sur pneus. Le transport des marchandises cesse toutefois sur le Canal à partir de 1985. L'usage de la pente d'eau est en conséquence abandonné.
Nous repartons vers Béziers, toujours au bord du Canal.
Je reconnais, à la vue de la double issue de ce bassin, la forme en "fer à cheval" déjà aménagée par Riquet dans le bassin expérimental de son château de Bonrepos 7 afin de faciliter la conduction des eaux.
Le Canal, au soleil couchant, se pare d'ombres longues dans lequelles passent des flotilles de canards.
Précédés par d'autres ombres, nous revoici sur le pont-canal.
Avec son air de forteresse, ses tours, son clocher, son campanile, la cathédrale Saint Nazaire figure aux yeux du promeneur un repère visible de toutes parts. Elle figure également, en dialogue avec le Canal, la beauté des oeuvres humaines, telle que l'histoire les rassemble si superbement à Béziers.
Pour en savoir plus sur le Canal du Midi, voir l'excellent site : Canal du Midi – Canal Royal du Languedoc
Pour une autre promenade dans Béziers, in. La dormeuse blogue : A Béziers, en flânant, des allées Riquet à la cathédrale Saint Nazaire
1 commentaire au sujet de « A Béziers, en flânant, du Jardin des Poètes aux 9 écluses de Fonséranes »
Martine Rouche
Jacques Delille, L'Homme des champs, chant II, 1803, pages 92, 93 :
" Changez en long canal ces flots capricieux ;
Bientôt vous allez voir mille barques agiles
Descendre, remonter sur ces ondes dociles :
Aux pays étrangers il porte vos trésors ;
Des fruits d'un sol lointain il enrichit vos bords ;
Par lui, les intérêts, les besoins se confondent,
Tous les biens sont communs, tous les lieux se répondent ;
Et l'air, l'onde et la terre en bénissent l'auteur.
Riquet, de ce grand art, atteignit la hauteur.
C'est lui qui, maîtrisant les monts, les champs, les ondes,
En joignant les deux mers rapprocha les deux mondes.
Là, par un art magique, à vos yeux sont offerts
Des fleuves sur des ponts, des vaisseaux dans les airs ;
Des chemins sur des monts, des rocs changés en voûte ;
[…]
Là, d'espace en espace, en tombant retenus,
Avec art aplanis, avec art soutenus,
Du mont, dont la hauteur au vallon doit les rendre,
Les flots, de chute en chute, apprennent à descendre ;
Puis, traversant en paix l'émail fleuri des prés,
Conduisent à la mer les vaisseaux assurés ;
Chef-d'oeuvre qui vainquit les monts, les champs, les ondes,
Et joignit les deux mers qui joignent les deux mondes. "
Martine Rouche
" Au point où nous sommes parvenus, au bord d'une vallée vaste et profonde, et dominant à une hauteur de 25 mètres le cours de la rivière d'Orb, récemment amélioré par la construction de belles banquettes en maçonnerie, on découvre une admirable vue.
Riquet a eu recours, pour amener le lit du Canal au niveau de la rivière, à huit sas accolés, et malgré les inconvénients qu'éprouve ici la navigation, on ne peut s'empêcher, avant tout, d'admirer ce bel ouvrage d'art qui rappelle l'escalier de Neptune du Canal de Calédonie.
En effet, du pied de l'écluse de Fonserannes, lorsqu'on y est parvenu, les huit sas présentent dans tout leur développement une énorme masse de construction de plus de 312 mètres de longueur sur une hauteur perpendiculaire de 25 mètres. Rien n'est plus beau et plus imposant que l'ensemble qu'offre la suite de ces huit sas, lorsque toutes les vannes étant ouvertes à la fois, les eaux se précipitent en cascade et couvrent d'une nappe d'écume blanche toute la hauteur depuis Fonserannes jusqu'au port de Béziers. "
Guide du voyageur sur le Canal du Midi et ses embranchements, sur les canaux des étangs et de Beaucaire, et sur le Canal latéral à la Garonne, anonyme, 1853, pages 124, 125.