A chacun ses petits châteaux de bohème. D’un château l’autre, la baronne a quitté le 9 du cours Louis Pons-Tande pour revenir, quelques dizaines de mètres amont, au 23 de la rue du Gouverneur Laprade, situé à l’angle du cours Louis Pons-Tande, en face de la pâtisserie Diant. A Mirepoix of course. Comme je voyais la baronne installée sur le pas de sa (petite) porte, je lui ai demandé si elle accepterait de répondre à quelques questions. Elle a dit oui. Rendez-vous donc, jeudi, chez la baronne.
La baronne me reçoit sans façons. "On se tutoie". Comme elle sait que j’ai lu A la gloire de Pollo, le polar qu’elle a publié en décembre dernier, elle me demande tout de go ce que je pense de l’écriture au féminin. Comme j’hésite, elle me donne l’exemple de Jeanne et Jacques. Une femme qui écrit au féminin, dira que "Jeanne et Jacques sont allées au marché et qu’elles ont acheté des pommes de terre". Un écrivain mâle dira, de son côté, que "Jacques et Jeanne sont allés au marché et qu’ils ont acheté des pommes de terre". La baronne pratique cette grammaire de genre dans A la gloire de Pollo. J’ai dû relire la première page, puis j’ai pris le pli. Par principe, la baronne remplace le phallo-neutre des grammairiens 1, celui qui sert à désigner les espèces – les végétaux, les animaux, les humains, etc. -, pourquoi pas ? par son parèdre femelle . Elle écrit ainsi "les végétales", "les humaines", les animales", et, plus amie des bêtes, "les chiennes"… Mais elle ne s’en fait pas un casus belli. Elle n’a pas le goût de la revanche. "Ça ne sert à rien". Elle incline pour la paix des ménages. Mais elle milite pour une révolution de la grammaire. Une vraie, qui ne produise pas des féminins déclassés ou prognathes, comme "doctoresse", "poétesse", "auteure", mais des noms qui sonnent clair, comme "écrivaine" ou "autrice", qu’elle aime bien. "Les femmes n’auront pas d’existence tant qu’il n’y aura pas deux dictionnaires", l’un au masculin – celui des animaux et des humains -, l’autre au féminin, – celui des animales et des humaines.
Bien que je me sente sur le coup légèrement indiscrète, je demande à la baronne s’il y a dans A la gloire de Pollo, comme je le suppose, une part d’autobiographie ou d’autofiction. "Tout est vrai". La réponse fuse. "Tout est vrai, sauf le commissaire, car je ne connais pas de commissaire". Sourire d’honnête citoyenne. "Oui, j’ai quitté une existence toute tracée, dans laquelle j’étouffais ; oui, j’ai exercé, pour vivre, toutes sortes de métiers ; oui, j’ai été, durant une dizaine d’années, libraire à Pamiers… La vraie vie. J’ai bien fait".
Je demande à la baronne si, enfant, elle se sentait habitée par une vocation artistique, si elle a changé de vie pour répondre à cette dernière, et comment elle s’est engagée sur la voie de la création. "Pfft!", dit la baronne. "J’ai choisi la vie. Et dans la vraie vie, entre autres activités, comme ça, comme j’ai retapé des maisons, j’ai eu envie de peindre. Pour moi. Sans avoir appris. Puis j’ai fait de la photo. Je ne photographie pas les gens, mais les choses, les lieux, l’herbe, les rues, la vie. Ci-contre, photo Labaronne.
Comme j’avais un tas de poches en plastique, un jour, j’ai eu l’idée d’en faire quelque chose. J’aimais bien la matière, la contrainte des couleurs. Et puis, le matériau ne coûte pas cher. Quoique, à force d’en consommer pour mes plastiqueries, j’ai dû en acheter en gros. Préalablement au tissage, je supprime les anses des poches plastique, puis je découpe le fond, et il me reste un cylindre que j’utilise de façon diverse. C’est long, mais indispensable. J’écoute la radio en même temps. Une autre façon de pratiquer les ouvrages de dame. Sourire, façon Chat du Cheshire… J’ai d’abord tissé mes poches en plastique sur des grillages de jardin. Je pratiquais la méthode du tapis noué. J’ai obtenu un tapis si serré que la grille s’enroulait sur elle-même. J’ai fait aussi de grandes fleurs. Et, en ce moment j’habille de plastique blanc des supports de machines à coudre anciennes".
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Comme je fais remarquer à la baronne que je vois dans le socle de la machine à coudre enfroufrouté de plastique blanc quelque chose comme une représentation drôlatique de l’affaire de la robe de la mariée, – en somme la version féminine du Grand Verre de Duchamp, autrement appelé La Mariée mise à nu par ses célibataires même, la baronne me laisse placidement dire. Elle ne se soucie pas d’expliquer. J’insiste. Je lui demande si elle considère les Grandes Fleurs comme des choses, le fruit de manipulations formelles dont on se détache une fois qu’elles sont terminées, ou des sortes d’interlocutrices, et, bien qu’il s’agisse d’une question bizarre, si elle leur parle. "Je les aime", me dit la baronne. "Je les pose un peu partout dans ma maison et je les regarde".
"Je les regarde".
La baronne expose actuellement rue du Gouverneur Laprade, en même temps que quelques uns de ses travaux photographiques, des toiles signées du peintre Michel Cubières. L’exposition s’intitule Végétales. Elle regroupe un petit nombre d’oeuvres, choisies et installées de façon jumelle, à fin de confrontation entre la peinture et la photographie. Michel Cubières, me dit la baronne, peint au couteau. Il s’en sert pour dégager peu à peu le motif, sur la toile préalablement recouverte de peinture. La baronne, elle, se sert de Photoshop pour déployer, sur le mode sérique, le visage mobile de ce que fixe, ou fige, l’instantané photographique.
En haut, les photos de Labaronne ; en bas, les toiles de Michel Cubières. L’installation fait jouer les effets de correspondance. Sur le mur, elle produit un rythme.
Deux toiles de Michel Cubières. Dans une coupe, des galets, ramassés au bord de l’Hers. "J’aime les cailloux. J’en ai toujours", dit la baronne. "Terne au sol, comme le jour est terne par rapport à la nuit, à l’instant même où l’onde le reprend elle lui donne à luire. Et quoiqu’elle n’agisse pas en profondeur, et ne pénètre qu’à peine le très fin et très serré agglomérat, la très mince quoique très active adhérence du liquide provoque à sa surface une modification sensible. Il semble qu’elle la repolisse, et panse ainsi elle-même les blessures faites par leurs précédentes amours. Alors, pour un moment, l’extérieur du galet ressemble à son intérieur : il a sur tout le corps l’oeil de la jeunesse" 2.
Végétales de Michel Cubières
Végétales de Labaronne
Derrière les fleurs, un mur rose. "D’un rose plus fané que sur la photo", observe la baronne. Je photographie une photographie exposée sous un verre. D’où le reflet qui voile l’image.
La baronne me raconte maintenant l’histoire d’une série, qu’elle me montre tout en parlant. Pierre Daboval, dont elle exposait récemment les dessins, lui adressait des lettres-océan, des lettres d’artiste, association de textes et d’images, prolongement de l’oeuvre exposée, et souvent un bouquet de fleurs. Elle a, me dit-elle, photographié, puis revisité sous Photoshop, chacun des bouquets de fleurs, constituant ainsi la série qu’elle détaille sous mes yeux. La série est très belle. Sa genèse l’éclaire d’un jour remarquablement croisé. J’ai aimé le caractère affine de cette expérience.
Une lettre de Pierre Daboval
Le soir tombe. Nous nous quittons. La baronne expose à Mirepoix, rue du Gouverneur Laprade, jusqu’au mois de juin. Ensuite, elle ferme. Lasse d’attendre à Mirepoix l’écho qui ne vient pas, elle s’installe désormais à Bram, dans l’Aude. A suivre… “Les Pyrénées étaient légères et transparentes comme un lavis chinois dans ce temps doux et gris. Mais aujourd’hui il y avait du vent et l’air devenait océanique. Quelquefois l’été on entendait même les vagues du vent dans les feuilles des peupliers et l’odeur des pins semblait venir de la Méditerranée”. La Baronne, in A la gloire de Pollo
1 commentaire au sujet de « Rendez-vous chez la baronne »
Martine Rouche
Heureusement(fortunately),La Dormeuse invite à découvrir La Baronne avant qu’il ne soit trop tard pour nous. Sinon, c’était tant pis, pour nous.
Le premier portrait est superbe, La Baronne et les lignes du décor. Les teintes sobres, aussi, avec le sourire malicieux et les mains ouvertes comme seules couleurs ou presque. Deuxième portrait, bras fermés: prudence!
Et une explosion de couleurs ensuite! Il est connu à Mirepoix que La Baronne crée à partir de plastique, mais personne n’en sait ni dit davantage, et il y a une petite dose d’indulgence, comme pour une enfant. Mais non, là, le travail sur ces plastiques séduit par sa luminosité, le passage par la forme identique initiale et le tri par couleur.
Et une autre source d’émerveillement: la visite parallèle des photos de La Baronne et des toiles de Michel Cubières. Somptueux et luxuriant. Quel univers!
Il me semble qu’un tour du côté de cette galerie s’impose!
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Follet Véronique
bonjour,
Grâce à ce merveilleux outil qu’est Internet, j’ai trouvé votre blog où était mentionnée La Baronne. Je dois participer à une expo sur des sacs plastiques dans la région parisienne et je voulais donner les coordonnées de La Baronne à la personne qui s’occupe de l’expo mais après une vaine tentative à la airie de Bram je m’adresse à vous pour savoir si vous les connaissiez et pourriez me les communiquer.
merci
Véronique Follet