Martine Rouche, vice-présidente de l’Office de Tourisme de Mirepoix, m’a fait l’amitié de m’inviter à visiter en sa (savante) compagnie le clocher de la cathédrale de Mirepoix. Occasion exceptionnelle (pour des raisons de sécurité, le clocher se trouve ordinairement fermé au public). Moment de pur bonheur. Il y faut toutefois des jambes, et certain goût des cimes (du vertige)… La flèche de la cathédrale culmine à 65 mètres de hauteur. On s’arrête, heureusement, au pied de la flèche.
Noyée dans l’ombre de la nef, une porte discrète ouvre sur un étroit escalier de pierre qui s’élève de façon hélicoïdale à l’intérieur d’une tourelle adossée au clocher. Cet escalier donne accès aux étages du clocher.
Qui est ce Joseph, dont le nom figure ici sur une marche, et ailleurs aussi, en divers endroits du clocher ? Personne ne le sait.
Construit sur une base carrée, le clocher s’élève ensuite en forme de tour octogonale, elle-même surmontée d’une flèche à huit pans.
Nous nous risquons prudemment sur le sol du premier étage, doté en son centre d’une grande ouverte circulaire, qui donne sur le vide du niveau inférieur. J’ai eu vaguement envie de me pencher sur ce vide, mais, peu confiante en la solidité du parterre, je n’ai pas osé m’approcher du trou béant. Au-dessus de nos têtes et dans l’alignement de l’ouverture au sol, une autre ouverture, cette fois occultée, ouvre sur l’étage supérieur.
Vues du premier étage : plafond, fenêtre, arc d’ogive supporté par un culot en forme de cornet.
Nous sortons ensuite sur la galerie qui circule sous les arcs-boutants, autour du clocher.
« La transition entre le carré et l’octogone », dit Félix Pasquier à propos de la forme du clocher, « est ménagée par des arcs jetés entre les pinacles des contreforts et les dernières assises de la base carrée » 1.
L’effet, vu du dessous, a quelque chose de christique. Tête renversée, bras en croix, sous le regard des gargouilles.
Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria d’une voix forte :
Éli, Éli, lama sabachthani ? Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? 2
Le même arc-boutant, vu de côté, quitte son visage christique. En bas, la place est tranquille.
La gargouille, dont la silhouette se découpe sur le rouge d’un toit, arbore un visage de femme. La commère veille.
On dit que les cathédrales sont des livres de pierre. Sur le pourtour de la galerie, en tout cas, les pierres parlent. Mais que disent-elles ?
Sans doute racontent-elles le travail des hommes qui se sont succédé ici pendant des siècles. La construction de la cathédrale, en remplacement de l’ancienne église, s’échelonne en effet de 1343 à 1865.
Martine Rouche me fait remarquer qu’une telle construction suppose le réemploi de pierres empruntées à d’autres bâtiments, ruinés ou abandonnés. Les marques qui figurent sur les pierres sont en conséquence d’origine composite et demeurent, à ce titre, difficiles à exploiter, concernant l’histoire de la cathédrale. Elles n’en constituent pas moins autant de signatures émouvantes, et comme la mémoire de cette cohorte d’inconnus qui ont passé leur vie à tailler des pierres.
Dans cette cohorte, il y a probablement Joseph.
Quelques dates ou nombres, relevés sur le pourtour de la galerie. Là encore, d’origine et de signification incertaines.
Reprenant notre ascension, toujours sur les traces de Joseph, nous gravissons les degrés qui conduisent au second étage.
Joseph 1725 ?
De loin en loin, une lucarne offre, dans l’escalier, une vue déjà surplombante sur les toits de Mirepoix, les fenêtres à meneaux du palais épiscopal.
Bizarrement, je me suis souvenue d’une phrase de Cézanne : C’est comme une carte à jouer. Des toits rouges sur une mer bleue. Puis, saisie par l’évidence formelle du triangle, j’ai pensé à d’autres triangles… Il y a toujours un monde d’images, formes, couleurs, qui point à l’horizon de la sensation pure. Le paysage nous vient au futur antérieur.
De gauche à droite : vue des toits de Mirepoix depuis le clocher de la cathédrale ; Cézanne, Vue de l’Estaque et du Château d’If, 1885 ; Giorgio de Chirico, Le gant rouge, 1956 ? ; Max Ernst, Euclide, 1945.
Arrivées sur le palier du second étage, nous entrons dans la chambre des cloches.
Soutenues par un beffroi complexe, celles-ci sont au nombre de 16, dont un bourdon de deux tonnes. La plupart des poutres du beffroi sont anciennes. Le carillon vient d’être restauré.
Au sol, nous retrouvons l’ouverture occultée que nous avions remarquée sur le plafond du premier étage.
Au-dessus de nos têtes, nous apercevons tout là-haut, dans la perspective fuyante qui prolonge l’étagement du jeu de cloches, une troisième ouverture circulaire, correspondant à la base de la flèche.
Ce système d’ouvertures, qui ménage, au centre du clocher, une sorte de colonne ou de puits, protège le bâtiment en facilitant in situ la dissipation des ondes sonores.
Les fenêtres de la chambre des cloches, sur leur versant extérieur, sont équipées d’abat-son en ardoise. Ceux-ci, comme le nom l’indique, servent à renvoyer le son vers le sol.
L’ensemble du clocher, enfin, demeure structurellement indépendant de la nef. Celle-ci se trouve de la sorte soulagée du poids des cloches et protégée des puissantes vibrations sonores.
Toujours plus haut, nous arrivons au sommet de la tourelle, là où se termine l’escalier.
Située en léger contrebas, une petite porte latérale donne accès à une seconde galerie, qui circule, cette fois, au pied de la flèche, et qui se trouve raccordée à la tourelle par une simple passerelle, suspendue au-dessus du vide !
Le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large qu’il ne faut, s’il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n’en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer.
La planche n’est pas ici plus large qu’il ne faut. Elle le serait même plutôt moins…
Je pâlis. Je sue. Mais je veux prendre des photos. Je traverse.
Le vent, à cette altitude, balaie la galerie. L’espace est étroit. Je me déplace lentement, en prenant appui contre la flèche.
Même ici, les corniches sont garnies de pointes, pour décourager les pigeons.
Par-dessus ou à travers la balustrade ajourée, je vois d’abord les couverts, le Béal ; au loin le château de Terride ; puis, de l’autre côté, le vieux cimetière, la station Esso, l’hypermarché Super U ; au loin la chaîne des Pyrénées ; la route de Pamiers ; l’univers, en somme !
Je n’ai pas le courage de risquer la dernière épreuve.
Il s’agit de franchir à nouveau le vide pour gagner ce promontoire ultime…
La plate-forme est toute petite. On a juste la place de s’y tenir debout. Au vent du ciel.
Je laisse la place à l’ange de la Résurrection ou à n’importe quel autre guetteur céleste.
Je veux redescendre sur terre !
Plus tard, nous avons bu un café sous les couverts.
Le soir, depuis ma fenêtre, jai jeté un coup sur la flèche de la cathédrale.
« L’évêque Philippe de Lévis fit dresser en 1506 la flèche du clocher qui fait la renommée de l’ancienne cathédrale de Mirepoix. Ce clocher est composé de deux étages carrés maintenus aux angles par des contreforts au-dessus desquels s’élèvent deux étages octogones éclairés sur chaque face par des fenêtres à meneaux. Au-dessus du dernier octogone, la flèche très aiguë – ceci afin de compenser l’absence de tambour – et à huit faces, porte à soixante mètres la croix terminale. Ses arêtes sont ornées de crochets qui adoucissent la sécheresse des lignes » 3.
Cet après-midi, nous étions là-haut !
1 commentaire au sujet de « Une visite au clocher de la cathédrale de Mirepoix »
Martine Rouche
Quelle aventure! dirait ma petite-fille aînée…
Tu as pâli et sué, à moi de rougir et discrètement tenter de me retirer…
Magnifique récit d’une toujours magnifique ascension. Avec à l’esprit aussi, la certitude de continuer de découvrir qui fut Philippe de Lévis, mettant nos pas dans les siens. Il faut absolument faire l’ascension du clocher de l’abbaye de Lagrasse, voulu par le même Philippe de Lévis, mais qui ne put jamais être achevé. La vue, toutefois, de la plateforme ultime qui surplombe les jardins de l’abbaye et leur ingénieux système d’irrigation, suffit à nous faire et pâlir et suer….
Merci une nouvelle fois, et à d’autres découvertes en ta compagnie, in situ et in libro…
Bé@
Superbe article. Je suis surprise de voir que le petit escalier qui mène au clocher est absolument identique – mises à part les inscriptions- à celui du petit château de La Rochelambert où je suis née (Velay). Je dois avoir quelques photos sur un de mes albums du blog. Sinon, il faudra que je trouve le moyen de t'en faire parvenir une parce que c'est troublant. Il faudra que je passe voir tout ça à Mirepoix.
Bonne journée.