Christine Belcikowski

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D'autres et d'autres eaux

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Ποταμοῖσι τοῖσιν αὐτοῖσιν ἐμϐαίνουσιν ἕτερα καὶ ἕτερα ὕδατα ἐπιρρεῖ· Καὶ ψυχαὶ δὲ ἀπὸ τῶν ὑγρῶν ἀναθυμιῶνται·

Dans les fleuves toujours mêmes au sein desquels nous entrons, d'autres et d'autres eaux s’écoulent. Et nos âmes, comme l'eau, s’exhalent en vapeurs.

Dans les fleuves (ποταμοῖσι) toujours mêmes (αὐτοῖσιν) au sein desquels nous entrons (ἐμϐαίνουσιν), d'autres et d'autres (ἕτερα καὶ ἕτερα) eaux (ὕδατα) s’écoulent (ἐπιρρεῖ). Et nos âmes (ψυχαὶ), comme l'eau (ὑγρῶν), s’exhalent en vapeurs (ἀναθυμιῶνται).
Héraclite. Fragments. Diels-Kranz B 12.

Fleuves, rivières, et autres riquets
dieux amis des rives sauvages,
cousins du Tibre latin,
du Loir gaulois et du petit Liré,
on vous dit impassibles,
toujours mêmes,
indifférents au pas de nos jours.
Or comme ailleurs le chandelier a sept branches,
le pont ici a sept arches,
car passible de tours et détours,
de crues et décrues,
la rivière, d'âge en âge, n'est pas toujours même.
Celle qui coulait hier sous sept arches
coule aujourd'hui sous une seule des sept arches ;
et ses rives, qui hier soir encore en verdure foisonnaient,
sont de sable ce matin,
sur lequel une main de tempête a semé,
sœur des dents du dragon,
l’engeance des cailloux.
De ces fleuves, rivières et autres rus,
qu'on dit toujours mêmes,
souviens-toi qu'en vertu du décret de la terre et des cieux,
du hasard ou de la nécessité de leur cours méandreux,
il en est aussi qui changent de nom,
tels l'Ister, qui, né de la Brigach et de la Breg,
se nomme ensuite
Donau, Dunaj, Duna, Dunav, Дунав, Dunărea, Дунай, Danube, ou Tuna,
et dont Höderlin dit que Was aber jener thuet der Strom,
Weis niemand
.
« Ce qu’il fait, lui, le fleuve,
nul ne sait. »
Nul ne sait ici davantage
pourquoi le Riquet se nomme Countirou
ou pourquoi le Countirou se nomme Riquet.
Si tu descends, l'été,
dans l'eau qui coule sous le pont au sept arches
tu sauras comment ton âme
s'exhale, elle aussi, en vapeurs changeantes.
Dormantes ou courantes, nos âmes
— issue de la théologie médiévale, la traduction de ψυχή par âme sonne hélas trop catholique pour dire le vif de nos corps ! —
sont, d'un instant l'autre comme l'eau,
autres et toujours autres,
et, d'un instant l'autre, il ne reste rien
du froid que le vif endure,
du délassement qui vient à la suite,
du froid qui revient encore,
bref des émotions de la vie qui passe.
Àmes, à l'impermanence livrées !
Quoi, l'identité ?
C'est le Vif allé avec le Mort qui le saisit sans cesse.

Classé dans : Poésie Mots clés : aucun

Sceau et ex-libris de François Tristan de Cambon, évêque de Mirepoix

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ci-dessus, de gauche à droite : sceau de François Tristan de Cambon ; ex-libris de François Tristan de Cambon.

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Source : Bibliothèque numérique patrimoniale MEMONUM de Montpellier.

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Ci-dessus : « Il faudra prendre de la viande de boucherie, faire tuer des poulets ; si au marché du lundi il y a un jeune levraut et qui puisse aller au mercredi, vous l'achèterez. Si je n'ai pas de la volaille, il faut en acheter. Comme il est rare qu'il y ait des dindonneaux à acheter à Mirepoix, vous pourrez donner la commission à Pamiers. Vous ferez prendre des ris de veau et des cervelles. Je suis, Monsieur, très parfaitement votre très humble et très obéissant serviteur. FT évêque de Mirepoix ». Signature courante de François Tristan de Cambon. Lettre adressée le 18 juillet 1789 à Pierre Paul Alard, avocat, receveur des décimes de Mirepoix.

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Ci-dessus : Jean Rigail. Portrait de Monseigneur de Cambon, peint en 1844 d'après un original plus ancien.

Né le 27 août 1716 à Toulouse, fils de Louis Emmanuel de Cambon, président au parlement de Toulouse, et de Marie de Ferrand, fille elle-même d'un président au parlement de Toulouse, François Tristan de Cambon a été évêque de Mirepoix de 1768 à 1790. Très impliqué dans l'administration de son diocèse, il a été à l'initiative de la construction du nouvel hôpital de Mirepoix et de celle du grand pont de pierre sur l'Hers. Retourné en 1790 dans sa famille à Toulouse, il y meurt le 20 novembre 1791.

À lire aussi :
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En 1782, dans la famille Rouvairollis… Le Sieur Caudeval (de…), cadet gentilhomme au bataillon auxiliaire des troupes des colonies
Souvenirs de Mazerettes

Classé dans : Histoire Mots clés : aucun

Arnaud Daniel. En cest sonet coind'e leri...

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Chansonnier provençal. 2e moitié du XIIIe siècle. BnF. ms._12473_fol._50.

Né à Ribérac (Dordogne) circa 1150, Arnaud Daniel a composé son œuvre entre les années 1180 et les années 1210. Dante et Pétrarque disent qu'il a été « le meilleur forgeron du parler maternel » et le maître de l'art de la sextine.

On nomme sextine un poème composé de 6 sizains, ou coblas, suivis d'un envoi, ou tornada. Le poème reproduit ci-dessous n'est pas une sextine, mais un septain. Il fournit toutefois un bel exemple de la façon dont le poète, dans le septain comme dans la sextine, use à l'intérieur des coblas, ou couplets, de deux rimes seulement, — «leri / doli », « lima / daura », etc. — rimes reprises glissando de cobla en cobla jusqu'à la tornada, ou envoi, où revient, en une sorte de dernier écho, le jeu de deux autres rimes — « cert / apert », « mou / plou », etc. — qui se répondent, elles, d'une cobla à l'autre.

Concernant la traduction du texte d'Arnaud Daniel, dont l'occitan périgourdin et le style tendu, souvent allusif, rendent parfois la compréhension difficile pour le lecteur moderne, je me suis aidée des Poésies d'Arnaud Daniel, savant ouvrage de René Lavaud, publié à Toulouse en 1910, chez Privat. Pour ma part, comme chaque fois, j'ai cherché à traduire au plus près.

Dans En cest sonet coind'e leri... », Arnaud Daniel parle de l'amour qu'il voue à une belle Dame aragonaise.

En cest sonet coind'e leri
Fauc motz e capuig e doli,
E serant verai e cert
Quan n'aurai passat la lima ;
Qu'Amors marves plan'e daura
Mon chantar, que de liei mou
Qui pretz manten e governa.

Tot jorn meillur et esmeri
Car la gensor serv e coli
Del mon, so·us dic en apert.
Sieus sui del po tro qu'en cima,
E si tot venta·ill freid'aura,
L'amors qu'inz el cor mi plou
Mi ten chaut on plus iverna.

Mil messas n'aug e'n proferi
E'n art lum de cera e d'oli
Que Dieus m'en don bon issert
De lieis on no·m val escrima (1) ;
E quan remir sa crin saura
E'l cors gai, grailet e nou
Mais l'am que qui·m des Luserna (2).

Tant l'am de cor e la queri
C'ab trop voler cug la·m toli
S'om ren per ben amar pert.
Qu'el sieus cors sobretracima
Lo mieu tot e non s'eisaura ;
Tant a de ver fait renou
C'obrador n'a e taverna (3).

No vuoill de Roma l'emperi
Ni c'om m'en fassa apostoli (4)
Qu'en lieis non aia revert
Per cui m'art lo cors e·m rima (5) ;
E si·l maltraich no·m restaura
Ab un baisar anz d'annou,
Mi auci e si enferna.

Ges pel maltraich qu'ieu soferi
De ben amar no·m destoli ;
Si tot mi ten en desert.
C'aissi'n fatz los motz en rima.
Pieitz trac aman, c'om que laura,
C'anc plus non amet un ou
Cel de Moncli n'Audierna (6).

Ieu sui Arnautz qu'amas l'aura,
E chatz la lebre ab lo bou
E nadi contra suberna.

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Sur cet air gai et joyeux
Je fais des mots et charpente et rabote,
Et seront vrais et certains
Quand seulement j'aurai passé la lime ;
Qu'Amour polisse et dore
Mon chant, qui d'elle se meut,
[Elle] qui le Mérite protège et guide.

Tous les jours je m'améliore et m'affine
Car la plus Gente aime et honore,
[la plus gente] du monde, comme je vous le dis tout clair.
Je suis sien des pieds à la tête,
Et sitôt que vente la froidure,
L'amour qui dans le cœur me pleut
Me tient chaud au plus fort de l'hiver.

Mille messes j'entends et offre
Et je brûle flamme de cire et d'huile
Pour que Dieu me donne bon succès
Après d'elle, contre qui ne vaut nulle escrime (1) ;
Et quand j'admire sa chevelure d'or,
Son corps joyeux, svelte et neuf,
Je l'aime mieux que qui me donnerait Lucerne (2).

Tant l'aime de cœur et la chéris,
Tant la désire et la cherche,
Qu'à trop la vouloir en pensée, je la perds,
Si, par amour on peut perdre.
Car le sien corps déborde le mien
au point que le mien tout entier ne s'en essore pas ;
Tant au vrai [elle) en a tant fait usure
Qu'elle tient à la fois l'ouvrier et la taverne (3).

Je ne veux de Rome l'empire
Ni qu'on m'en fasse pape (4),
Si vers elle n'ai retour,
[Vers elle] pour qui brûlent mon corps et ma rime (5).
Et si de mon tourment elle ne me guérit pas
D'un baiser avant le nouvel an,
Elle me tue et elle se damne.

À cause du tourment que je souffre,
De bien aimer je ne me détourne pas
Même si tout entier me tiens en désert,
Car ainsi je fais les mots pour la rime.
Pis je souffre, en aimant, qu'un homme qui laboure,
Et pis que jadis — on n'aimerait pas un œuf (6) —,
Celui-là de Moncli et Audierne (7).

Je suis Arnaud, qui amasse le vent
Et chasse le lièvre à l'aide du bœuf
Et nage contre la marée montante.

1. Escrima : escrime ou ruse.

2. Luserna. D'après René Lavaud, in op. cité, p. 61, il ne s'agit ni de Lucerne en Suisse, ni de Luserna-San-Giovanni en Piémont près de Turin [ville dont le troubadour Peire Guilhein serait originaire et dont Arnaud Daniel mentionne le nom dans un autre poème], mais d'une ville espagnole, mentionnée elle aussi dans un autre poème d'Arnaud Daniel. Le nom actuel de Luserna est Lucena. Cette ville se situe au nord-ouest de Castellón-de-la-Plana, dans la province de Valence, qui joute au nord la province d'Aragon. En invoquant au vers 44 « la lebre » (la lièvre, en occitan moderne encore), par effet de paronymie avec le fleuve Ebre, qui traverse la province d'Aragon, Arnaud Daniel se rapproche en pensée de la région où vit sa belle Aragonaise.

3. Taverna : taverne, boutique.

4. René Lavaud, in op. cité, p. 63, signale une vacance simultanée du trône impérial et du trône papal en 1191, et aussi en 1216. Celle-ci permet peut-être de dater le poème d'Arnaud Daniel.

5. Rima, au singulier : activité du rimeur, art de rimer.

6. « Non amet un ou » : on n'aimerait pas pour un œuf, on n'aimerait pas pour rien. « Un ou : pour rien, peu, très fréquent en provençal », note René Lavaud in op. cité, p. 64.

7. Note de René Lavaud, in op. cité, p. 64 : « Cel de Moncli : personnage inconnu. Ce vers fait probablement allusion à un couple d'amoureux, célèbre dans les romans épiques ou dans la légende populaire. »

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