J’aime bien, en fin de semaine, faire le tour de Mirepoix en même temps que le tour des brocantes. Je passe chaque fois par l’Allée des Soupirs. Je revisite ainsi les lisières de la ville ancienne. Les remparts sont aujourd’hui disparus ; trois des quatre grandes portes aussi. Mais le tracé des Cours et de l’Allée des Soupirs correspond à celui des douves autrefois ménagées au pied des remparts. On marche ici dans la spatialité du Moyen-Age. Le sentiment du paysage s’en trouve subtilement changé. Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, la ville que l’on voit se double à tout instant d’une ville invisible, là physiquement sensible, comme l’est à l’imagination le velours d’une doublure.
Tournant le dos aux soupirs qui planent sur le vieux cimetière, je remonte l’Allée pour le plaisir de contempler le bel alignement des platanes, rendu plus solennel encore par la nudité de l’hiver. Il y a dans cet aménagement de l’espace une sorte d’évidence, difficile à dire, qui est, pour moi, celle de la civilisation. Non la civilisation des conquêtes, mais celle de la paix des armes, qui autorise, au titre du moment métaphysique, le possible de la pure contemplation.
Arnold Böcklin, Le bois sacré, première version, 1882
D’un côté, le vieux cimetière ; de l’autre, le Monument aux Mort. Autre paradigme de la civilisation, l’Allée figure, sous les platanes, le trajet de la mémoire qui, inlassablement, questionne la fuite des années, la précipitation des mondes. Simple et pathétique, le Monument aux Morts dit assez la nature du questionnement. Derrière le Monument aux Morts, la Fontaine de la Nation ne coule plus. Probablement édifiée au temps de la Révolution, rénovée en 1830, puis détériorée par l’installation de la ligne de chemin de fer et la construction de la maison attenante, jamais réparée, elle semble aujourd’hui oubliée, par là dépossédée de toute valence symbolique.
Avenue du 8 Mai 1945, puis Cours Maréchal de Mirepoix, le dimanche de la vie reprend ses droits. J’entre chez le brocanteur qui jouxte la Porte d’Aval. Miroirs, bergères, consoles, lustres, bronzes. Le style est élégant. Le goût, sûr. Je rêve d’un vaste fauteuil, profond, attendri par l’usage. Je me fie au chien du maître des lieux. L’animal repose sur le fauteuil qui, de tous, se prête le plus évidemment à la volupté humaine. Le maître précise qu’il vend le fauteuil, mais pas le chien.
Rue Monseigneur de Cambon, juste derrière la Porte d’Aval, je pousse une porte qui baille et, surprise ! je me retrouve dans la Tour de Montfaucon. Adossée à un reste de rempart visible Cours Maréchal de Mirepoix, il s’agit d’une ancienne tour de guet qui surmonte l’hôtel de Montfaucon. Puissant seigneur, Charles de Montfaucon fut, à Mirepoix, au XVIème siècle, le rival de la maison de Lévis. Je monte un escalier à vis et, d’étage en étage, je profite des diverses vues ouvertes sur Mirepoix et ses environs par une suite de lucarnes poussiéreuses.
L’escalier débouche directement sous le toit de la tour. Là, une dernière fenêtre offre de la cathédrale une vue en contre-plongée, étrangement semblable à celle de la Tolède du Gréco.
De l’effet perspectif comme révélateur des structures profondes de l’imaginaire… J’ai songé que le seigneur de Montfaucon avait pu déployer ici à la fois le regard de la guerre et celui de la contemplation.
Double sagittalité du regard, figure bifrons d’Eros/Thanatos…
Le récit de ma promenade, aujourd’hui, s’arrête là. A suivre, la semaine prochaine.
1 commentaires au sujet de « De l’Allée des Soupirs à la Tour de Montfaucon »
Martine Rouche
J’adore! J’adore l’itinéraire choisi, le cheminement et la réflexion. C’est la grande promenade avec mes petites-filles. Elles connaissent le jardin recomposé, elles jouent à la marelle sur les dalles du faux labyrinthe, elles ont essayé de relever par frottis au fusain les monuments gravés (échec patent!), elles font voguer des feuilles au fil de la petite eau, elles observent le haut du platane par la lunette pour promeneurs astronomes, elles posent mille questions sur le monument aux morts (Pourquoi elle est triste, la dame?). Monument qui a une histoire tellement particulière: placé initialement au chevet de la cathédrale, puis déplacé peu après « hors les murs », au grand chagrin des membres du comité de souscription qui reprochèrent au conseil municipal de »tuer leurs morts une deuxième fois ».Le sculpteur fait partie, pour moi, des grands oubliés, mais nous veillerons à lui rendre sa place!
Fortune d’avoir pu accéder à la Tour de Monfaucon! Depuis quelque temps, la porte à digicode, fermée forcément, empêche de voir la magnifique porte d’accès à la tour. Il faut désormais saisir l’occasion de gravir ces marches usées, menant au-dessus des toits et donnant une autre image de la ville.
Merci pour cette jolie promenade, inachevée, ai-je cru comprendre?…